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conséquence. Tant de souvenirs amers, ton danger, le sien, le désordre où je le voyois, tout empoisonnoit une si douce surprise, & j’étois trop saisie pour lui faire beaucoup de caresses. Je l’embrassai pourtant avec un serrement de cœur qu’il partageoit, & qui se fit sentir réciproquement par de muettes étreintes, plus éloquentes que les cris & les pleurs. Son premier mot fut : Que fait-elle ? Ah ! que fait-elle ? Donnez-moi la vie ou la mort. Je compris alors qu’il étoit instruit de ta maladie, & croyant qu’il n’en ignoroit pas non plus l’espece, j’en parlai sans autre précaution que d’exténuer le danger. Sitôt qu’il sçut que c’étoit la petite vérole il fit un cri & se trouva mal. La fatigue & l’insomnie jointes à l’inquiétude d’esprit, l’avoient jetté dans un tel abattement qu’on fut long-tems à le faire revenir. À peine pouvoit-il parler ; on le fit coucher.
appris comment il faut immoler le bonheur au devoir ; elle m’en a trop courageusement donné l’exemple, pour qu’au moins une fois je ne sache pas l’imiter. Si mon sang suffisoit pour guérir vos peines, je le verserois en silence & me plaindrois de ne vous donner qu’une si foible preuve de mon zele : mais briser le plus doux, le plus sacré lien qui jamais ait uni deux cœurs, ah ! c’est un effort que l’univers entier ne m’eût pas fait faire, & qu’il n’appartenoit qu’à vous d’obtenir !


Vaincu par la nature, il dormit douze heures de suite, mais avec tant d’agitation, qu’un pareil sommeil devoit plus épuiser que réparer ses forces. Le lendemain, nouvel embarras ; il vouloit te voir absolument. Je lui opposai le danger de te causer une révolution ; il offrit d’attendre qu’il n’y eût plus de risque ; mais son séjour même en étoit un terrible ; j’essayai de le lui faire sentir. Il me coupa durement la parole. Gardez votre barbare éloquence, me dit-il, d’un ton d’indignation : c’est trop l’exercer à ma ruine. N’espérez pas me chasser encore comme vous fîtes à mon exil. Je viendrois cent fois du bout du monde pour la voir un seul instant : mais je jure par l’Auteur de mon être, ajouta-t-il impétueusement, que je ne partirai point d’ici sans
Oui, je promets de vivre loin d’elle aussi long-tems que vous l’exigerez ; je m’abstiendrai de la voir & de lui écrire, j’en jure par vos jours précieux, si nécessaires à la conservation des siens. Je me soumets, non sans effroi, mais sans murmure à tout ce que vous daignerez ordonner d’elle & de moi. Je dirai beaucoup plus encore ; son bonheur peut me consoler de ma misere, & je mourrai content si vous lui donnez un époux digne d’elle. Ah ! qu’on le trouve, & qu’il m’ose dire, je saurai mieux l’aimer que toi ! Madame, il aura vainement tout ce qui me manque ; s’il n’a mon cœur, il n’aura rien pour Julie : mais je n’ai que ce cœur honnête & tendre. Hélas ! je n’ai rien non plus. L’amour qui rapproche tout n’éleve point la personne ; il n’éleve que les sentimens. Ah ! si j’eusse osé n’écouter que les miens pour vous, combien de fois en vous parlant ma bouche eût prononcé le doux nom de mere !

Daignez vous confier à des sermens qui ne seront point vains, & à un homme qui n’est point trompeur. Si je pus un jour abuser de votre estime, je m’abusai le premier moi-même.