« Discours sur la question du libre-échange » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Magik1592 (discussion | contributions)
Magik1592 (discussion | contributions)
Ligne 134 :
 
Enfin, plus le capital productif augmente, plus il est forcé de produire pour un marché dont il ne connaît pas les besoins, plus la production précède la consommation, plus l'offre cherche à forcer la demande, et, en conséquence, les crises augmentent d'intensité et de rapidité. Mais toute crise, à son tour, accélère la centralisation des capitaux et grossit le prolétariat.
 
Ainsi, à mesure que le capital productif s'accroît, la concurrence entre les ouvriers s'accroît dans une proportion beaucoup plus forte. La rétribution du travail diminue pour tous, et le fardeau du travail augmente pour quelques-uns.
 
En 1829, il y avait, à Manchester, 1.088 fileurs occupés dans 36 fabriques. En 1841, il n'y en avait plus que 448, et ces ouvriers étaient occupés à 53.353 fuseaux de plus que les 1.088 ouvriers de 1829. Si le rapport du travail manuel avait augmenté proportionnellement au pouvoir productif, le nombre des ouvriers aurait dû atteindre le chiffre de 1848, de sorte que les améliorations apportées dans la mécanique ont enlevé le travail à 1.400 ouvriers.
 
Nous savons d'avance la réponse des économistes. Ces hommes privés d'ouvrage, disent-ils, trouveront un autre emploi de leurs bras. M. le docteur Bowring n'a pas manqué de reproduire cet argument au congrès des économistes, mais il n'a pas manqué non plus de se réfuter lui-même.
 
En 1835, M. le docteur Bowring prononçait un discours à la Chambre des Communes au sujet des 50.000 tisserands de Londres, qui depuis très longtemps se meurent d'inanition, sans pouvoir trouver cette nouvelle occupation que les <small>free-traders</small> font entrevoir dans le lointain.
 
Nous allons donner les passages les plus saillants de ce discours de M. le docteur Bowring.
 
« La misère des tisserands à la main, dit-il, est le sort inévitable de toute espèce de travail qui s'apprend facilement et qui est susceptible d'être à chaque instant remplacé par des moyens moins coûteux. Comme dans ce cas la concurrence entre les ouvriers est extrêmement grande, le moindre relâchement dans la demande amène une crise. Les tisserands à la main se trouvent en quelque sorte placés sur les limites de l'existence humaine. Un pas de plus, et leur existence devient impossible. Le moindre choc suffit pour les lancer dans la carrière du dépérissement. Les progrès de la mécanique, en supprimant de plus en plus le travail manuel, amènent infailliblement pendant l'époque de la transition bien des souffrances temporelles. Le bien-être national ne saurait être acheté qu'au prix de quelques maux individuels. On n'avance en industrie qu'aux dépens des traînards, et de toutes les découvertes, le métier à vapeur est celle qui pèse avec le plus de poids sur les tisserands à la main. Déjà dans beaucoup d'articles qui se sont faits à la main, le tisserand a été mis hors de combat, mais il sera battu sur bien des choses qui se font encore à la main.
 
« Je tiens, dit-il plus loin, entre mes mains une correspondance du gouverneur général avec la Compagnie des Indes orientales. Cette correspondance concerne les tisserands du district de Dacca. Le gouverneur dit dans ses lettres : il y a quelques années la Compagnie des Indes orientales recevait six à huit millions de pièces de coton, qui étaient fabriquées par les métiers du pays. La demande en tomba graduellement et fut réduite à un million de pièces environ.
 
« Dans ce moment, elle a presque complètement cessé. De plus, en 1800, l'Amérique du Nord a tiré des Indes presque 800.000 pièces de coton. En 1830, elle n'en tirait même pas 4.000. Enfin, en 1800, on a embarqué, pour être transportées au Portugal, un million de pièces de coton. En 1830, le Portugal n'en recevait plus que 20.000.
 
« Les rapports sur la détresse des tisserands indiens sont terribles. Et quelle fut l'origine de cette détresse ?
 
« La présence sur le marché des produits anglais, la production de l'article au moyen du métier à vapeur. Un très grand nombre de tisserands est mort d'inanition; le restant a passé à d'autres occupations et surtout aux travaux ruraux. Ne pas savoir changer d'occupation, c'était un arrêt de mort. Et en ce moment, le district de Dacca regorge de fils et de tissus anglais. La mousseline de Dacca, renommée dans tout le monde entier pour sa beauté et la fermeté de sa texture, est également éclipsée par la concurrence des machines anglaises. Dans toute l'histoire du commerce, on aurait peut-être de la peine à trouver des souffrances pareilles à celles qu'ont dû supporter de cette manière des classes entières dans les Indes orientales.»
 
Le discours de M. le docteur Bowring est d'autant plus remarquable que les faits qui y sont cités sont exacts, et que les phrases dont il cherche à les pallier portent tout à fait le caractère d'hypocrisie commun à tous les sermons libre-échangistes. Il représente les ouvriers comme des moyens de production qu'il faut remplacer par des moyens de production moins coûteux. Il fait semblant de voir dans le travail dont il parle, un travail tout à fait exceptionnel, et dans la machine qui a écrasé les tisserands, une machine également exceptionnelle. Il oublie qu'il n'y a pas de travail manuel qui ne soit susceptible de subir d'un jour à l'autre le sort du tissage.