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je ne veux désoler aucun de ceux que j’aime. Qu’un pere esclave de sa parole, & jaloux d’un vain titre dispose de ma main qu’il a promise ; que l’amour seul dispose de mon cœur ; que mes pleurs ne cessent de couler dans le sein d’une tendre amie. Que je sois vile, & malheureuse ; mais que tout ce qui m’est cher soit heureux, & content s’il est possible. Formez tous trois ma seule existence, & que votre bonheur me fasse oublier ma misere, & mon désespoir.
LETTRE V. DE JULIE À SON AMANT.


LETTRE XVI. REPONSE.
Elle n’est plus. Mes yeux ont vu fermer les siens pour jamais ; ma bouche a reçu son dernier soupir ; mon nom fut le dernier mot qu’elle prononça ; son dernier regard fut tourné vers moi. Non, ce n’étoit pas la vie qu’elle sembloit quitter, j’avois trop peu sçu la lui rendre chére. C’étoit à moi seule qu’elle s’arrachoit. Elle me voyoit sans guide & sans espérance, accablée de mes malheurs & de mes fautes ; mourir ne fut rien pour elle, & son cœur n’a gémi que d’abandonner sa fille dans cet état. Elle n’eut que trop de raison. Qu’avoit-elle à regretter sur la terre ? Qu’est-ce qui pouvoit ici-bas valoir à ses yeux le prix immortel de sa patience & de ses vertus qui l’attendoit dans le Ciel ? Que lui restoit-il à faire au monde sinon d’y pleurer mon opprobre ? Ame pure & chaste, digne épouse, & mere incomparable, tu vis maintenant au séjour de la gloire & de la félicité ; tu vis ; & moi, livré eau repentir & au désespoir, privée à jamais de tes soins, de tes conseils, de tes douces caresses, je suis morte au bonheur, à la paix, à l’innocence : je ne sens plus que ta perte ; je ne vois plus que ma honte ; ma vie n’est plus que peine & douleur. Ma mere, ma tendre mere, hélas ! je suis bien plus morte que toi !


Nous renaissons, ma Julie ; tous les vrais sentimens de nos âmes reprennent leurs cours. La nature nous a conservé l’être, & l’amour nous rend à la vie. En doutois-tu ? L’osas-tu croire, de pouvoir m’ôter ton cœur ? Va, je le connois mieux que toi, ce cœur que le Ciel a fait pour le mien. Je les sens joins par une existence commune qu’ils ne peuvent perdre qu’à la mort. Dépend-il de nous de les séparer, ni même de le vouloir ? Tiennent-ils l’un à l’autre par des nœuds que les hommes aient formés, & qu’ils puissent rompre ? Non, non, Julie ; si le sort cruel nous refuse le doux nom d’époux, rien ne peut nous ôter celui d’amans fideles ; il sera consolation de nos tristes jours, & nous l’emporterons au tombeau.
Mon Dieu ! quel transport égare une infortunée, & lui fait oublier ses résolutions ? Où viens-je verser mes pleurs &

Ainsi nous recommençons de vivre pour recommencer de