« Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/392 » : différence entre les versions

ThomasBot (discussion | contributions)
m Maltaper : split
 
ThomasBot (discussion | contributions)
m Maltaper : split
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
de son zele ; nous ne devons pas seulement consulter son attachement pour nous & le besoin que nous avons d’elle, mais ce qui convient à son nouvel état & ce qui peut agréer ou déplaire à son mari. Nous n’avons pas besoin de chercher ce qu’exigeroit en pareil cas la vertu ; les loix seules de l’amitié suffisent. Celui qui, pour son intérêt particulier, pourroit compromettre un ami mériteroit-il d’en avoir ? Quand elle étoit fille, elle étoit libre, elle n’avoit à répondre de ses démarches qu’à elle-même & l’honnêteté de ses intentions suffisoit pour la justifier à ses propres yeux. Elle nous regardoit comme deux époux destinés l’un à l’autre ; & son cœur sensible & pur alliant la plus chaste pudeur pour elle-même à la plus tendre compassion pour sa coupable amie, elle couvroit ma faute sans la partager. Mais à présent tout est changé ; elle doit compte de sa conduite à un autre ; elle n’a pas seulement engagé sa foi, elle a aliéné sa liberté. Dépositaire en même tems de l’honneur de deux personnes, il ne lui suffit pas d’être honnête, il faut encore qu’elle soit honorée ; il ne lui suffit pas de ne rien faire que de bien, il faut encore qu’elle ne fasse rien qui ne soit approuvé. Une femme vertueuse ne doit pas seulement mériter l’estime de son mari, mais l’obtenir ; s’il la bl ame, elle est blâmable ; & fût-elle innocente, elle a tort sitôt qu’elle est soupçonnée : car les apparences mêmes sont au nombre de ses devoirs.
Qui cantô dolcemente, e qui s’assise ;


Je ne vois pas clairement si toutes ces raisons sont bonnes, tu en seras le juge ; mais un certain sentiment intérieur m’avertit qu’il n’est pas bien que ma cousine continue d’être ma confidente, ni qu’elle me le dise la premiere. Je me suis
Qui si rivolse, e qui ritenne il passo ;

Qui co’begl : occhi mi trafise il core ;

Qui disse una parola & qui sorrise.*

[* C’est ici

qu’il chanta d’un ton si doux, voilà le siége où

il s’affit, ici il marchoit & là il s’arrêta, ici d’un

regard tendre il me perça le cœur, ici il me dit

un mot & là je le vis sourire.]

Mais toi, sais-tu t’arrêter à ces situations paisibles ? Sais-tu goûter un amour tranquille & tendre qui parle au cœur sans émouvoir les sens & tes regrets sont-ils aujourd’hui plus sages que tes désirs ne l’étoient autrefois ? Le ton de ta premiere lettre me fait trembler. Je redoute ces emportemens trompeurs, d’autant plus dangereux que l’imagination qui les excite n’a point de bornes & je crains que t un’outrages ta Julie à force de l’aimer. Ah ! tu ne sens pas, non, ton cœur peu délicat ne sent pas combien l’amour s’offense d’un vain hommage, tu ne songes ni que ta vie est à moi, ni qu’on court souvent à la mort en croyant servir la nature. Homme sensuel, ne sauras-tu jamais aimer ? Rappelle-toi, rappelle-toi ce sentiment si calme & si doux que tu connus une fois & que tu décrivis d’un ton si touchant & si tendre. S’il est le plus délicieux qu’ait jamais savouré l’amour heureux, il est le seul permis aux amans séparés ; & quand on l’a pu goûter un moment, on n’en doit plus regretter d’autre. Je me souviens de réflexions que nous faisions, en lisant ton Plutarque, sur un goût dépravé qui outrage la nature. Quand ses tristes plaisirs n’auroient