« Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque » : différence entre les versions

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* (1) Voir A. Dastre: "La vie et la mort", page 137.
 
Toute la question de savoir si les divers combustibles alimentaires se substituent les uns aux autres exactement suivant leur valeur calorique (substitutions isodynames), ou bien suivant la proportion qu'ils peuvent fournir de tel combustible particulièrement exigé (substitutions isoglycosiques, par exemple) revient à déterminer si les quantités de chaleur dégagées par la transformation rentrent ou non dans la marge de la thermogenèse. On peut bien dire qu'en général l'isodynamie s'applique; ses limites varient avec la température du milieu, et, probablement, avec la taille de l'animal; le calcul montre que, chez l'homme, la limite est dépassée dans le cas d'un fort repas de viande (131). 11 faut faire intervenir aussi la marge de la thermogenèse dans l'étude de la ration de travail; le supplément de ration nécessité par la production d'un même travail mécanique extérieur à l'organisme, diffère suivant la répartition de ce travail dans le temps (40, 83).
 
M. Lefèvre (du Havre) est arrivé d'une façon parallèle et indépendante à formuler autrement la même notion. En 1906, dans une belle expérience dont j'ai utilisé les résultats, il a donné (sur l'homme) la seule détermination expérimentale que je connaisse de la marge de la thermogenèse. En 1902, quand il a commencé à s'occuper théoriquement de la question, j'ai eu l'occasion de faire remarquer que, dès 1894, j'avais explicitement tenu compte de la distinction que nous avons l'un et l'autre précisée plus tard, entre la chaleur totale dégagée, et la chaleur dégagée en même temps par le travail intérieur qui ne peut s'arrêter (83).
 
 
* Sur l'explication physiologique de l'usage du sel.
 
* 1896
** (51). Documents ethnographiques sur l'alimentation minérale, L'Anthropologie, numéro de mars;
** (52). Sur l'explication physiologique de l'usage du sel comme condiment, Société de Biologie, 30 mai.
* 1908
** (162). Sur l'explication physiologique de l'usage du sel; discussion contre Bunge de certains documents ethnographiques, Société de Biologie, 6 juin.
L'usage du sel, c'est-à-dire du chlorure de sodium ajouté aux aliments, est répandu dans le monde entier; non que tous les peuples aient cet usage, mais partout les voyageurs sont frappés comme par une exception lorsqu'ils rencontrent des populations méprisant ce condiment. Les physiologistes ont par suite été amenés à considérer le sel comme nécessaire; mais nous n'avons pas d'explication physiologique de ce besoin. Une théorie très séduisante a été proposée par M. Bunge.
 
L'alimentation végétale est la condition du besoin du sel (chlorure de sodium), car on observe régulièrement la concomitance des deux faits. Un grand nombre d'animaux herbivores soit domestiques, soit sauvages, recherchent avidement le sel; on n'a jamais rien observé de pareil pour aucun carnivore. Parmi les hommes, les populations agricoles, c'est-à-dire celles dont la nourriture est surtout empruntée aux végétaux, consomment du sel. Lorsque les conditions géographiques font que ce minéral est rare dans une région habitée par des agriculteurs, ceux-ci considèrent le sel comme extrêmement précieux et le recherchent avec une avidité frappante. Au contraire, les peuples chasseurs et pasteurs ne consomment pas de sel, même quand ils vivent dans le voisinage de la mer, des sources salées ou d'efflorescences salines. Or, si l'on compare la composition minérale d'un régime carnivore, d'une part, et d'un régime végétal de l'autre, on voit que la différence caractéristique porte, non pas sur l'absence de sels de sodium dans le régime végétal, mais sur un grand excès de sels de potassium dans ce régime. Bunge admet, en vertu d'un raisonnement précis, que le passage de ces sels de potasse à travers l'organisme tend à dépouiller celui-ci de son chlorure de sodium. C'est à couvrir cette perte qu'est destinée l'ingestion volontaire du sel marin.
 
Dans cette théorie il y a deux points distincts:
 
* 1) Le régime végétal est la cause du besoin de sel, ou du moins coexiste toujours avec l'appétit pour ce condiment. Ce point parait acquis. Pour ce qui regarde l'homme en particulier, l'enquête ethnographique à laquelle s'est livré Bunge est très démonstrative; et les faits nouveaux la confirment. C'est ainsi que j'ai pu, dans le voyage de la Sémiramis, noter celui-ci, dans une région sur laquelle Bunge avouait manquer de renseignements, l'Insulinde. A Florès, les indigènes essentiellement agricoles ont, malgré l'état peu avancé de leur industrie en général, constitué une méthode assez perfectionnée pour l'extraction du sel marin. Pendant la saison sèche de chaque année, les villages envoient au bord de la mer un petit groupe de femmes qui vient y camper sous les palétuviers pour se livrer à la préparation du sel. La boue noire que les racines des palétuviers maintiennent au niveau des hautes marées, se sature de sel au point que sa surface est blanchie par les efflorescences. Cette boue saline sert à préparer par lixiviation une solution à peu près saturée qui est ensuite dans une bassine porté à l'ébullition jusqu'à ce que le sel commence à cristalliser à chaud; la bouillie cristalline est alors versée sur un filtre grossier de feuilles de latanier tressées; les cristaux sont retenus, les eaux-mères s'écoulent à travers le filtre, et, s'évaporant encore à l'air libre, déposent une sorte de stalactite à la pointe du filtre. Le sel ainsi obtenu est tout à fait blanc, et parait du chlorure de sodium aussi pur que notre meilleur sel de cuisine.
* 2) Le second point serait l'explication physiologique du premier; le besoin de sel est causé par l'ingestion excessive de sels de potassium; il répond à un déficit en chlorure de potassium;
je pensai trouver un contrôle de cette théorie dans le fait suivant. Les explorateurs de la région du Congo nous ont fait connaître que les indigènes remplacent le sel marin par un sel extrait des cendres de certaines plantes. Cette contrée est dépourvue des gisements naturels de sel, et, en fait jusqu'à une époque récente, était privée de communications avec la mer; les nègres qui l'habitent sont agriculteurs; il est intéressant de constater qu'ils se sont ingéniés à se procurer malgré tout un sel de cuisine. Mais ce sel est-il du chlorure de sodium, ou tout au moins un mélange de sels où le métal dominant soit le sodium? Les végétaux sont généralement riches en potassium, mais il y a quelques exceptions. Si les nègres africains avaient su trouver de ces plantes exceptionnelles pour les incinérer et en tirer un sel sodique, la théorie de Bunge se trouvait confirmée d'une façon éclatante. Je m'efforçai d'obtenir des renseignements sur ce point; j'en cherchai inutilement en Abyssinie, quand j'y passai en 1892; enfin, en 1895, mon ami le Docteur Herr, à qui j'avais, lors de son départ, signalé la question, me rapporta d'une exploration sur la Sangha un échantillon de sel de cendres.
 
Pour préparer ce sel, les nègres prennent systématiquement certaines espèces de plantes aquatiques, notamment une aroïdée flottante, "Pistia Stratiotes", qui serait même cultivée dans ce but. Ces plantes sont récoltées, séchées, incinérées; les cendres sont placées dans un panier conique formant filtre, épuisées par de l'eau; la solution est concentrée par ébullition dans un vase de terre où on la laisse cristalliser par refroidissement.
 
Ce sel de cendres est essentiellement potassique, à telle enseigne que, placé dans la flamme d'un bec Bunsen, il donne une coloration violette (or, 1 p. de NaCl mélangé à 20 p. de KCl donne déjà une flamme nettement jaune). J'indiquai cette constatation comme inconciliable avec la théorie de Bunge (51 et 52). Bunge, en soulevant d'ailleurs des doutes discrets sur la valeur de mon analyse, répondit qu'il s'agissait là d'une aberration de l'instinct, sans signification physiologique. Je lui envoyai un échantillon de mon sel; il vérifia que ce sel contenait 200 de potassium pour 1 de sodium. Bientôt Léon Fredericq confirmait, en l'étendant, le fait signalé par moi, et déclarait se rallier entièrement à mon opinion, et quelques années plus tard, Abderhalden donnait une nouvelle observation du même genre.
 
Cette année même, M. Bunge a repris la discussion. Il s'agit de savoir, dit-il, si l'usage de ces sels potassiques constitue « la règle pour les tribus nègres de l'Afrique ou si ce n'est pas plutôt l'exception ». Il a donc cherché à se procurer ce qu'il appelle des succédanés du sel de cuisine provenant de diverses régions de l'Afrique, de façon à dresser une espèce de statistique comparative des sels potassiques et des sels sodiques. Cinq échantillons lui ont été adressés par deux voyageurs; tous les cinq se sont révélés à l'analyse plus riches en sodium qu'en potassium; j'ai fait remarquer ceci (162). Tous les sels potassiques ont été recueillis dans une région continue qui commence à quelque distance au sud du lac Tchad et se prolonge vers le Sud-Est jusqu'à 3000 kilomètres de là; c'est tout le bassin du Congo, plus des annexes. Tous les sels sodiques de Bunge ont été recueillis dans d'autres régions, et la plupart d'entre eux sont des sels de sebkha, une forme naturelle bien connue du vrai sel de cuisine. Les documents invoqués par Bunge ne diminuent donc en rien la signification de la coutume congolaise. Dans toute une étendue six fois grande comme la France, pour 20 ou 25 millions d'êtres humains, l'usage des sels de cendres à base de potasse était la règle; dans cette étendue, on n'a encore signalé aucune exception. Le fait que j'ai opposé à la théorie de Bunge est donc plus que jamais valable. Quant à l'explication à mettre à la place de celle-là, j'ai noté que d'autres condiments, les piments, par exemple, sont également très recherchés par les peuples agricoles; la nourriture par les céréales étant généralement fade, c'est comme excitant sensoriel que le sel serait employé. Il semble donc que Salluste ait, à propos d'un cas particulier, embrassé la question tout entière, lorsqu'il écrivait: "Numidae plerumque lacte et carne ferina vescebantur, et neque salem neque alia irritamenta gulae quaerebant".
 
 
* Sur l'intensité des combustions vitales aux diverses altitudes et sa mesure.
 
* 1901
** (82). Observation sur une communication de M. Hénocque intitulée: "Etude de l'activité de la réduction de l'oxyhémoglobine dans les ascensions en ballon, Société de Biologie, 23 novembre.
* 1904
** (100). Observation sur la communication de M. X intitulée: "Expériences faites au Mont-Blanc en 1903 sur l'activité des combustions organiques aux hautes altitudes, Société de Biologie, 16 août;
** (100 bis). Critiques générales sur la mesure de l'activité des échanges par la méthode de Hénocque, Société de Biologie, 12 novembre.
 
L'intensité des combustions vitales chez les homéothermes, étudiée du côté des apports alimentaires, m'était apparue comme réglée avec précision par la déperdition thermique et fort peu dépendante de toute autre condition. Aussi, quand M. Hénocque, en 1901, apporta à la Société de Biologie une série d'expériences, exécutées soit dans la montagne, soit en ballon, et démontrant que les combustions de l'homme augmentent avec l'altitude, jusqu'à doubler pour une altitude de 3 à 4000 mètres, j'émis des doutes sur la signification des résultats, et notamment sur la valeur de la technique; quelque temps auparavant, j'avais essayé cette technique pour mes recherches personnelles et j'avais été amené à la rejeter complètement. En 1904, M. X, après des observations faites au Mont-Blanc avec la méthode de Hénocque, vint affirmer sans réserve que les combustions organiques diminuent à mesure que l'altitude augmente. Je fis remarquer la contradiction entre ce résultat et le précédent, tandis qu'il parait certain que l'altitude n'a aucune influence par elle-même; je réitérai que la méthode de Hénocque, si elle est d'une facilité d'emploi séduisante, donne des résultats quelconques. Environ six mois plus tard, M. X. vint apporter d'autres expériences faites par la même méthode. Je publiai alors « afin de réaliser pour l'avenir une économie de temps » une critique systématique de cette méthode. La méthode de Hénocque, systématisation malheureuse d'une amusante expérience de Vierordt, consistait à arrêter par une ligature élastique la circulation dans un doigt (le pouce), à observer, avec un petit spectroscope à vision directe, la lunule de l'ongle coloré en rose par le sang sous-jacent et à noter combien de temps après la ligature les deux bandes du spectre de l'oxyhémoglobine disparaissent. Les défauts sont: 1) Manque de précision dans les lectures; 2) Ignorance de la quantité d'oxyhémoglobine à réduire (la proportion dans le sang n'a qu'un rapport vague avec la question); 3) Détermination sur une portion du corps formée d'os, de tendons, de tissu conjonctif, et conclusion pour l'ensemble de l'organisme, où le foie et les muscles jouent le rôle principal; 4) Température variable du pouce, qui peut ainsi présenter, dans un milieu froid, une diminution de ses échanges pendant que les échanges de l'ensemble de l'organisme augmentent; 5) A posteriori, contradictions flagrantes entre les résultats publiés par divers observateurs. Depuis ce moment, on n'a plus entendu parler à la Société de Biologie de la méthode de Hénocque.