« Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque » : différence entre les versions

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Puisqu'il y a une différence considérable dans la relation du poids de l'encéphale au poids du corps suivant qu'il s'agit d'espèces différentes ou d'individus d'une même espèce, il en résulte que l'on ne peut pas comparer, même approximativement, deux individus ou groupes d'individus pris chacun dans deux espèces différentes, sans s'être assuré que chacun des groupes ou individus s'écarte peu, par la grandeur du corps, de la normale de son espèce. C'est ce qui est toujours réalisé pratiquement dans les cas où les variations individuelles du poids du corps sont négligeables par rapport à l'écart entre les deux espèces; par exemple, la différence entre un grand chat et un petit chat (je ne dis pas un jeune chat), la différence entre un grand tigre et un petit tigre, ne sont rien auprès de la différence de taille qui existe entre n'importe quel chat et n'importe quel tigre. Mais quand les tailles des espèces sont moins éloignées l'une de l'autre, la comparaison devient inexacte si la taille du sujet ou du groupe de sujets représentatif d'une espèce est notablement au-dessus ou au-dessous de la taille normale. L'erreur peut être considérable si l'une des deux espèces, sous l'influence de la domestication et de la sélection artificielle, a donné naissance à des races de tailles très diverses. Ainsi, les chiens de 38 kilogrammes donneraient, suivant la formule de Dubois, un coefficient céphalique de 0,29; les chiens de 3 kilogrammes, un coefficient de 0,67. Or, ce coefficient doit représenter le niveau de l'espèce dans l'échelle de supériorité d'organisation; avec une des valeurs, les chiens seraient au-dessous des félins; avec l'autre, presque au niveau des singes anthropoïdes. Nous avons malheureusement très peu de chiffres pour les canidés sauvages; Hrdlicka mentionne un loup américain (Canis nubilus) pesant 29,030 gr., avec un encéphale de 115 gr.5; le coefficient céphalique s'établit à 0,365. J'ai recueilli les chiffres de quatre renards; un poids moyen de 8500 grammes pour le corps, de 46 gr. 73 pour l'encéphale, donne un coefficient de 0,383, voisin du précédent; en attendant que nous ayons des chiffres plus nombreux, on peut les admettre comme représentant le niveau normal du genre Canis. Mais quel est le coefficient qu'il faut adopter pour le chien domestique? Nous avons vu que, dans la complexité actuelle de nos races, il n'y a pas de raison objective d'établir plusieurs étages de développement cérébral. Pour toutes les races, et pour toutes les tailles, on exprime la moyenne en écrivant E = (7,6)*(P^(0,25)); mais cela ne permet de comparer les chiens qu'entre eux, nullement de les comparer avec les autres mammifères ni même avec les autres espèces du même genre.
 
Les origines du chien, qui ont donné lieu à une littérature considérable, sont loin d'être éclaircies; nous ne savons pas si l'homme a fait dériver toutes les races d'une seule espèce, ou bien s'il a domestiqué, en des lieux divers, des espèces différentes qui se sont ensuite croisées. Mais ayant pu exprimer pour toutes les grandeurs de corps, la grandeur moyenne de l'encéphale au moyen de la formule de l'espèce, je crois être en droit de traiter mathématiquement cette série comme une espèce, qu'elle provienne en fait d'une souche unique ou de plusieurs. La nécessité de traiter la comparaison des individus d'une même espèce autrement que la comparaison de deux espèces, apparaît ici sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir aucun calcul. Les renards, pesant de 5 à 6 kilogrammes, ont un encéphale de 46 à 47 grammes; les chiens domestiques de 5 à 6 kilogrammes, ont un encéphale qui varie de 55 à 75 grammes, moyenne 64 gr. 3. La comparaison directe donnerait donc une grande supériorité au chien. Le loup américain pesé par Hrdlicka a un encéphale de 115 gr. 5 pour un corps de 29 kilogrammes. Les chiens qui pèsent de 28 à 31 kil. 5 ont un encéphale moyen de 94,9, chiffres extrêmes, 80 et 105; à la comparaison directe, l'infériorité des chiens serait non moins évidente que leur supériorité tout à l'heure. Il est certain que par l'action de l'homme, la taille des chiens a été accrue d'une part, et diminuée de l'autre; le ou les ancêtres de nos chiens, à l'état de nature, n'étaient ni si grands qu'un loup, ni si petits qu'un renard. Si nous admettons, pour le raisonnement, qu'il n'y ait eu qu'une espèce souche, sa taille originelle était quelque part dans le milieu de l'échelle de tailles des chiens; admettons encore que par l'effet de la domestication, le degré de céphalisation du chien n'ait pas changé; l'ancêtre type est alors représenté par les chiens d'un certain poids qui doivent avoir en moyenne le même poids cérébral que lui; faisons la troisième hypothèse que cet ancêtre avait sensiblement le même degré de céphalisation que les espèces sauvages actuelles du genre Canis, nous avons alors le moyen de déterminer par le calcul le poids de son corps et le poids de son encéphale. En effet, en tant qu'espèce du genre Canis, il répond à la formule E = (0,37)*(P^(0,56)); en tant qu'individu de l'espèce Canis familiaris, il répond à la formule E = (7,6)*(P^(0,25)); E et P ont nécessairement une seule et même valeur dans ces deux expressions, qui deviennent par conséquent un système de deux équations à deux inconnues; il est facile d'obtenir les valeurs numériques: on trouve 17 kilogrammes pour le poids du corps, et 87 grammes pour le poids de l'encéphale (1). On peut suivre moins abstraitement le raisonnement sur un graphique, où la loi des Canidés, et celle de l'espèce Chien, sur coordonnées logarithmiques, prennent la forme d'une droite; les deux lois se coupent; le point de croisement représente l'ancêtre type supposé. Il est bien entendu que ce calcul est donné à titre d'exemple schématique. La valeur obtenue est très vraisemblable, et il est possible qu'elle soit ultérieurement confirmée; mais en l'état actuel de la question, il y aurait d'abord trois hypothèses à démontrer; ensuite, la loi des Canidés est insuffisamment établie. Mais voici un autre cas où, certaines hypothèses étant remplacées par des faits connus, le raisonnement permet de juger une hypothèse restante.
* (1) Voici le détail du calcul qui donne P; égalant les deux valeurs de E, on a
 
(0,37)*(P^(0,56)) = (7,6)*(P^(0,25))
 
En Divisant par (P^(0,25)) et par 0,37, il vient
 
(P^(0,56-0,25)) ou (P^(0,31)) = (7,6)/(0,37)
 
d'où (0,31)*(log(P)) = log(7,6) — log(0,37) = 0,880 + 1 — 0,568
 
log(P) = (1,312)/(0,31) = 4.322
 
P = 17060.
 
* Régression cérébrale des animaux domestiques. — 1° Lapins.
 
Darwin, comparant les diverses races de lapins domestiques au lapin de garenne qui en est la souche, fait la remarque suivante: ces races domestiques sont, en général, plus grandes, et souvent beaucoup plus grandes, que l'espèce primitive; mais la capacité crânienne ne s'est pas accrue corrélativement. Notamment, il est facile de voir que les grands lapins ont une capacité inférieure à celle des lièvres qui ont à peu près la même grandeur corporelle. D'où Darwin conclut que la domestication a eu pour effet de diminuer le poids de l'encéphale par défaut d'usage. Cette conclusion a besoin d'être reprise à la lumière des constatations générales que nous avons faites sur la relation du poids de l'encéphale au poids du corps. Il résulte en effet du paragraphe précédent que la comparaison directe du lapin au lièvre est illégitime et pourrait conduire à une erreur.
 
Le problème qui restait en partie indéterminé chez le chien peut ici être étudié complètement, puisque nous avons sous la main l'espèce souche, que nous en pouvons connaître par conséquent et le poids corporel et le poids encéphalique. La seule hypothèse nécessaire, c'est que dans l'espèce Lepus cuniculus s'applique la loi E = K*(P^(0,25)) que nous avons constatée dans les espèces Homo sapiens, Canis familiaris et Sciurus carolinensis. Étant donné que ces trois cas constituent la totalité des cas étudiés, qu'on n'a par suite pas d'exception, la généralisation paraît légitime. Voici les moyennes que j'ai obtenues pour une série de lapins de garenne — de lapins domestiques (en ayant soin de prendre des adultes, en bon état sans surcharge graisseuse) — et de lièvres.
 
* Poids moyen du corps
* Poids moyen de l'encéphale
* Lapin de garenne: 1.463; 10,54;
* Lapin domestique: 3.375; 11,20;
* Lièvre: 3.833; 10,70.
 
Entre les lièvres et les lapins domestiques qui sont à peu près du même poids corporel, la différence de poids encéphalique est frappante. C'est ce qu'avait déjà vu Darwin. Inversement, du lapin de garenne au lapin domestique, pour un poids de corps plus que double, le poids de l'encéphale n'est accru que de très peu. Si on calculait sur ces chiffres l'exposant de relation dans l'espèce Lepus cuniculus, on trouverait la valeur extrêmement faible 0,07.
 
Ces faits m'avaient d'abord suggéré une théorie que j'ai dû rejeter, car elle est en désaccord avec d'autres faits, mais que je veux indiquer néanmoins, car elle me paraît contenir une part de vérité qui devra peut-être retrouver sa place dans une théorie plus complète. Entre deux espèces affines, le poids de l'encéphale varie toujours comme la puissance 0,56 du poids du corps. Ces deux espèces peuvent être considérées comme dérivant d'un ancêtre commun extrêmement reculé dans les temps, à travers un nombre de générations extrêmement grand; même si l'évolution a donné à ces deux espèces des tailles très différentes, elles ont eu le temps d'arriver chacune à son équilibre. Mais quand a commencé à se produire la variation, brusque ou lente, cette variation peut avoir porté d'abord sur la grandeur du corps, grandeur relativement sensible, comme nous savons, aux influences extérieures. Le système nerveux central n'est point une masse d'éléments homologues simplement additionnés, comme une glande ou un muscle; c'est un réseau d'éléments individuellement spécialisés, assemblés suivant un plan absolument précis, quoique d'une complexité au-dessus de notre imagination: il est très difficile de concevoir qu'un tel organe s'accroisse ou se réduise aussi facilement qu'un muscle, qu'une glande, ou qu'un os; il faut faire intervenir une sorte d'adaptation interne, une évolution du système nerveux nécessairement lente. Soit un individu possédant un corps plus petit ou plus grand que celui de ses parents; il serait possible que son cerveau ne soit accru ou diminué que suivant une progression extrêmement faible, c'est-à-dire suivant un exposant de relation voisin de zéro; si sa variation de taille se fixe chez ses descendants, alors le cerveau va s'adapter peu à peu aux nouvelles dimensions du corps, tendant vers la limite d'équilibre représentée par l'exposant de relation 0,56. Ainsi, on comprendrait que les diverses races d'une même espèce présentent pour l'exposant de relation une valeur intermédiaire entre 0 et 0,56, par exemple 0,25 comme je l'ai trouvé chez le chien, domestiqué, artificiellement sélectionné et varié depuis l'époque néolithique. Dans cette hypothèse, l'exposant de relation plus faible 0,07 trouvé chez le lapin aurait correspondu à une variation plus récente. Mais en étendant le champ de mes observations, j'ai trouvé, comme je l'ai dit plus haut, la valeur 0,25 (ou très voisine de 0,25), pour l'exposant de relation dans une même espèce, trois fois sur trois. Il y a donc là, semble-t-il, une règle fixe, un équilibre particulier, et non une variation en marche, car alors on trouverait vraisemblablement dans les divers cas des valeurs diverses entre 0 et 0,56. De plus, j'ai constaté sans doute possible, sur d'autres espèces, une réduction du poids de l'encéphale par l'effet de la domestication.
 
Il faut comparer la race domestique à la souche au moyen de l'exposant de relation 0,25. Suivant ce calcul du lapin de garenne au lapin domestique, celui-ci devrait avoir 13 gr. 03 d'encéphale; le poids constaté est de 11 gr. 20; le déficit est de 2 gr. 10, soit environ 15 p. 100. Voilà la mesure de la réduction de l'encéphale par la domestication. La comparaison directe, comme le faisait Darwin, avec le lièvre, donnerait 5 gr. 50 pour la réduction qui paraîtrait ainsi deux fois et demie trop forte.
 
 
* 2° Ruminants.
 
Parmi nos autres mammifères domestiques, l'étude des ruminants conduit, avec moins de précision, à admettre pour eux aussi une diminution du poids de l'encéphale. Divers ruminants sauvages, la girafe, le mouflon, le chevreuil, une grande et une petite antilope (Oryx Beïsa et Cephalophus Maxwelli) présentent, chiffres de divers auteurs, pour des poids corporels, échelonnés de 3 à 500 kilogrammes, une loi assez régulière, qui est figurée (toujours en coordonnées logarithmiques) dans la figure. Les ruminants domestiques, boeufs et moutons, se placent bien au-dessous de cette ligne. Si l'on veut supposer que l'élevage a accru leurs poids corporels, leurs poids encéphaliques ne s'accroissant que suivant la racine quatrième de ce poids, on peut, en faisant passer par leurs points des lignes de pente 0,25, reconnaître approximativement sur le graphique le poids corporel que devrait avoir présenté l'espèce souche pour qu'il n'y ait pas eu régression cérébrale. La souche de nos boeufs aurait dû peser à peine 150 kilogrammes; celle des moutons, 15 kilogrammes. Ces chiffres sont invraisemblables; c'est la régression qui est probable. Les équidés paraissent s'être comportés autrement, l'homme ayant traité le cheval autrement que le boeuf et le mouton. Malheureusement, je n'ai pu, sur les équidés sauvages, exprimer que des désiderata.
 
 
* 3° Oiseaux de basse-cour.
 
Le canard fournit l'exemple le plus net de la réduction encéphalique par la domestication. Le canard de nos basses-cours provient incontestablement du canard sauvage (Anas boschas), il a même relativement peu varié. Or, voici les moyennes que m'ont données mes pesées:
 
* P
* E
* Canards sauvages: 1,072; 6,30;
* Canards domestiques: 1,708; 5,32.
 
Ici, aucun calcul à faire: chez le canard domestique, par rapport à l'espèce souche, le poids du corps est augmenté et le poids de l'encéphale est diminué. Pour les poulets, le fait est moins net. La souche parait connue : c'est le Gallus Baniciva qui habite les forêts de l'Inde et de la Malaisie; nous n'avons malheureusement pas de chiffres pour cette souche. J'ai le regret amer,
aujourd'hui, d'avoir autrefois tué des Gallus Bankiva et des Gallus Sonerati, sans les considérer autrement que comme nourriture. A défaut de ce document direct, j'ai considéré l'isoneurale fournie par le paon et le faisan comme pouvant servir de base. Tous les coqs et poules dont j'ai pesé le corps et l'encéphale se placent au-dessous de cette ligne, excepté une minuscule poulette de Bantam. Les poulets paraissent donc s'être comportés comme tous les animaux domestiques que nous venons de passer en revue. La conclusion générale est celle de Darwin, mais cette fois solidement assise: la domestication a causé chez ces espèces une diminution du poids relatif de l'encéphale.
 
 
* Comparaison du poids encéphalique entre l'homme et la femme
 
* 1907
** (143). Le poids encéphalique en fonction du poids du corps entre individus d'une même espèce, Société d'Anthropologie, 6 juin.
** (150). Comparaison du poids encéphalique entre les deux sexes de l'espèce humaine, Société de Biologie, 9 novembre.
** (152). Différence sexuelle dans le poids de l'encéphale chez les animaux: rat et moineau, Société de Biologie, 21 décembre.
 
La femme a un encéphale moins pesant que celui de l'homme. Mais elle a aussi un corps moins grand et moins pesant. A-t-elle un poids relatif d'encéphale plus petit, plus grand, ou égal? On voit que cette question, passionnément discutée, dépend de la définition du poids relatif. J'ai été naturellement amené à la reprendre à la suite des études que je viens d'exposer. Les poids corporels et encéphaliques de l'homme et de la femme, chez les Européens, sont connus avec une bonne approximation. En tenant compte de tous les résultats des auteurs, j'arrive aux valeurs rondes que voici:
 
* P
* E
* Homme: 66.000; 1360;
* Femme: 54.000; 1220.
 
Pour l'encéphale, ces chiffres sont peu différents de la moyenne brute calculée par Vierordt sur toutes les séries européennes (1357 et 1235); ils diffèrent très peu aussi des chiffres calculés par Topinard sur les meilleures séries anciennes, Broca, Bischoff, Boyd (1361 et 1211); ils sont confirmés par les séries récentes de Retzius (Suédois, 1399 et 1248) et de Marchand (Hessois, 1388 et 1252); car si ces derniers chiffres sont un peu plus élevés, ils proviennent de races plus grandes que la moyenne de l'Europe, et le rapport de l'homme à la femme reste sensiblement le même. Les poids du corps sont les poids physiologiques, résultant des pesées à l'état vivant; les moyennes prises en considération sont, pour les hommes, celles de Krause, de Quetelet et de Hassing; pour les femmes, celles de Krause, de Hofmann, de Quetelet et de Kobylin. Ces nombres, dont je vais me servir, je les avais établis sans idée préconçue, avant le calcul qui m'a conduit à une conclusion imprévue pour moi. D'ailleurs, l'incertitude qu'ils peuvent présenter n'est pas d'un ordre suffisant pour entacher cette conclusion. Le poids absolu donne une différence en moins pour la femme de 140 grammes, soit 11 pour 100 de l'encéphale de l'homme.
 
Le poids relatif de Cuvier donne, pour l'homme, 1/(48,4), pour la femme, 1/(44,2); soit, en plus pour les femmes, 8 p. 100 de l'encéphale de l'homme. C'est-à-dire que l'on trouve dans la comparaison de l'homme à la femme le même fait que dans la comparaison des grands animaux aux petits: le plus grand a le cerveau le plus lourd, mais le poids relatif (de Cuvier) donne l'avantage au petit. C'est ce que l'on avait constaté depuis longtemps, et c'est là-dessus que l'on a discuté, bien que ces relations soient dépourvues de signification physiologique. Pour comparer entre eux deux groupes d'animaux de tailles différentes, il faut diviser le poids de l'encéphale par la puissance 0,56 du poids du corps si ces êtres appartiennent à deux espèces distinctes, par la puissance 0,25 de ce poids s'ils appartiennent à la même espèce. Il semble donc, à première vue, que le procédé de comparaison s'impose: de la moyenne de l'homme à la moyenne de la femme, il faut calculer le coefficient de céphalisation avec l'exposant de relation 0,25. Pourtant, si l'on serre ce raisonnement, on voit qu'il n'est pas justifié. Nous avons affaire ici à un cas particulier.
 
Quand nous comparons des grands chiens à des petits chiens, ou des grands Sciurus carolinensis à des petits écureuils de la même espèce, nous pouvons arbitrairement limiter nos groupes, parce que nous les avons découpés dans une série continue. Ici les moyennes de l'homme et les moyennes de la femme, corps ou encéphale, nous sont donnés par la nature même des choses; nous avons affaire à deux catégories objectivement distinctes, et chacune de ces catégories a sa loi propre unissant la grandeur encéphalique à la grandeur corporelle, tandis que pour les grands ou les petits chiens, les petits ou les grands écureuils, c'est la même loi, avec seulement une valeur différente de la variable. Cette différence est si profonde qu'elle est sentie intuitivement même quand les lois auxquelles je fais allusion sont inconnues ou ne se présentent pas expressément à l'esprit. Par exemple, il est facile de constituer des séries soit de même taille, soit de même poids corporel, en prenant d'une part des hommes relativement petits, d'autre part, des femmes relativement grandes. A-t-on le droit ensuite de comparer en valeur absolue les moyennes encéphaliques de ces deux séries? Bien qu'il ait été donné une réponse affirmative à cette question, il semble que les naturalistes sentiront en général quelque chose de choquant à un tel procédé. Sexe à part, des femmes ayant en moyenne l m 60 ne seront pas identiques à des hommes de même taille ou de même poids moyen. Quand même il n'y aurait pas, comme cela existe en fait, un canon différent pour l'homme et pour la femme, de sorte que ces tailles, longueurs globales, ne correspondent pas à une même somme de parties; quand même il n'y aurait pas, comme cela existe en fait, une composition différente pour les tissus de l'homme et de la femme, de sorte qu'un même poids global correspond pour l'un et pour l'autre à des quantités différentes d'eau, de sels, de carbone, etc.; il suffit que l'un des groupes soit au-dessous pour que la comparaison directe soit discutable, sinon illégitime.
 
J'ai montré que chaque sexe, séparément de l'autre, suit pour la relation de l'encéphale au poids du corps, la loi intérieure d'une espèce, la proportionnalité à la racine quatrième. Par conséquent, nous voyons que la comparaison directe entre hommes et femmes de même poids constitue la même erreur que la comparaison du loup ou du renard à des chiens de même poids. Pour comparer la céphalisation du loup ou du renard à celle du chien, il faut faire le rapport du poids de l'encéphale à la puissance 0,56 du poids du corps avec les moyennes spécifiques, c'est-à-dire appliquer la formule propre aux espèces distinctes. J'étais ainsi amené, mathématiquement, à traiter de même l'homme et la femme, comme deux espèces distinctes. La forme inadmissible de cette proposition disparaît si on l'énonce de la façon suivante: dans le cas de dimorphisme sexuel qui nous occupe, la relation d'un sexe à l'autre, au point de vue du caractère différentiel, doit être traitée comme la relation d'une espèce à une autre au point de vue de la différence spécifique. On pourrait, inversement, reprendre les propositions générales que j'ai appelées loi d'espèce à espèce, loi intérieure de l'espèce et les formuler d'une façon plus abstraite, telle que le dimorphisme sexuel puisse y entrer sans difficulté. C'est donc le calcul avec l'exposant 0,56 qui s'impose. Voici le résultat, que non seulement je ne cherchais pas, mais qui m'a surpris :
 
* Homme: ((66.000)^(0,56)) = 498; 1360/498 = 2,73;
* Femme: ((54.000)^(0,56)) = 448; 1220/448 = 2,72.
 
Il y a égalité. Je dis égalité dans les résultats du calcul; j'ai en tout cas le droit de formuler la proposition suivante, traduction pure et simple de calculs objectifs: Les poids corporels et encéphaliques des hommes d'une part, des femmes de l'autre, sont entre eux exactement dans les mêmes rapports que s'il s'agissait de deux espèces animales distinctes et égales en organisation nerveuse. En publiant ces résultats, tant à la Société de Biologie qu'à la Société d'Anthropologie, j'ai fait les plus expresses réserves sur les conséquences psychologiques ou même sociales qu'on en pourrait tirer. « En Biologie, nos problèmes comprennent tant d'indéterminations, qu'il faut se méfier de la logique pure, et confronter à maintes reprises ses indications avec l'expérience. » Pour avoir cette vérification expérimentale, il faudrait étudier dans les espèces animales sauvages une différence sexuelle du même genre. Je me suis dans ce but adressé (152) à des espèces banales, le rat et le moineau, dont on peut obtenir des séries assez nombreuses. Ayant pesé 13 individus de chaque sexe et de chaque espèce, j'ai vu dans ces deux espèces que les mâles sont plus grands et ont plus de cerveau que les femelles; la relation d'un des caractères à l'autre se rapproche de ce que j'ai montré dans l'espèce humaine; mais les différences sont trop petites pour donner une approximation démonstrative. J'ai commencé sur les oiseaux de proie des recherches qui seraient particulièrement significatives; mais je n'ai pu avoir encore des matériaux assez nombreux.
 
 
* Analyse du poids encéphalique
 
Les formules qui expriment le poids du cerveau par la proportionnalité à la puissance 0,56 ou à la racine quatrième du poids du corps ne présentent pas par elles-mêmes un sens intelligible. J'ai essayé d'analyser la complexité du fait que traduisent de telles formules empiriques.