« Souvenirs d’un homme de lettres/VIII » : différence entre les versions

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<div style="text-align:center">''Et voici le jardin charmant''</div>
<div style="text-align:center">''Parfumé de myrte et de rose…''</div>
 
 
… Hélas ! Cette année le jardin est toujours plein de roses, mais la maison est pleine de Prussiens. J'ai porté ma table au fond du jardin, et c'est là que j'écris, dans l'ombre fine et le parfum d'un grand genêt tout bourdonnant d'abeilles, qui m'empêche de voir les tricots de Poméranie pendus et séchant à mes pauvres persiennes grises.
 
Je m'étais pourtant bien juré de ne venir ici que longtemps après qu'''ils'' seraient partis ; mais il fallait fuir l'horrible conscription Cluseret et je n'avais pas d'autre refuge… Et c'est ainsi, qu'à moi, comme à bien d'autres Parisiens, aucune des misères de ce triste temps n'aura été épargnée : angoisses du siège, guerre civile, émigration, et, pour nous achever, l'occupation étrangère. On a beau être philosophe, se mettre au-dessus, en dehors des choses, c'est une impression singulière, – après six heures de marche sur ces belles routes de France, toutes blanches de la poussière des bataillons prussiens – d'arriver à sa porte et d'y trouver, sous les grappes pendantes des ébéniers et des acacias, un écriteau allemand en lettres gothiques :
 
 
<div style="text-align:center">''5e compagnie''</div>
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<div style="text-align:center">''Sergent-major''</div>
<div style="text-align:center">''Et trois hommes.''</div>
 
 
Ce M. Boehm est un grand garçon silencieux et bizarre, qui garde les volets de sa chambre toujours fermés, se couche et mange sans lumière. Avec cela, l'air trop à l'aise, le cigare aux dents et d'une exigence !… Il faut à sa seigneurie une pièce pour lui, une pour son secrétaire, une pour son domestique. Défense d'entrer par cette porte, de sortir par celle-là. Est-ce qu'il ne voulait pas nous empêcher d'aller dans le jardin ?… Enfin le maire est venu, le ''hauptmann'' s'en est mêlé, et nous voilà chez nous. Ce n'est pas gai chez nous, cette année. Quoi qu'on en ait, ce voisinage vous gêne, vous blesse. Cette paille qu'on hache autour de vous, dans votre maison, se mêle à ce que vous mangez, fane les arbres, brouille la page du livre, vous entre dans les yeux, vous donne envie de pleurer. L'enfant lui-même, sans qu'il s'en rende bien compte, est sous le coup de cette étrange oppression. Il joue tout doucement dans un coin du jardin, retient son rire, chante à mi-voix, et le matin, au lieu de ses réveils ébouriffés et pleins de vie, il se tient bien tranquille les yeux grands ouverts derrière ses rideaux et demande tout bas de temps en temps :