« Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque » : différence entre les versions

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* Malais: 52; 2072; 60; 1,15.
 
Dans l'étude des rations alimentaires, la quantité d'albumine et la valeur énergétique totale se présentent ensemble et ne peuvent pas être séparées, puisque l'équilibre d'azote n'est possible que si les besoins énergétiques sont couverts. Mais pour l'exposition, je vais examiner successivement les deux points de vue.
 
 
* Besoin d'albumine.
 
Dans la dernière colonne du tableau ci-dessus, on voit qu'il peut suffire de moins d'un gramme par kilogramme; mais les chiffres de cet ordre se rapportent à des conditions expérimentales, à des observations de courte durée; il convient d'attacher une importance plus grande aux observations ethniques, comme les trois dernières du tableau; ces observations, en effet, quand elles ont été bien choisies, chez les peuples primitifs où les règles diététiques sont remarquablement uniformes et stables, représentent des millions d'expériences durables, et le fait qu'un peuple en vit prouve sans conteste qu'un tel régime suffit à tous les besoins. On voit alors, dans le cas systématiquement choisi des ressources naturelles pauvres en albumine, la ration se fixer aux environs de 1 gramme par kilogramme. Cette règle donnée par moi en 1894, pour le minimum d'albumine, a remplacé, en France, les règles de Voit et Pettenkofer, et c'est elle qu'on retrouve actuellement dans tous les traités d'hygiène et les manuels de physiologie, explicitement rapportée à mon nom.
 
En posant cette règle pratique, je faisais, au point de vue théorique, toute réserve sur sa signification; j'estimais que le besoin réel devait être beaucoup plus bas, et j'ajoutais cette phrase qui a été souvent reproduite: « En réalité, nous ne connaissons du besoin d'albumine pas plus la grandeur que la cause. » Cette réserve s'est trouvée justifiée lorsque, dans ces dernières années, on en est venu à distinguer les diverses albuminoïdes par les proportions des diverses peptides qui en sont les matériaux constitutifs. On doit maintenant concevoir le besoin minimum d'albumine comme différant beaucoup suivant la nature des albumines fournies. Ainsi je m'explique le fait suivant que j'avais constaté, il y a quinze ans, que j'avais vérifié en étendant les constatations, et qui restait pour moi paradoxal. Le riz se montre insuffisant comme matière alimentaire; tous les peuples dont il est la céréale, Hindous, Malais, Indochinois, Chinois et Japonais, y ajoutent quelque peu de nourriture animale considérée par eux comme indispensable. Or, le riz, consommé seul, à la dose où il couvrirait les besoins énergétiques, donnerait une quantité d'albuminoïdes qui se montre suffisante dans les régimes expérimentaux. La contradiction s'explique par ce fait qu'il s'agit, dans un cas, d'albumine végétale, dans l'autre, au moins pour une partie, d'albumine animale, chimiquement plus voisine de nos tissus et plus apte à la rénovation de ceux-ci.
 
 
* Besoin énergétique; influence des races et des climats.
 
Reprenant dans le tableau ci-dessus les calories de la ration, et calculant les calories ingérées, soit par unité de poids, soit par unité de surface, on obtient les chiffres suivants, auxquels j'ajoute la ration donnée par Rubner (Allemand):
 
* Poids du sujet en kilogrammes
* Calories
* Par kilogramme
* Par mètre carré
* Ouvrier de Voit et Pettenkofer: 70; 43,6; 1470;
* Hirschfeld: 73; 45,4; 1560;
* Sujet de Lapicque et Marette: 73; 41,4; 1420;
* Rubner: 67; 46,2; 1520;
* Kumagawa: 48; 51,6; 1505;
* Japonais de Tsuboï et Murato: 46; 56; 1490;
* Abyssins: 32; 39,2; 1160;
* Malais: 52; 39,8; 1220.
 
Les calories rapportées à l'unité de poids donnent, en chiffres ronds, pour la moyenne des Européens, 44; pour les Japonais, 54; pour les Abyssins et les Malais, sensiblement le même chiffre, 39 à 40. S'agit-il d'une différence ethnique? Mais si nous calculons la surface (simplement au moyen de la formule approximative bien connue, qui donne pour l'homme en fonction du poids P, la surface S = 12,3*P(2/2), le nombre des calories par mètre carré devient, pour les Européens, 1492; pour les Japonais, 1498, c'est-à-dire l'égalité (fortuitement presque exacte). Ce sont deux races de taille différente, vivant sous la même latitude : la nourriture fixée par l'instinct apporte, avec des matériaux différents, la même quantité d'énergie à surface égale. Pour les Abyssins et pour les Malais, deux races bien distinctes entre elles (les Malais étant proches parents des Japonais), on obtient dans les mêmes conditions une quantité de chaleur sensiblement plus faible, égale aux 4/5 de la précédente, ce qui s'explique par le fait qu'ils vivent dans des pays plus chauds. (Parmi les chiffres des Européens, le plus faible est celui de mon expérience; celle-ci a été faite au mois d'août.) Conclusions : Au point de vue des consommations alimentaires, les différences de races dans l'espèce humaine n'influent que comme différences de grandeur corporelle; seules, les données géométriques et physiques conditionnant la perte de chaleur règlent ces consommations. Cette constatation, que je trouvais en étudiant la question de l'albumine, se rattache d'une façon heureuse aux recherches sur les animaux faites spécialement dans cette direction par d'autres auteurs. Elle contribua à établir que le point de vue énergétique est quantitativement le plus important dans la théorie de l'alimentation.
 
Je défendis ce point de vue à un moment où il était encore très contesté, dans l'article « Aliments » du Dictionnaire de Physiologie, article fait en collaboration avec M. Richet (40) et dans le cours public que je faisais à l'Ecole d'Anthropologie (85). J'y pris parti pour la théorie des substitutions isodynames de Rubner, théorie étroitement liée à cette conception énergétique, et devenue aujourd'hui classique ; pour les mêmes raisons théoriques, et aussi en vertu des constatations faites dans mes expériences, j'admis l'utilisation isodyname des petites quantités d'alcool, fait péremptoirement démontré plus tard par Atwater et Benedikt; je repoussai complètement l'idée d'aliments d'épargne et j'expliquai, par un mécanisme nerveux, l'illusion subjective qui avait donné lieu à cette idée (1). En 1902, quelques physiologistes des plus éminents étaient encore rebelles à l'idée qu'un pardessus ou du charbon de calorifère peut remplacer un bifteck (2). M. Larguier des Bancels, dans un travail exécuté sous ma direction, ajouta au faisceau des preuves antérieures un fait qui me parait particulièrement démonstratif. Des pigeons furent soumis à des températures variées par périodes de plusieurs jours consécutifs; ils conservèrent un poids sensiblement constant; leur consommation alimentaire étant notée avec précision, il fut constaté qu'entre 8 degrés et 27 degrés la quantité de nourriture absorbée est fonction (à peu près linéaire) de l'écart de température entre l'animal et le milieu; la nourriture offerte aux pigeons et prise par eux suivant leurs besoins était du blé. Voici les chiffres d'une expérience:
 
* Température en degrés:
* Consommation journalière:
* Blé en grammes:
* Calories:
 
* Périodes:
 
* Janvier: 9-19; 12-29;
* 9,5; 21,38; 74,23; 12,9; 20,48; 71,11;
 
* Février: 29-4; 4-11; 11-21;
* 8,8; 23,08; 80,13; 25,6; 16,28; 56,52;
 
* Mars: 21-4; 4-15;
* 27,1; 15,86; 55,00; 8,8; 22,57; 78,36.
 
Si l'on considère les variations à partir de la température ordinaire, 13-18 degrés,
 
* (1) Cet exposé a été souvent cité et mis à contribution par les auteurs qui, ensuite, ont traité en France de l'alimentation et de la nutrition. Voir notamment Lambling: "Les échanges nutritifs", un fascicule de l'encyclopédie chimique, 1897, et "Notions générales sur la nutrition à l'état normal", dans le "Traité de Pathologie générale" de Bouchard, t. III, 1899.
 
* (2) Une grande partie de la discussion s'est faite oralement, notamment aux séances de la Société de Biologie, et c'est seulement de loin en loin qu'un des thèmes prenait la forme écrite.
 
** Elimination de l'azote