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de ta raison, marque celui de ton cœur, & que je ne daignerois pas même relever si je n’avois pitié de ton délire.
puis consentir ; & le même motif qui m’ôta toujours le courage de vous faire un refus me doit rendre inexorable sur celui-ci. Le sujet est de la derniere importance, & je vous exhorte à bien peser mes raisons. Premierement, il me semble que votre extrême délicatesse vous jette à cet égard dans l’erreur, & je ne vois point sur quel fondement la plus austere vertu pourroit exiger une pareille confession. Nul engagement au monde ne peut avoir un effet rétroactif. On ne sauroit s’obliger pour le passé, ni promettre ce qu’on n’a plus le pouvoir de tenir : pourquoi devroit-on compte à celui à qui l’on s’engage de l’usage antérieur qu’on a fait de sa liberté, & d’une fidélité qu’on ne lui a point promise ? Ne vous y trompez pas, Julie ; ce n’est pas à votre époux, c’est à votre ami que vous avez manqué de foi. Avant la tyrannie de votre pere, le Ciel, & la nature nous avoient unis l’un à l’autre. Vous avez fait, en formant d’autres nœuds, un crime que l’amour ni l’honneur peut-être ne pardonne point, & c’est à moi seul de réclamer le bien que M. de Wolmar m’a ravi.


Pour renverser tout cela d’un mot, je ne veux te demander qu’une seule chose. Toi qui crois Dieu existant, l’ame immortelle, & la liberté de l’homme, tu ne penses pas, sans doute, qu’un être intelligent reçoive un corps, & soit placé sur la terre au hasard seulement pour vivre, souffrir, & mourir ? Il y a bien peut-être à la vie humaine un but, une fin, un objet moral ? Je te prie de me répondre clairement sur ce point ; apres quoi nous reprendrons pied à pied ta lettre, & tu rougiras de l’avoir écrite.
S’il est des cas où le devoir puisse exiger un pareil aveu, c’est quand le danger d’une rechute oblige une femme prudente à prendre des précautions pour s’en garantir. Mais votre lettre m’a plus éclairé que vous ne pensez sur vos vrais sentimens. En la lisant, j’ai senti dans mon propre cœur combien le vôtre eût abhorré de près, même au sein de l’amour, un engagement criminel dont l’éloignement nous ôtoit l’horreur.


Mais laissons les maximes générales, dont on fait souvent beaucoup de bruit sans jamais en suivre aucune ; car il se trouve toujours dans l’application quelque condition particuliere qui change tellement l’état des choses, que chacun se croit dispensé d’obéir à la regle qu’il prescrit aux autres ; & l’on sait bien que tout homme qui pose des maximes générales entend qu’elles obligent tout le monde, excepté lui. Encore un coup, parlons de toi.
Des là que le devoir, & l’honnêteté n’exigent pas cette

Il t’est donc permis, selon toi, de cesser de vivre ? La preuve en est singuliere, c’est que tu as envie de mourir. Voilà certes un argument fort commode pour les scélérats : ils doivent t’être bien obligés des armes que tu leur fournis ; il n’y aura plus de forfaits qu’ils ne justifient par la tentation de les commettre ; & des que la violence de la passion l’emportera sur l’horreur du crime, dans le désir de mal faire ils en trouveront aussi le droit.

Il t’est donc permis de cesser de vivre ? Je voudrois bien