« Les Historiettes/Tome 3/59 » : différence entre les versions

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 381-387).


M. D’AVAUX[1].


M. d’Avaux étoit frère du président de Mesme. Nous avons dit, dans l’historiette de Voiture, qu’il aimoit les femmes, et qu’il n’étoit pas mal fait. Il en conta ici à la fille d’un conseiller au Châtelet, nommé M. d’Amours. C’étoit une belle fille, et qui avoit deux beaux noms, car elle s’appeloit Aurore d’Amours. On croit qu’il a eu assez de privautés avec elle ; et comme il ne voulut pas l’épouser, elle se fit religieuse. M. d’Avaux avoit déjà été ambassadeur à Venise, et avoit fait la paix du Nord, quand cette belle se mit dans un couvent. Dans le Septentrion, il passoit pour un fort grand personnage et pour un homme de bien. Le mari de la comtesse Éléonore, fille du roi de Danemark[2], que nous avons vu ici avec sa femme, disoit que M. d’Avaux les avoit pensé faire devenir fous en Danemark, tant il faisoit le roi, et qu’une fois il lui dit en riant : « Bien, monsieur, voilà qui est bien : faisons bien la comédie. »

M. d’Avaux étoit l’homme de la robe qui avoit le plus de bel esprit, et qui écrivoit le mieux en françois. On croit que le cardinal de Richelieu ne l’aimoit point quoiqu’il l’employât. Le feu Roi mort, cet homme, avec cette réputation, avoit droit de prétendre quelque chose. On lui donne une abbaye de dix-huit mille livres de rente : il la reçoit pour un de ses neveux, fils de son cadet M. d’Irval, ne voulant pas apparemment tenir cela pour une récompense, et aussi ne voulant pas que ce bénéfice fût perdu pour sa famille[3]. La Reine, ou plutôt M. de Beauvais, le fait surintendant des finances avec M. Le Bailleul. Le cardinal Mazarin ne pouvoit alors empêcher qu’on ne l’élevât ; mais après il lui fit donner l’emploi de Munster pour l’éloigner. Servien, qui devoit aller ambassadeur à Rome, fut proposé par Lyonne en la place de Chavigny pour être son collègue. Ils ne furent pas long-temps ensemble sans se quereller. Dès Charleville, Servien eut un courrier particulier ; cela donna de la jalousie à l’autre. D’un autre côté, d’Avaux avoit un grand équipage, car, avec les appointements de surintendant et les quinze cents écus qu’ils touchoient par mois de la cour, comme plénipotentiaire, il avoit cinquante mille écus à manger. Servien le pria de considérer qu’il n’avoit pas tant à dépenser, et qu’il lui feroit plaisir de se régler, afin qu’il n’y eût point tant de différence. D’Avaux répondit que chacun faisoit de son bien ce qu’il vouloit.

D’ailleurs, on dit qu’il y avoit eu un peu de galanterie, et qu’il en avoit conté à madame Servien, qui eût été quasi la petite-fille de son mari, et qui étoit jolie et coquette. Il y a un recueil imprimé des lettres, ou plutôt des factums que lui et Servien ont écrits l’un contre l’autre. Enfin, M. de Longueville les accommoda, ou du moins fit en sorte qu’il n’y eut plus de scandale.

En 1647, que se fit la rupture de la paix générale, la cour ne fut pas trop satisfaite de lui, et le cardinal dit au président de Mesme qu’il savoit bien que d’Avaux ne l’aimoit pas. Il avoit Lyonne pour ennemi. Il étoit surintendant des finances ; M. d’Émery ne vouloit point un tel collègue, et d’ailleurs on avoit quelque soupçon qu’il ne pensât au chapeau, car il faisoit furieusement le catholique : il avoit dit que la religion catholique étoit ruinée en Allemagne si on faisoit ce que les Protestants demandoient. Il dit, plaignant le duc de Bavière, que c’étoit le prince le plus catholique de l’Europe. Il porta les intérêts des ennemis de la Landgrave de Hesse, et, allant en Hollande pour empêcher la paix avec l’Espagne, il demanda la liberté de conscience. On a cru qu’il faisoit cela pour porter les Catholiques d’Allemagne à demander pour lui un chapeau de cardinal. L’année d’après il eut ordre de la cour de revenir à Paris, dans sa maison ; de ne se point mêler de sa charge de surintendant des finances, et de ne voir le Roi ni la Reine. Il vint à Roissy chez son frère aîné, entre Paris et Senlis. Depuis, il se démit volontairement de sa surintendance, lorsqu’il avoit comme refait sa paix, et que d’Émery étoit mort.

Dès ce temps-là la dévotion l’avoit pris. Un jour, Ogier, le prédicateur[4], à qui il avoit donné deux mille livres de rente sur cette abbaye de son neveu, ayant pressenti que M. d’Avaux méditoit sa retraite, lui dit, comme ils étoient dans cette belle maison qu’il a fait bâtir rue Sainte-Avoie[5] : « Voici qui est magnifique ; mais ce n’est rien en comparaison de cette maison céleste, etc. » L’autre s’ouvrit à lui. Il avoit résolu de se retirer dans une espèce de désert en Bretagne, d’y bâtir quelque couvent, ou même d’instituer quelque nouvel ordre ; car ne croyez pas que cet homme manquât de vanité, il en avoit : témoin cette maison dont nous venons de parler. Elle revient à huit cent mille livres ; cependant elle est petite, et il n’y a pas un appartement complet : la place seule lui tenoit lieu de deux cent cinquante mille livres. Dans leur partage, il y avoit des maisons qu’on louoit fort bien ; ailleurs, pour la somme qu’il y a employée, il eût fait un beau bâtiment ; mais il vouloit bâtir in fundo avito, car les de Mesme se piquent furieusement de noblesse, quoique leur bisaïeul ne fût qu’un docteur en droit à Toulouse ; mais ils disent que c’étoit un gentilhomme qui montroit le droit pour son plaisir, et qu’ils font venir d’un consul Memmius ; au moins se sont-ils laissé cajoler de ce grotesque[6].

Il avoit la tête un peu bien petite pour avoir beaucoup de cervelle, et il me souvient qu’il mena étourdiment le cardinal Mazarin à l’oraison funèbre du feu Roi que fit Ogier, où il y avoit bien des choses contre le cardinal de Richelieu. La mort ne lui permit pas de faire cette retraite. Il mourut de fièvre, en 1650, à l’âge de cinquante-cinq ans ou environ. Son frère de Mesme mit dans les billets d’enterrement : haut et puissant seigneur et commandeur des ordres du Roi[7]. Il faut être évêque, archevêque ou cardinal pour cela. Il avoit été officier (de l’ordre) et s’étoit conservé le cordon ; il étoit charitable. Durant qu’on bâtissoit sa maison, il faisoit payer les journées et panser à ses dépens les ouvriers qui se blessoient. Il ne fit point de testament ; peut-être ne croyoit-il pas mourir si tôt ? On dit qu’il avoit dessein de faire le fils aîné de M. d’Irval, aujourd’hui d’Avaux, son héritier. Il avoit prié Frotté, cet homme qui fut si fidèle au maréchal de Marillac, son maître, de l’avertir de donner sa vaisselle d’argent aux pauvres. Frotté l’oublia. Sa femme s’en ressouvint et l’écrivit à M. de Mesme. Pepin, son intendant, lui en parla. Il dit : « On trouvera un écrit pour cela dans mon cabinet. » Mais pour moi, je doute que le président de Mesme en ait rien fait, car il donna si peu aux valets, dont il y en avoit tel qui avoit servi vingt ans M. d’Avaux, que c’étoit une chose honteuse[8].

D’Avaux oublia cruellement le pauvre Ogier le Danois[9], qui n’a jamais rien eu de lui après l’avoir servi dans tout le Septentrion, et y avoir ruiné sa santé. Mais il défendit de demander compte à Pepin, son intendant, « car, dit-il, je ne crois pas qu’il me doive rien, » et il lui laissa la maison où il loge. On consulta si on devoit faire une oraison funèbre. Ogier dit que comme on ne pouvoit s’empêcher de parler du grand effort qu’il fit à Munster pour faire signer la paix, cela choqueroit la cour. Cet Ogier a fait son éloge au-devant des sermons qu’il a donnés au public.

Le président de Mesme traitoit si fort ses frères de haut en bas, qu’il ne daignoit quasi leur ôter le chapeau. Il ne se levoit pas et disoit : « Donnez un siége à mon frère. » Ce n’étoit point par familiarité, c’étoit par orgueil[10]. Il avoit aimé les femmes, et il disoit, quand il en avoit payé quelqu’une, car je crois qu’il n’en avoit guère autrement, qu’il lui étoit permis de demander : « Il m’en a tant coûté ; trouvez-vous que ce soit trop cher ? » Comme on dit : « Cette étoffe me coûte tant, ai-je été trompé ? » Il mourut un mois après son frère d’Avaux. Il laissa sa charge de président au mortier à son neveu d’Avaux, à condition qu’il épouseroit une de ses filles ; il en a deux. La charge lui sera comptée pour quatre cent mille livres, et pour rien si sa fille ne le veut pas épouser. C’est pour conserver la charge dans sa famille, et M. d’Irval doit exercer la charge jusqu’à ce que son fils soit en âge. Ce fils est reçu en survivance, et je pense qu’il la laissera exercer à son père tant qu’il voudra. On l’appelle le président de Mesme ; il y a un dicton au Palais : De Mesme toujours de Mesme. Quand il parloit d’un conseiller qu’il estimoit : « C’est, disoit-il, un grand sénateur. » Il railloit M. d’Irval, son cadet, comme un écolier, et M. d’Avaux comme un avocat. Il avoit cent mille livres de rente en fonds de terre. La confiscation de Bussy, frère de sa première femme, tué par Bouteville, lui a valu quarante mille livres de rente. La veuve, qui est de Fossé, et qui a inclination pour l’épée, a donné sa fille en catimini à La Vivonne, fils de Mortemart.

  1. Caude de Mesme, comte d’Avaux, né en 1595, mort à Paris le 19 novembre 1650.
  2. De ces filles d’une femme qu’il épousa comme une femme de conscience. (T.)
  3. En une autre rencontre il eut de la cour quarante mille écus dont il acheta une charge à un d’Erbigny, fils de sa sœur, et une compagnie aux gardes, qu’il donna au frère de celui-là. (T.)
  4. François Ogier, prédicateur du Roi, acquit dans son temps de la célébrité. Il prit la défense de Balzac contre le père Goulu, général des Feuillants, qui l’avoit grossièrement attaqué.
  5. Cet hôtel subsiste encore ; mais il a éprouvé de grands changements, parce qu’il a été converti en maison de commerce. Il est situé dans la rue Sainte-Avoie, vis-à-vis d’un passage nouvellement ouvert, qui conduit à la rue du Chaume.
  6. Ils se disent originaires de Chalosse-Cujas, écrit à Memmius, son collègue. (T.)
  7. Cependant les autres officiers de l’ordre le mettent, et il y a fondement à cela dans l’institution, tant tout y est bien digéré. (T.)
  8. D’Avaux leur donnoit beaucoup. (T.)
  9. Charles Ogier, frère aîné du prédicateur. Secrétaire du comte d’Avaux, il l’accompagna dans ses ambassades en Suède, en Danemark et en Pologne. On a de lui Ephemerides, sive iter Danicum, Suecicum, Polonicum ; Paris, 1656, in-8o, ouvrage posthume publié par son frère.
  10. Il appeloit sa femme Demoiselle. Le président de Thou, l’historien, appeloit la sienne Domine. Blondel, le ministre, appeloit la sienne ma Gaîne. Les médisants disoient que c’étoit une coutelière. (T.)