Armand Duval
George Duval, père d'Armand.
Gaston Rieux
Saint-Gaudens
Gustave
Le compte de Giray
Arthur de Varville
Le docteur
un commissionnaire
Domestiques
Marguerite Gauthier
Nichette
Prudence
Nanine
Olympe
Arthur
Esther
Anais
Adèle
PRÉFACE
Si jamais artistes ont eu droit à la reconnaissance d'un auteur, ce sont bien certainement ceux que j'ai eu le bonheur d'avoir pour interprètes dans la Dame aux Camélias. Du reste, je ne fais que répéter ici avec toute ma reconnaissance ce que le public a prouvé avec enthousiasme, ce que la presse a confirmé avec sincérité.
Merci donc : A M me Doche qui s'est incarné le rôle de telle façon que son nom est à jamais inséparable du titre de la pièce. Il fallait toute la distinction, toute la grâce, toute la fantaisie qu'elle a montrées sans efforts pour que le type difficile et franc de Marguerite Gauthier fût accepté sans discussion. Rien qu'en voyant paraître l'actrice, la salle s'est sentie prête à tout par- donner à l'héroïne. Je ne crois pas qu'une autre personne, à quelque théâtre qu'elle appartînt et quelque talent qu'elle eût, eût réuni, comme elle l'a fait, toutes les sympathies au- tour de cette création exceptionnelle. Gaieté fine, élégante, nerveuse, abandon familier, câlineries mélancoliques, dévoue- ment, passion, douleur, résignation, toutes les délicates études de la vie qu'elle avait à peindre, toutes les phases par les- quelles le cœur de la femme peut passer, le calme, la sérénité, la pudeur dans la mort qui devait racheter en une minute le souvenir de cette vie, M me Doche a eu tout cela, c'est- à-dire toute l'âme du rôle, sans compter la jeunesse, l'éclat, la beauté, l'élégance qui le complétaient physiquement et qui en étaient le corps et la plastique indispensables. Il n'y a pas eu un conseil à lui donner, pas une observation à lui faire ; c'est au point qu'après lui avoir vu jouer le rôle de cette façon, je me demande si ce n'est pas elle qui l'a écrit. Une pareille artiste n'est plus une interprète, c'est un collaborateur.
Merci à Fechter. Que dirai-je de lui , que tout le monde ne dise et ne sache ? Fechter est l'artiste jeune, ardent, enthousiaste, entraînant par excellence. Quelle variété dans le talent, quelle habileté simple dans la composition, quelle exécution merveilleuse, saisissante, électrique ! Que ce soit dans Mauvais Cœur, à l'Ambigu, dans les Frères Corses, au Théâtre-Historique, dans Claudie, à la Porte-Saint-Martin, dans Hortense de Cerny ou dans la Dame aux Camélias, au Vaudeville, il est toujours l'homme du rôle d'abord ; puis, ces
— G —
inspirations heureuses, inattendues, qui enlèvent toute une salle et qui sont le cachet des grands artistes, donnent tout à coup au personnage des allures et des proportions que l'au- teur lui-même, avec toutes ses ambitions, n'avait pas soup- çonnées. L'illusion est complète dans la Dame aux Camé- lias; ce n'est plus un artiste qui joue, c'est l'homme pris sur le fait. Fechter a le geste, le regard, la voix de nos émotions les plus intimes, de nos passions les plus fréquentes. 11 est lui, il est nous. Pour ce drame où j'ai tâché que la rampe disparût et que le spectateur fût en communication directe avec les personnages, pour cette étude où j'ai voulu que toute une génération se retrouvât vivante, jusque dans ses erreurs, ot aurais-je trouvé un complice plus sûr que Fechter, jeune pas l'âge, mûr par le talent ? J'ai du bonheur, je dois l'avouer ; je cherche, et je me demande en vain qui aurait donné à Armand Duval la poésie convaincante, la jalousie noble, les suscepti- bilités indescriptibles, le naturel, l'effroi dont il a nuancé les trois premiers actes. Quant à l'emportement du quatrième, à la fin duquel la salie entière s'est levée pour l'acclamer et le rappeler, lui et M me Doche, si je n'étais si content d'avoir fait la pièce, je voudrais qu'elle fût d'un autre pour pouvoir dire de Fechter tout ce qui doit être dit à ce sujet. Son cœur battait dans toute la salle. Au cinquième acte, il a trouvé la note la plus navrante de la douleur humaine. Heureux le con- frère qui lui fera son prochain rôle ! Heureux moi qui, public à mon tour, irai l'entendre et battre des mains !
Merci à Mme Astruc. Composer, exécuter ainsi un pareil rôle qui consiste à escompter en pièces de vingt francs les impres- sions de la jeunesse des autres, et à louvoyer dans un monde à part, à un âge mitoyen, entre toutes sortes de nécessités à exploiter et de petits services à rendre, à ne toucher au cœur que par le point où il touche à la poche, c'était difficile, con- venons-en. Il fallait le talent robuste d'une artiste consommée. Ce talent, Mme Astruc Ta eu et l'aura pour tous ceux de mes nouveaux confrères qui, comme moi, auront la bonne idée de lui demander son concours.
Il y a dans cette pièce un type, celui du jeune homme dés- œuvré, bon garçon, vivant le cœur à l'air et la bourse ouverte. Ce type, Luguêt se l'est assimilé d'une façon merveilleuse. Rien de plus charmant que ce débraillé de bon goût, rien de plus touchant que ce garde-malade du cinquième acte :Luguet est tout bonnement un grand artiste. L'homme, qui à la fin d'un rôle gai, trouve le regard qu'il jette sur Marguerite morte, e( qui, personnage secondaire, met ainsi sa douleur silencieuse au premier plan, est un talent sérieux et plein d'avenir. Merci à lui et de tout mon cœur.
— Y
Dans un personnage qui ne fait que traverser la pièce et elle a bien voulu se charger, Mlle Worms a mis la grâce, le charme de voix, la cordialité jeune et franche, le sentiment délicat et distingué que nous avons si souvent admiré au Théâ- tre-Français. Mlle Worms méritait un plus long rôle. En en- tendant cette voix fraîche et sympathique, le public a oublié que Nichette n'avait peut-être pas tout à fait droit à la cou- ronne blanche des mariées véritables, il s'est laissé tricher par l'artiste et il a encore remercié celle qui lui gagnait sa sym- pathie.
Je suis très-reconnaissant à M. Dolannoy d'avoir accepté le rôle où il a trouvé les larmes et le pathétique, que l'on croyait incompatibles avec ses joyeuses créations du passé. Ce sera une lois de plus la preuve qu'il ne faut pas spécialiser les ta- lents, surtout au théâtre.
Le rôle de Gustave avait besoin de tenue, de distinction, de jeunesse et de verve. M. Lagrange a eu toutes les qualités qu'il fallait.
Je contracte une dette vis-à-vis de M Irma Granier, et j'espère pouvoir la payer un jour, en demandant un appui au jeu alerte et spirituel de cette jeune artiste.
Melle Glary a quitté les ingénuités pour un rôle qui n'est rien moins qu'ingénu, je l'en remercie; et, du reste, elle a prouvé par la scène du souper au premier acte, par l'entrain qu'elle y a mis, par la grâce dont elle l'a entourée, une intelligence applicable à tous les emplois.
Gil Perez a été étourdissant. Je rêvais ce type de vieux jeune, mais je n'espérais pas le trouver. Rendons à César ce qui appar- tient à César. Perez a fait son rôle, qui n'était qu'indiqué. Si tous les artistes étaient comme lui, il n'y aurait plus besoin d'au- teurs : les pièces se feraient toutes seules.
M. Allie, dans le rôle difficile du comte, de l'homme du monde jeune, insoucieux, de bonne famille, en contact d'amour mon- nayé avec la femme du hasard, a eu toute la dignité, toute l'élégance, tout le scepticisme, je dirai même toute la philo- sophie dont le rôle avait besoin.
M. Dupuis, d'un rôle ingrat, a su faire une figure, et, dans les deux faces bien tranchées de ce rôle, a mis des effets réels.
Mlle Clorinde porte gaillardement le costume d'Arthur et lance avec esprit les quelques mots qu'elle a à dire.
Oh ! je n'oublierai pas M. Roger, le commissionnaire du qua- trième acte, la fatalité à vingt sous la course ; sa voix ferme, bien notée, entre sans effort dans l'harmonie de la scène. Il est rare de trouver une si grande intelligence pour un si petit rôle.
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Si j'ai gardé pour la fin Hippolyte Worms, qui a bien voulu se charger du rôle du docteur, j'ai mes raisons : il me fallait de la place. J'ai à le remercier trois fois.
La première, parce qu'il a accepté ce rôle, qu'il a tenu avec une dignité parfaite.
La seconde, parce que c'est à lui que je dois que la pièce ait été reçue au Vaudeville. C'est lui qui, après la fermeture du Théâtre-Historique, où la Dame aux Camélias devait être re- présentée, s'est fait franchement l'apologiste de mon drame, Va fait lire et recevoir au directeur du Vaudeville.
La troisième raison, c'est qu'il a mis cette pièce en scène d'une façon remarquable, d'autant plus remarquable, que tout est intimité d'un bout à l'autre, et qu'il a fallu trouver de la variété dans une chose uniforme.
Enfin, merci à Bouffé, dont la conviction à l'endroit de cette pièce n'a pas été ébranlée un seul instant ni par les obstacles matériels, ni par l'opposition systématique que nous avons eu à combattre à la censure, et que M. le comte de Morny a tran- chée si résolument.
M. Montaubry, le chef d'orchestre , a animé la scène du souper d'une ronde vigoureuse, originale, facile, et. avec une habileté pleine de sentiment, a fait revenir, au dernier acte, au moment de la mort de Marguerite, ce motif gai, comme un souvenir constant de la vie folle qui s'exhalait.
Merci à tout le monde, enfin, car il est impossible de trou- ver plus de confiance dans l'ouvrage, plus de conscience et de patience dans l'étude, plus de talent dans les artistes, plus de sympathie et plus d'encouragement dans le public.
J'ai l'air d'avoir dit beaucoup, eh bien ! ce que j'ai dit n'est rien, à côté de ce que je pense,
A. DUMAS fils,
8 février 1852.
ACTE I
Boudoir de Marguerite. — Une porte au fond. — A droite, une cheminée. — A gauche, une croisée. — Entre la porte du fond et la porte de gauche, une porte ouverte qui laisse voir une table avec candélabres. — A droite, entre la cheminée et la porte du fond, une autre porte. — tables, fauteuils et chaises.
Scène I
nanine, travaillant, varville, assis à la cheminée.
On a sonné Nanine.
Valentin ira ouvrir.
C’est Marguerite, sans doute.
Pas encore; elle ne doit rentrer qu'à dix heures et demie, et il est à peine dix heures... Tiens, c'est Mlle Nichette.
Scène II
les mêmes, nichette
Marguerite n’est pas là ?
Non, mademoiselle. Vous vouliez la voir ?
Je passais devant sa porte, et je montais pour lui dire bonsoir; mais puisqu'elle n'y est pas, je m'en vais.
Attendez-la un peu, elle va rentrer.
Je n’ai pas le temps. Gustave est en bas… Elle va bien ?
Toujours de même.
Avez-vous fait le petit paquet que je vous avez priée de faire ?
Oui. Est-ce que vous allez l’emporter ?
Pourquoi pas ?
Je vous l’enverrai, pour vous épargner cette peine.
A quoi bon ?
Le fait est qu’il n’est pas gros.
Dites à Marguerite que je viendrai la voir ces jours-ci, et que je l'embrasse. Adieu, Nanine adieu, monsieur.
Elle salue et sort
Scène III
nanine, varville
Qu’est-ce que c’est que cette jeune fille ?
C’est Mlle Nichette.
Nichette, c'est un nom de chatte, ce n'est pas un nom de femme.
Aussi est-ce un surnom , et l'appelle-t-on ainsi parce qu'avec ses cheveux frisés elle a une petite tête de chatte. Elle a été camarade de madame, dans le magasin où madame était autrefois.
Marguerite a donc été dans un magasin ?
Elle a été lingère.
Tiens !
Vous l'ignoriez? Elle ne s'en cache pourtant pas.
Elle est jolie cette petite Nichette.
Et sage !
Mais ce M. Gustave?
Quel M. Gustave?
Dont parlait Mlle Nichette, et qui l'attendait en bas.
C'est son mari.
C'est M. Nichette?
Il n'est pas encore son mari, mais il le sera.
En un mot, c'est son amant. Bien, bien... elle est sage, mais elle a un amant.
Qui n'aime qu'elle, comme elle n'aime et n'a jamais aimé que lui, et qui l'épousera, c'est moi qui vous le dis. Mlle Nichette est une très-honnête fille.
se levant et venant à nanine.
Après tout, peu m'importe. Décidément, mes affaires n'avancent pas ici.
Pas le moins du monde.
Il faut avouer que Marguerite...
Quoi?
A une drôle d'idée de recevoir toujours M. de Mauriac, lui ne doit pas être amusant.
Pauvre homme! c'est son seul bonheur... Il est son père... ou à peu près.
Ah! oui... il y a une histoire très pathétique là-dessus, malheureusement...
Malheureusement?
Je n'y crois pas.
Écoutez, monsieur de Varville, il y a peut-être bien des choses vraies à dire sur le compte de madame, mais c'est une raison de plus pour ne pas dire celles qui ne le sont pas. Or, voici ce que je puis vous affirmer, car je l'ai vu, de mes propres yeux vu, et Dieu sait que madame ne m'a pas fait la leçon, puisqu'elle n'a aucune raison de vous tromper, et ne tient ni à être bien, ni à être mal avec vous. Je puis donc affirmer qu'il y a deux ans, madame, après la maladie qu'elle venait de faire, est allée aux eaux pour achever de se rétablir. Je l'accompagnais. Parmi les malades de la maison des bains, il y avait une jeune fille à peu près de son âge, atteinte de la même maladie qu'elle, seulement atteinte au troisième degré, et lui ressemblant comme une sœur jumelle. Cette jeune fille, c'était Mlle de Mauriac, la fille du duc.
Mlle de Mauriac mourut.
Oui.
Et le duc, désespéré, retrouvant dans les traits, dans l'âge, et jusque dans la maladie de Marguerite, l'image de sa fille, la supplia de le recevoir et de lui permettre de l'aimer comme son enfant. Alors Marguerite lui avoua sa position.
Car madame ne ment jamais.
Naturellement. Et comme Marguerite ne ressemblait pas à Mlle de Mauriac autant au moral qu'au physique, le duc lui promit tout ce qu'elle voudrait, si elle consentait à changer d'existence, ce à quoi s'engagea Marguerite, — qui, naturellement encore, de retour à Paris, se garda de tenir parole; et le duc... comme elle ne lui rendait que la moitié de son bonheur, a retranché la moitié du revenu; si bien qu'aujourd'hui elle a 50,000 fr. de dettes.
Que vous offrez de payer. Malheureusement, on aime mieux devoir de l'argent à d'autres, que de vous devoir de là reconnaissance à vous.
D'autant plus que M. le comte de Giray est là.
Vous êtes insupportable. Tout ce que je puis vous dire, c'est que l'histoire du duc est réelle, je vous en donne ma parole. Quant au comte, c'est un ami.
Prononcez donc bien.
Oui, un ami! Quelle mauvaise langue vous êtes! — Mais on sonne. C'est madame. Faut-il lui répéter tout ce que vous avez dit?
Non, Nanine.
Vous mériteriez que je ne prisse pas cette bourse.
Scène IV
les mêmes, marguerite
Va dire qu'on nous fasse à souper ; Olympe et Saint-Gaudens vont venir... je les ai rencontrés à l'Opéra.
A Varville.
Vous voilà, vous ?
Elle va s'asseoir à la cheminée.
Est-ce que ma destinée n'est pas de vous attendre?
Mais, est-ce que ma destinée à moi est de vous voir ?
Jusqu'à ce que vous me défendiez votre porte, je viendrai.
En effet, je ne peux pas rentrer une fois sans vous trouver là. Qu'est-ce que vous avez encore à me dire?
Vous le savez bien.
Bah ! toujours la même chose ; vous êtes monotone, Varville.
Est-ce ma faute, si je vous aime !
Ah la bonne raison! Mon cher, s'il me fallait écouter tous ceux qui m'aiment, je n'aurais seulement pas le temps de dîner. Pour la centième fois, je vous le répète, mon cher Varville, vous n'arriverez à rien. Je vous laisse venir ici à toute heure, entrer quand je suis là, m'attendre quand je suis sortie, je ne sais pas trop pourquoi ; mais si vous devez me parler sans cesse de votre amour, je vous consigne.
Cependant, Marguerite, l'année passée, à Bagnères, vous m'aviez donné quelque espoir.
Ah mon cher, c'était à Bagnères, j'étais malade, je m'ennuyais... Ici, ce n'est pas la même chose, je me porte mieux, et je ne m'ennuie plus.
Je conçois que lorsqu'on est aimé du duc de Mauriac...
Imbécile !
Et qu'on aime M. de Giray... .
Je suis libre d'aimer qui je veux, cela ne regarde personne, vous moins que tout autre; et si vous n'avez pas autre chose à dire, je vous le répète, allez-vous-en.
Varville se promène
Vous ne voulez pas vous en aller ?
Non!
Alors, mettez-vous au piano ; le piano, c'est votre seule qualité.
Que faut-il jouer ?
Nanine rentre.
Ce que vous voudrez.
Scène V
les mêmes, nanine
Tu as commandé le souper ?
Oui, madame.
Qu'est-ce que vous jouez là, Varville ?
Une rêverie de Rosellen.
C'est très-joli!...
Écoutez, Marguerite, j'ai quatre-vingt mille francs de rentes.
Et moi, j'en ai cent.
Marguerite, vous me rendrez fou !
As-tu vu Prudence?
Oui, madame.
Elle viendra ce soir?
Oui, madame, en rentrant. Mlle Nichette est venue aussi.
Chère petite ! J'irai la voir demain. Il vaut mieux que j'aille chez elle que de la laisser venir ici.
Le docteur est venu.
Qu'a-t-il dit?
II a recommandé que madame se reposât.
Ce bon docteur ! Est-ce tout ?
Non, madame ; on a apporté un bouquet.
De ma part.
Roses et lilas blanc. Mets ce bouquet dans ta chambre , Nanine.
Vous n'en voulez pas ?
Comment m'appelle-t-on ?
Marguerite Gautier.
Et quel surnom m'a-t-on donné encore?
Celui de la Dame aux camélias.
Pourquoi?
Parce que vous ne portez jamais que ces fleurs.
Ce qui veut dire que je n'aime que celles-là , et qu'il est inutile de m'en envoyer d'autres. Si vous croyez que je ferai une exception pour vous, vous avez tort. Les parfums me rendent malade. Emporte ce bouquet.
Je n'ai pas de bonheur. Adieu, Marguerite.
Adieu!
Scène VI
les mêmes, olympe, saint-gaudens, nanine
Madame, voici Mlle Olympe et M. Saint-Gaudens.
Arrive donc, Olympe, j'ai cru que tu ne viendrais plus.
C'est la faute de Saint-Gaudens.
C'est toujours ma faute. Bonjour, Varville.
Bonjour, cher ami.
Vous soupez avec nous ?
Non.
Et vous, chère petite, comment allez-vous?
Très-bien.
Allons, tant mieux! va-t-on s'amuser ici ?
On s'amuse toujours où vous êtes.
Méchante ! Ah ! ce cher Varville, qui ne soupe pas avec nous, cela me fait une peine affreuse.
A Marguerite.
En passant devant la Maison d'Or, j'ai dit qu'on apporte des huîtres et un certain Champagne qu'on ne donne qu'à moi. Il est parfait... Il est parfait.
Et Prudence, va-t-elle venir?
Oui.
Pourquoi n'as-tu pas invité Edmond?
Pourquoi ne l'as-tu pas amené ?
Et Saint-Gaudens !
Est-ce qu'il n'y est pas habitué ?
Pas encore, ma chère; à son âge on prend si difficilement une habitude, et surtout une bonne.
Le souper doit être prêt.
Dans cinq minutes, madame. Où faudra-t-il servir? dans la salle à manger?
Non, ici, nous serons mieux.— Eh bien Varville, vous n'êtes pas encore parti ?
Je pars.
Prudence !
Prudence demeure donc en face ?
Elle demeure même dans la maison, tu le sais bien ; presque toutes nos fenêtres correspondent. Nous ne sommes séparées que par une petite cour c‘est très-commode, quand j'ai besoin d'elle.
Ah çà ! qu'est-ce qu'elle fait, Prudence ?
Elle est modiste.
Et il n'y a que moi qui lui achète des chapeaux.
Que tu ne mets jamais.
C'est bien assez de les acheter, ils sont affreux ; mais ce n'est pas une mauvaise femme, et elle a besoin d'argent.
Appelant.
Prudence !
Me voilà !
Pourquoi ne venez-vous pas, puisque vous êtes rentrée ?
Je ne puis pas.
Qui vous en empêche?
J'ai deux jeunes gens chez moi , ils m'ont invitée à souper.
Eh bien ! amenez-les souper ici, cela reviendra au même. Comment les nomme-t-on ?
Il y en a un que vous connaissez, Gaston Rieux.
Oui, je le connais. Et l'autre ?
L'autre est son ami.
Cela suffît; alors, arrivez vite... Il fait froid ce soir...
Elle tousse un peu. — A Olympe, en venant s'asseoir à côté d'elle.
Et tu vas bien, toi ?
Mais oui.
Varville, mettez donc du bois au feu, on gèle ici ; rendez vous utile, au moins, puisque vous ne pouvez pas être agréable,
Scène VII
les mêmes, gaston, armand, prudence, un domestique
M. Gaston Rieux, M. Armand Du val, Mme Duvernoy.
Quel genre ! Voilà comme on annonce ici.
Je croyais qu'il y avait du monde.
Voilà madame Duvernoy qui commence ses politesses.
Comment allez-vous, madame?
Bien, et vous, monsieur?
Ah ! comme on se parle ici !
Gaston est devenu un homme comme il faut; et d'ailleurs, Eugénie m'arracherait les yeux, si nous nous parlions autrement.
Les mains d'Eugénie sont trop petites et vos yeux sont trop grands.
Assez de marivaudage. Ma chère Marguerite, permettez-moi de vous présenter M. Armand Duval.
Faut-il que je me lève?
Non, madame, c'est inutile.
L'homme de Paris, qui est le plus amoureux de vous.
Dites qu'on mette deux couverts de plus, alors; car je crois que cet amour-là n'empêchera pas monsieur de souper.
Elle tend sa main à Armand qui baise cette main et s'incline.
Ah ! ce cher Gaston ! Que je suis aise de le voir !
Toujours jeune, mon vieux Saint-Gaudens.
Mais oui.
Et les amours ?
Vous voyez.
Je vous fais mon compliment.
J'avais une peur affreuse de trouver Amanda ici.
Cette pauvre Amanda ! Elle vous aimait bien.
Elle m'aimait trop. Il y avait un jeune homme qu'elle ne pouvait cesser de voir, c'était le banquier.
Il rit.
C'était là une position que je ne pouvais lui faire perdre. J'étais l'amant de cœur. C'était charmant, mais il fallait se cacher dans les armoires, rôder dans les escaliers, attendre dans la rue.
Cela vous donnait des rhumatismes.
Non, mais le temps change. Il faut que jeunesse se passe. Ce pauvre Varville qui ne soupe pas avec nous, cela me fait une peine affreuse.
Il est superbe ! il a dix-huit ans.
Il n'y a que les vieux qui ne vieillissent pas, il est superbe.
Est-ce que vous êtes parent, monsieur, de M. Duval, procureur général?
Oui, monsieur, c'est mon père. Le connaîtriez-vous?
Je l'ai connu autrefois, chez la baronne de Nersay, ainsi que Mme Duval, votre mère, qui était une bien belle et bien charmante personne.
Elle est morte il y a trois ans.
Pardonnez-moi, monsieur, d'avoir rappelé ce souvenir.
On peut toujours me rappeler ma mère ; les grandes et pures affections ont cela de beau , qu'après le bonheur de les avoir éprouvées, il reste le bonheur de s'en souvenir.
Vous êtes fils unique ?
J'ai une sœur...
Marguerite et Gaston s'en vont causer en se promenant dans le fond du théâtre.
Il est charmant, votre ami.
Je le crois bien. Et de plus, il a pour vous un amour extravagant; n'est-ce pas, Prudence?
Quoi?
Je disais à Marguerite qu'Armand est fou d'elle.
Il ne ment pas; vous ne pouvez pas vous faire une idée de ce que c'est.
Il vous aime, ma chère, à ne pas oser vous le dire.
Taisez-vous donc, Varville.
Vous me dites toujours de jouer du piano.
Quand je suis seule avec vous ; mais quand il y a du monde, non.
Qu'est-ce qu'on dit là, tout bas?
Écoute, et tu le sauras.
Et cet amour dure depuis deux ans.
C'est déjà un vieillard que cet amour-là.
Armand passe sa vie chez Gustave et chez Nichette pour entendre parler de vous.
Quand vous avez été malade, il y a un an, avant de partir pour Bagnères, pendant les trois mois que vous êtes restée au lit, on vous a dit que tous les jours un jeune homme venait savoir de vos nouvelles , sans dire son nom.
Je me rappelle...
C'était lui.
C'est très-gentil, cela.
Appelant
M. Duval ?
Madame...
Savez-vous ce qu'on me dit ? On me dit que pendant que j'étais malade, vous êtes venu tous les jours savoir de mes nouvelles.
C'est la vérité, madame.
C'est bien le moins alors que je vous remercie. Entendez vous, Varville, vous n'en avez pas fait autant.
Il n'y a pas un an que je vous connais...
Et monsieur qui ne me connaît que depuis cinq minutes... Vous dites toujours des bêtises.
Nanine entre, précédant les domestiques qui portent la table.
A table ! Je meurs de faim.
Adieu, Marguerite.
Adieu, mon cher ami, quand vous verra-t-on ?
Quand vous voudrez !
Adieu, alors.
Messieurs...
Adieu, Varville, adieu, mon bon.
Pendant ce temps, deux domestiques ont mis la table toute servie. — On se met à table.
Scène VIII
Les mêmes, moins varville
Ma chère enfant, vous êtes vraiment trop méchante avec le baron.
Il est assommant. I1 vient toujours me proposer de me faire des rentes.
Tu t'en plains ! Je voudrais bien qu'il m'en proposât, à moi.
C'est agréable pour moi, ce que tu dis là.
D'abord, mon cher, je vous prie de ne pas me tutoyer, je ne vous connais pas.
Mes enfants, servez-vous, buvez, mangez, mais ne vous dis putez que juste ce qu'il faut pour se raccommoder après.
Sais-tu ce qu'il m'a donné pour ma fête?
Qui?
Non.
Un coupé !
De chez Binder ?
Oui, mais je n'ai pas pu parvenir à lui faire donner les chevaux.
C'est toujours un coupé.
Alors, il faut que je m’attelle, si je veux m'en servir ; ce serait joli à voir.
Je suis ruiné, aimez-moi pour moi-même.
Parbleu ! la belle occupation !
Quelles sont ces petites bêtes ?
Des perdreaux.
Donne-m'en un.
Ah ! il ne lui faut qu'un perdreau à la fois. Quelle belle fourchette ! Est-ce que c'est elle qui a ruiné Saint-Gaudens?
Elle ! Elle, est-ce que c'est comme ça qu'on parle à une femme ? De mon temps...
Ah ! elle va nous parler de Louis XV. — Marguerite, fais donc boire Armand ; il est triste comme une chanson à boire.
Allons, monsieur Armand, à ma santé !
A la santé de Marguerite !
A propos de chanson à boire, si on en chantait une en buvant?
Toujours les vieilles traditions... Je suis sûr que Prudence a eu une passion dans le Caveau.
C'est bon ! c'est bon !
Toujours chanter en soupant, c'est absurde.
Moi, j'aime ça; ça égaye. Allons, Marguerite, chantez la chanson de Philoxène ; un poète qui fait des vers.
Qu'est-ce que tu veux qu'il fasse ?
Mais qui fait des vers à Marguerite... c'est sa spécialité. Allons, la chanson.
Je proteste au nom de toute notre génération.
Qu'on vote !
Tous lèvent la main, excepté Gaston. La chanson est votée. Gaston, donne le bon exemple aux minorités.
Soit. Mais je n'aime pas les vers de Philoxène, je les connais. J'aime mieux chanter, puisqu'il le faut.
il chante.
Musique de Montaubry, chef d'orchestre du Vaudeville.
Il est un ciel que Mahomet
Offre par ses apôtres, Mais les plaisirs qu'il nous promet Ne valent pas les nôtres.
Ne croyons à rien
Qu'à ce qu'on tient bien, Et pour moi je préfère
A ce ciel douteux
L'éclair de deux yeux Reflété dans mon verre.
Dieu fit l'amour et le vin bons,
Car il aimait la terre, On dit parfois que nous vivons D'une façon légère. On dit ce qu'on veut, On fait ce qu'on peut, Fi du censeur sévère Pour qui tout serait Charmant, s'il voyait A travers notre verre.
C'est pourtant vrai que la vie est gaie et que Prudence est grasse.
Il y a trente ans que c'est comme cela.
Il faut en finir avec cette plaisanterie... Quel âge crois-tu donc que j'aie ?
Je crois que tu as quarante ans bien sonnés.
Elle est bonne encore avec ses quarante ans, j'ai eu trente-cinq ans l'année dernière.
Ce qui t'en fait déjà trente-six. Eh bien ! vous n'en paraissez pas plus de quarante, parole d'honneur !
Dites donc, Saint-Gaudens, à propos d'âge, on m'a raconté une histoire sur votre compte.
Et à moi aussi.
Quelle histoire ?
Il est question d'un fiacre jaune.
Elle est vraie, ma chère.
Marguerite, passez-moi du turbot.
Ah ça ! Prudence a l'estomac en fer-blanc.
Est-ce qu'il est défendu de manger maintenant?
Voyons l'histoire du fiacre jaune.
Il faut vous dire, mes enfants, que cet affreux Saint-Gaudens que vous voyez là, qui ne m'a pas encore fait un sou de rente...
Je t'en ferai.
Ne me tutoyez pas, s'il vous plaît.
Je vous en ferai, quand j'aurai hérité de mon oncle.
Son oncle ! En voilà une bonne !... avec ça qu'à son âge on est encore le neveu de quelqu'un ! C'est donc le Juif errant, votre oncle ?
Peut-être.
Alors, il n'y aura que cinq sous d'héritage... mauvaise af- faire.
Voyons, veut-on savoir l'histoire du fiacre jaune?
Oui, mais laissez-moi aller me mettre à côté de Marguerite, je m'ennuie à côté de Prudence.
Voilà un gaillard bien élevé.
Gaston, tâchez de rester tranquille.
Quel excellent souper !
Je le vois venir, il veut esquiver l'histoire du fiacre jaune.
saint-gaudens
Oh! cela m'est bien égal.
Eh bien ! figurez-vous que Saint-Gaudens était amoureux d'Amanda.
Je suis trop ému, il faut que j'embrasse Marguerite.
Mon cher, vous êtes insupportable.
Olympe est furieuse, parce que je lui ai fait manquer son effet.
Olympe a raison. Gaston est aussi ennuyeux que Varville, on va le mettre à la petite table, comme les enfants qui ne sont pas sages.
Oui, allez vous mettre là-bas.
A la condition qu'à la fin les dames m'embrasseront.
Prudence fera la quête et vous embrassera pour nous toutes.
Non pas, non pas, je veux que vous m'embrassiez vous mêmes.
C'est bon, on vous embrassera ; allez vous asseoir et ne dites rien. — Un jour, ou plutôt un soir...
Il est faux, le piano.
Ne lui répondons plus.
Elle m'ennuie cette histoire-là.
Gaston a raison.
Et puis, qu'est-ce que ça prouve, votre histoire ? que Saint-Gaudens était trompé par Amanda! Qui est-ce qui n'a pas été trompé ! On sait bien qu'on est toujours trompé par ses amis et ses maîtresses. C'est vieux comme les rues !
Saint-Gaudens est un héros, je propose un toast à Saint-Gaudens...
Elle boit.
Mais nous allons être toutes folles de Saint- Gaudens! Que celles qui sont folles de Saint-Gaudens lèvent la main... Quelle unanimité!... Vive Saint-Gaudens ! Gaston, jouez-nous de quoi faire danser Saint-Gaudens.
Je ne sais qu'une polka.
Eh bien ! va pour une polka. Allons, Saint-Gaudens et Armand, rangez la table.
Je n'ai pas fini, moi.
Messieurs, Marguerite a dit Armand tout court.
Dépêchez-vous, voilà le passage où je m'embrouille.
Est-ce que je vais danser avec Saint-Gaudens, moi ?
Non, moi j'y danserai... Venez, mon petit Saint-Gaudens, venez.
Allons, Armand, allons.
Marguerite polke un peu et s'arrête tout à coup.
Qu'est-ce que vous avez ?
Rien. J'étouffe un peu.
Vous souffrez, madame?
Oh! ce n'est rien; continuons.
Allons.
Elle essaye de nouveau et s'arrête encore.
Tais-toi donc, Gaston.
Marguerite est malade.
Donnez-moi un verre d'eau.
Qu'avez- vous ?
Toujours la même chose. Mais ce n'est rien. Je vous le répète. Passez de l'autre côté, allumez un cigare, dans un instant, je suis à vous.
Laissons-la un peu, elle aime mieux être seule quand cela lui arrive ; ce n'est rien.
Allez, je vous rejoins.
Venez!
A part.
Il n'y a pas moyen de s'amuser un instant ici.
Pauvre fille.
Scène IX
marguerite
Seule.
Ah !...
Elle se regarde dans la glace.
Comme je suis pâle!... Ah !.. .
Elle met sa tête dans ses mains et appuie ses coudes sur la cheminée.
Scène X
marguerite
Eh bien! comment allez-vous, madame?
Ah! c'est vous, monsieur Armand, merci, je vais mieux... D'ailleurs, j'y suis habituée.
Vous vous tuez... Je voudrais être votre ami, votre parent, pour vous empêcher de vous faire mal ainsi.
Vous n'y arriveriez pas. Voyons, venez!... Ah ça! mais, qu'avez-vous?
Ce que je viens de voir m'a fait beaucoup de mal.
Ah ! vous êtes bien bon... voyez les autres, s'ils s'occupent de moi.
Les autres ne vous aiment pas comme je vous aime.
Ah ! c'est juste, j'avais oublié ce grand amour.
Vous en riez !
Dieu m'en garde ! j'entends tous les jours la même chose, je n'en ris plus.
Eh bien ! soit; mais cet amour vaut bien une promesse de votre part.
Laquelle?
Celle de ne plus vivre comme vous le faites et de vous soigner.
Me soigner... Est-ce que c'est possible?
Pourquoi pas?
Mais si je me soignais, je mourrais, mon cher. Ce qui me soutient, c'est la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner, c'est bon pour les femmes du monde, qui ont une famille et des amis ; mais nous, dès que nous ne pouvons plus servir au plaisir ou à la vanité de personne, on nous abandonne, et les longues soirées succèdent aux longs jours ; je le sais bien, allez ; j'ai été deux mois dans mon lit, au bout de trois semaines, personne ne venait plus me voir.
Il est vrai que je ne vous suis rien, mais si vous le vouliez, Marguerite, je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas et je vous guérirais. Alors, quand vous en auriez la force, vous reprendriez la vie que vous menez, si bon vous semblait; mais, j'en suis sûr, vous aimeriez mieux une existence tranquille, qui vous ferait plus heureuse et vous garderait jolie.
Vous avez le vin triste.
Est-ce que vous n'avez pas de cœur, Marguerite ?
Le cœur. C'est la seule chose qui fasse faire naufrage dans la traversée que je fais.
Alors, vous n'en avez pas?
J'en ai peut-être, mais cela m'étonnerait bien. Pourquoi me demandez-vous si j'en ai?
Parce que si vous avez du cœur, ou seulement de l'esprit, vous ne devez pas rire de mes paroles.
C'est donc sérieux?
Très-sérieux.
Prudence ne m'a pas trompée alors, quand elle m'a dit que vous étiez sentimental.
Est-ce bien ridicule ?
C'est selon à qui l'on s'adresse. Ainsi, vous me soigneriez ?
Oui!
Vous resteriez tous les jours auprès de moi ?
Oui ! tout le temps que je ne vous ennuierai.
Mais comment appelez-vous cela?
Du dévouement.
Et d'où vient ce dévouement ?
D'une sympathie irrésistible que j'ai pour vous.
Depuis...
Depuis deux ans. Depuis un jour où je vous ai vue passer devant moi, belle, fière, souriante. Depuis ce jour, j'ai suivi de loin et silencieusement votre existence.
Comment se fait-il que vous ne me disiez cela qu'aujourd'hui?
Je ne vous connaissais pas, Marguerite.
Il fallait faire ma connaissance. Pourquoi, lorsque j'ai été malade il y a un an, et que vous êtes si assidûment venu savoir de mes nouvelles, pourquoi n'êtes-vous pas monté me voir?
De quel droit l'aurais-je fait?
Est-ce qu'on se gêne avec une femme comme moi?
On se gêne toujours avec une femme... et puis,..
Et puis?...
J'avais peur de vous, de l'influence que vous pouviez prendre sur ma vie. J'en ai une preuve ce soir par l'émotion où me met l'état où vous êtes.
Ainsi, vous êtes amoureux de moi ?
Si je dois vous le dire un jour, ce n'est pas aujourd'hui.
Vous ferez mieux de ne me le dire jamais.
Pourquoi ?
Parce qu'il ne peut résulter que deux choses de cet aveu... ou que je n'y croie pas, alors vous m’en voudrez ; ou que j'y croie, alors vous aurez une triste société, celle d'une femme nerveuse, malade, triste, ou gaie d'une gaieté plus triste que le chagrin, une femme qui dépense cent mille francs par an; c'est bon pour un vieux richard comme le duc, mais c'est bien ennuyeux pour un jeune homme comme vous. Allons, nous disons là des enfantillages! Donnez-moi la main et rentrons dans la salle à manger; on ne doit pas savoir ce que notre absence veut dire.
Rentrez si bon vous semble, mais je vous demande la permission de rester ici.
Pourquoi ?
Parce que votre gaieté me fait trop de mal.
Voulez-vous que je vous donne un conseil?...
Dites.
Prenez la porte et sauvez-vous, si ce que vous me dites est réel ; ou bien alors, aimez-moi comme un bon ami, mais pas autrement. Venez me voir, nous rirons, nous causerons ; mais ne vous exagérez pas ce que je vaux, car je ne vaux pas grand chose. Vous avez un bon cœur, vous avez besoin d'être aimé ; vous êtes trop jeune et trop sensible pour vivre dans notre monde. Aimez une autre femme, ou mariez-vous. Vous voyez que je suis une bonne fille, et que je vous parle franchement.
Scène XI
les mêmes, prudence
Ah ça! que diable faites-vous là?
Nous parlons raison ; laissez-nous un peu. nous vous rejoindrons tout à l'heure.
Bien, bien, causez, mes enfants !
Scène XII
marguerite, armand
Ainsi, c'est convenu, vous ne m'aimez plus.
Je suivrai votre conseille et partirai.
C'est à ce point là?
Oui!
Que de gens m'en ont dit autant, qui ne sont pas partis.
C'est que vous les avez retenus.
Ma foi, non !
Vous n'avez donc jamais aimé personne?
Jamais, grâce à Dieu !
à Merci !
De quoi ?
De ce que vous venez de me dire ; rien ne pouvait me rendre plus heureux.
Quel original vous faites!
Si je vous disais, Marguerite, que j'ai passé des nuits entières sous vos fenêtres, que je garde depuis six mois un bouton tombé de votre gant.
Je ne vous croirais pas.
Vous avez raison, je suis un extravagant ; riez de moi, c'est ce qu'il y a de mieux à faire... Adieu.
Armand !
Vous me rappelez.
Je ne veux pas vous voir partir fâché.
Fâché contre vous, est-ce que c'est possible !
Voyons, dans tout ce que vous me dites, y a-t-il un peu de vrai?
Vous me le demandez !
Eh bien ! donnez-moi une poignée de main, venez me voir quelquefois, souvent... nous en reparlerons.
C'est trop, et ce n'est pas assez.
Alors, mon cher, faites votre carte vous-même, demandez ce que vous voudrez, puisque, à ce qu'il paraît, je vous dois quelque chose.
Ne parlez pas ainsi. Je ne veux plus vous voir rire avec les choses sérieuses.
Je ne ris plus.
Répondez-moi.
Voyons.
Voulez-vous être aimée... ?
C'est selon. Par qui?
Par moi !
Après?
Être aimée d'un amour profond, éternel?
Éternel?...
Oui.
Et si je vous crois tout de suite, que direz-vous de moi?
Que vous êtes un ange !
Non, vous direz de moi ce que tout le monde en dit. Qu'importe? puisque j'ai à vivre moins longtemps que les autres, il faut bien que je vive plus vite. Mais tranquillisez-vous, si éternel que soit votre amour et si peu de temps que j'aie à vivre, je vivrai encore plus longtemps que vous ne m'aimerez.
Marguerite!...
En attendant, vous avez le cœur bon, votre voix est sincère, vous croyez en ce moment à ce que vous dites. Tout cela mérite quelque chose... Prenez cette fleur,..
Qu'en ferai-je?
Vous me la rapporterez.
Quand?
Quand elle sera fanée.
Et combien de temps lui faudra-t-il pour cela ?
Mais ce qu'il faut à toute fleur pour se faner, l'espace d'un soir ou d'un matin.
Ah ! Marguerite, que je suis heureux !
Eh bien ! dites-moi encore que vous m'aimez.
Oh! oui, je vous aime!
Et maintenant, partez.
Je pars.
revient sur ses pas, lui baise une dernière fois la main et sort. — Rires dans la coulisse.
Scène XIII
marguerite
seule, et regardant la porte refermée.
Pourquoi pas? — A quoi bon! Ma vie va et s'use sans cesse de l'un à l'autre de ces deux mots.
{{personnageD|gaston|c|entrouvrant la porte.
Chœur des villageois.
il chante.
C'est une heureuse journée ! Unissons, dans ce beau jour, Les flambeaux de l'hyménée Avec les fleurs...
Vivent monsieur et madame Duval!
En avant le bal de noce !
C'est moi qui vais vous faire danser.
Mais comme je prends du plaisir!
Danse.
A cette fin d'acte , Prudence se coiffe d'un chapeau d'homme ,Gaston d'un chapeau de femme, etc., etc.
ACTE II
Chambre à coucher de Marguerite. — Une porte au fond. — A droite, une porte dérobée, masquée par un tableau. — Sur le premier plan, toujours du même côté, une élégante toilette, style Pompadour. — A gauche, une croisée, et, sur le premier plan, une cheminée. — Fauteuils et chaises.
Scène I
marguerite, nanine, prudence
Bonsoir, chère amie, avez-vous vu le duc?
Oui.
Il vous a donné?
Voici. Pouvez-vous me prêter trois ou quatre cents fr. ?
Les voici. Vous avez dit au duc que j'avais l'intention d'aller à la campagne?
Oui.
Qu'a-t-il répondu ?
Que vous aviez raison, que cela ne pouvait vous faire que du bien...Et que vous irez?
Je l'espère ; J'ai encore été voir la maison aujourd'hui.
Combien veut-on la louer?
Deux mille francs.
Ah ça ! c'est de l'amour, ma chère.
J'en ai peur ; c'est peut-être une passion ; ce n'est peut-être qu'un caprice ; tout ce que je sais, c'est que c'est quelque chose.
Il est venu hier?
Vous le demandez?
Et il revient ce soir?
Il va venir.
Je le sais bien ! il est resté trois ou quatre heures à la maison.
Il vous a parlé de moi?
Il n'a fait que cela.
Que vous a-t-il dit ?
Qu'il vous aimait comme un fou.
Il y a longtemps que vous le connaissez?
Oui.
L'avez-vous vu amoureux quelquefois ?
Jamais.
Votre parole!
Sérieusement.
Si vous saviez quel bon cœur il a, comme il parle de sa mère et de sa sœur !
Quel malheur que des gens comme ceux-là n'aient pas cent mille livres de rente!
Quel bonheur, au contraire ! au moins ils sont sûrs que c'est eux seuls qu'on aime.
Prenant la main de Prudence et la mettant sur sa poitrine.
Tenez !
Quoi?
Eh bien ! le cœur me bat, vous ne sentez pas?
Pourquoi le cœur vous bat-il ?
Parce qu'il est dix heures et qu'il va venir.
C'est à ce point-là? je me sauve. Vous êtes dangereuse à connaître ; si cela se gagnait !
Va ouvrir, Nanine.
On n'a pas sonné.
Je te dis que si.
Scène II
prudence, marguerite
Ma chère, je vais prier pour vous.
Parce que?...
Parce que vous êtes en danger.
Peut-être bien.
Scène III
les mêmes, armand
Je savais bien, moi, qu'il avait sonné.
Vous ne me dites pas bonsoir, ingrat !
Pardon, ma chère Prudence; vous allez bien?
Oui, mes enfants. Je vous laisse, j'ai quelqu'un qui m'attend chez moi. — Adieu!
Elle sort
Scène IV
armand, marguerite
Venez vous mettre là.
Allons, venez vous mettre là.
M'y voici,
Vous m'aimez toujours autant?
Oh ! non !
Comment ?
Je vous aime mille fois plus.
Qu'avez-vous fait, aujourd'hui?...
J'ai été voir Prudence, Gustave et Nichette ; j'ai été partout où l'on pouvait parler de Marguerite.
Et ce soir?
Mon père m'avait écrit qu'il m'attendait à Tours, je lui ai répondu qu'il pouvait cesser de m'attendre. Est-ce que je suis en train d'aller à Tours ?
Cependant, il ne faut pas vous brouiller avec votre père.
Il n'y a pas de danger. Et vous, qu'avez-vous fait, ma dame?...
Moi, j'ai pensé à vous.
Bien vrai?
Bien vrai ! j'ai fait de beaux projets.
Vraiment ?
Oui.
Contez-moi cela.
Plus tard !
Pourquoi pas tout de suite?
Vous ne m'aimez peut-être pas encore assez ; quand ils seront réalisés, il sera temps de vous le dire ; sachez seulement que c'est de vous que je m'occupe.
De moi?
Oui, de vous que j'aime trop.
Voyons, qu'est-ce que c'est ?
A quoi bon ?
Je vous en supplie.
Est-ce que je puis avoir des secrets pour toi ?
J'écoute.
J'ai trouvé une combinaison.
Quelle combinaison ?
Je ne puis pas te la dire ; je ne puis te dire que les résultats qu'elle aura.
Et quels résultats aura-t-elle ?
Serais-tu heureux de passer l'été à la campagne avec moi ?
Tu le demandes !
Eh bien ! si ma combinaison réussit, et elle réussira, dans quinze jours d'ici je serai libre; je ne devrai plus rien, et nous irons ensemble passer l'été à la campagne.
Et tu ne peux pas me dire par quel moyen ?...
Non; seulement aime-moi comme je t'aime, et tout sera pour le mieux.
Et c'est vous seule qui avez trouvé cette combinaison , Marguerite?
Comme tu me dis cela !
Répondez-moi.
Eh bien ! oui, c'est moi seule.
Et c'est vous seule qui l'exécuterez?
Moi seule.
Avez-vous lu Manon Lescaut, Marguerite ?
Oui, le volume est là dans le salon.
Estimez-vous Des Grieux ?
Pourquoi cette question?
C'est qu'il y a un moment où Manon, elle aussi, a trouvé une combinaison, qui est de se faire donner de l'argent par M. de B***, et de le dépenser avec Des Grieux ; Marguerite, vous avez plus de cœur qu'elle, et moi j'ai plus de loyauté que lui !
Ce qui veut dire?...
Que si votre combinaison est dans le genre de la sienne, je ne l'accepte pas.
C'est bien, mon ami, n'en parlons plus... I1 a fait bien beau aujourd'hui, n'est-ce pas?
Oui, bien beau.
I1 y avait beaucoup de monde aux Champs-Elysées.
Beaucoup.
Ce sera comme ça jusqu'à la fin de la lune, n'est-ce pas?...
Eh ! que m'importe la lune !
Et de quoi voulez-vous que je vous parle?... Quand je vous dis que je vous aime, quand je vous en donne la preuve, vous devenez maussade; alors, je vous parle de la lune.
Que voulez-vous, Marguerite, je suis jaloux de la moindre de vos pensées ! ce que vous m'avez proposé tout à l'heure...
Oh ! nous y revenons !
Eh! mon Dieu oui, nous y revenons... Eh bien! ce que vous m'avez proposé me rendrait fou de joie ; mais le mystère qui précède l'exécution de ce projet ?...
Voyons, raisonnons un peu... tu m'aimes et tu voudrais passer deux ou trois mois avec moi, dans quelque coin qui ne fût pas cet affreux Paris.
Oui, je le voudrais.
Moi aussi je t'aime et j'en désire autant; mais pour cela, il faut ce que je n'ai pas. Tu n'es pas jaloux du duc, tu sais quels sentiments purs l'unissent à moi , laisse-moi donc faire.
Cependant...
Je t'aime, voyons, est-ce convenu?...
Mais...
Est-ce convenu, voyons?...
Pas encore.
Alors, tu reviendras me voir demain, et nous en reparle- rons.
Comment! je reviendrai te voir demain? tu me renvoies déjà?
Non, je ne te renvoie pas, tu peux rester encore un peu.
Encore un peu! tu attends quelqu'un?
Allons ! Voilà que tu vas recommencer !
Marguerite, tu me trompes.
Combien y a-t-il de temps que je te connais?
Quatre jours !
Qu'est-ce qui me forçait à te recevoir?
Rien.
Si je ne t'aimais pas, aurais-je le droit de te mettre à la porte, comme j'y mets Varville et tant d'autres?
Certainement.
Alors, mon ami, laisse-toi aimer, et ne te plains pas.
Pardon, mille fois pardon !
Si cela continue, je passerai ma vie à pardonner, avec toi.
Non, c'est la dernière fois. Tiens ! je m'en vais.
A la bonne heure. Demain, à midi, viens, nous déjeunerons ensemble.
A demain, alors.
A demain.
A midi !
A midi.
Tu me jures?
Quoi?
Que tu n'attends personne ?
Encore! je te jure que je t'aime, et que je n'aime que toi. Cela te suffit-il?...
Adieu !
Adieu, grand enfant !
Il hésite un instant et sort.
Scène V
marguerite
seule à la même place.
Quelle chose bizarre que la vie! Qui m'eût dit, il y a huit jours, que cet homme, que je ne connaissais pas, occuperait à ce point, et si vite, mon cœur et ma pensée? Qui sait ce que cela va devenir? Un amour sérieux pour moi serait probablement un malheur. M'aime-t-il d'ailleurs, sais-je seulement si je l'aime, moi qui n'ai jamais aimé ? Pourquoi sacrifier une joie ?.. On en a si peu ! Pourquoi ne pas se laisser aller aux caprices de son cœur?... Que suis-je? une créature du hasard ! Laissons donc le hasard faire de moi ce qu'il voudra. C'est égal, il me semble que je suis plus heureuse que je ne l'ai encore été. C'est peut-être d'un mauvais augure ; nous, nous prévoyons toujours qu'on nous aimera; jamais que nous aimerons : si bien qu'aux premières atteintes de ce mal imprévu, nous ne savons plus où nous en sommes.
Scène VI
marguerite, nanine, le comte
M. le comte.
Bonsoir, comte...
Bonsoir, chère amie. Comment va-t-on ce soir ?
Bien.
Il fait un froid du diable ! Vous m'avez écrit de venir à dix heures et demie. Vous voyez que je suis exact.
Nous avons à causer, mon cher comte.
Avez-vous soupé ?...
Oui, pourquoi?...
Parce que nous aurions été souper, et nous aurions causé en soupant.
Vous avez faim ?
On a toujours assez faim pour souper. J'ai si mal dîné au club.
Qu'est-ce qu'on y a fait?...
On jouait quand je suis parti.
Saint-Gaudens perdait-il?...
Il perdait vingt-cinq louis, il criait pour mille écus.
Il a soupé l'autre soir ici avec Olympe.
Et puis, qui encore ?
Gaston de Rieux, vous le connaissez?...
Oui.
M. Armand Duval.
Qu'est-ce que c'est que M. Armand Duval?
C'est un ami de Gaston. Prudence et moi... Voilà le souper... On a beaucoup ri.
Si j'avais su, je serais venu. A propos, est-ce qu'il sortait quelqu'un d'ici tout à l'heure, un peu avant que j'entrasse ?
Non, personne.
C'est qu'au moment où je descendais de voiture, quelqu'un a couru vers moi, comme pour voir qui j'étais, et, après m'a- voir vu, s'est éloigné !
Serait-ce Armand?
Elle sonne.
Vous avez besoin de quelque chose ?...
Oui, il faut que je dise un mot à Nanine.
A Nanine, bas.
Descends, sors dans la rue, sans faire semblant de rien ; regarde si M. Armand Duval y est, et reviens me le dire.
Oui, madame.
Elle sort.
Il y a une nouvelle.
Laquelle?
Gagouki se marie.
Notre prince Polonais?
Lui-même.
Qui épouse-t-il?
Devinez !
Est-ce que je sais?
Il épouse la petite Adèle.
Elle fait là une fameuse sottise!
C'est lui qui en fait une.
Mon cher, quand un homme du monde épouse une fille comme Adèle, ce n'est pas lui qui fait une sottise, c'est elle qui fait une mauvaise affaire. Votre Polonais est ruiné, il a une détestable réputation, et s'il épouse Adèle, c'est pour les douze ou quinze mille livres de rentes que vous lui avez faites les uns après les autres.
Non, madame.
Maintenant, parlons de choses sérieuses, mon cher comte...
De choses sérieuses, j'aimerais mieux parler de choses gaies.
Nous verrons plus tard , si vous prenez la chose gaiement
J'écoute.
Le prix du papier timbré a joliment diminué.
Bah!
Oui, et c'est le vrai moment... Avez-vous de l'argent comp- tant?
De quoi?
De souscrire.
On a donc besoin d'argent ici ?
Hélas! il faut quinze mille francs!
Diable ! c'est un joli denier, et pourquoi faut-il quinze mille francs?...
Parce que je dois.
Vous payez donc vos créanciers ?
Il le faut bien.
Il le faut absolument?...
Oui.
Alors... c'est dit.
Madame, un commissionnaire vient d'apporter cette lettre, en disant qu'on vous la remît tout de suite.
Qui peut m'écrire à cette heure ?
Lisant.
Armand !
Qu'est-ce que cela signifie?…
« Je n'aime pas jouer de rôle ridicule, même auprès de la femme que j'aime... Au moment où je sortais de chez vous, M. le comte de Giray y entrait... Je n'ai ni l'âge ni le caractère de Saint-Gaudens ; pardonnez-moi le seul tort que j'aie, celui de ne pas être millionnaire, et oublions tous deux que nous nous sommes connus, et qu'un instant nous avons cru nous aimer... Quand vous recevrez cette lettre, j'aurai déjà quitté Paris. Armand!...»
Y a-t-il une réponse?...
Non, c'est bien. Allons, voilà un rêve évanouie . C'est dommage!
Qu'est-ce que c'est que cette lettre?
Ce que c'est, mon cher comte, c'est une bonne nouvelle pour vous.
Comment cela?
Vous gagnez quinze mille francs, à cette lettre-là!
Bah ! C'est la première qui m'en rapporte autant,
Oui... je n'ai plus besoin de ce que je vous demandais
Vos créanciers vous renvoient leurs notes acquittées?... Oh! que c'est gentil de leur part !
Non, j'étais amoureuse, mon cher.
Vous?
Moi-même.
Et de qui, bon Dieu !
D'un homme qui ne m'aimait pas, comme cela arrive sou- vent; d'un homme sans fortune, comme cela arrive toujours.
Ah ! oui, c'est avec ces amours-là que vous croyez vous réhabiliter des autres.
Et voici ce qu'il m'écrit.
Elle donne la lettre au comte.
Ma chère Marguerite... Tiens, tiens, c'est de M. Duval. Il est très jaloux ce monsieur... Ah! je comprends maintenant l'utilité des lettres de change. C'était joli ce que vous faisiez là !
Vous m'avez offert à souper.
Et je vous l'offre encore. Vous ne mangerez jamais pour quinze mille francs. C'est toujours une économie que je ferai
Eh bien ! allons souper, j'ai besoin de prendre l'air.
Il paraît que c'était sérieux ; vous êtes tout agitée, ma chère.
Oh! ce n'est rien.
A Nanine.
Donne-moi un châle et un chapeau!
Lequel, madame?
Le chapeau que tu voudras et un châle léger.
Au comte
Il faut nous prendre comme nous sommes, mon pauvre ami.
Oh ! je suis habitué à ces choses-là.
Madame aura froid !
Non.
Faudra-t-il attendre madame?...
Non, couche-toi, peut-être ne rentrerai-je que tard,.. Venez- Vous, comte ?
Scène VII
nanine, seule.
Il se passe quelque chose ici, madame est tout émue; c'est cette lettre de tout à l'heure qui la met dans cet état, sans doute... La voilà, cette lettre... Diable! M.Armand mène ron- dement les choses... Nommé il y a quatre jours, démission- naire aujourd'hui, il a vécu ce que vivent les hommes d'Etat,.. Tiens ! Madame Duvernoy.
Scène VIII
nanine, prudence
Marguerite est sortie?
Elle sort à l'instant.
Où est-elle allée?
Elle est allée souper.
Avec le comte?
Oui.
Elle a reçu une lettre, tout à l'heure?...
De M. Armand.
Qu'est-ce qu'elle a dit?
Rien.
Et elle va rentrer?
Oui, mais tard, sans doute. Je vous croyais couchée depuis longtemps.
Je l’étais et je dormais, quand j'ai été réveillée par des coups de sonnette redoublés, j'ai été ouvrir...
On frappe.
Entrez!
Madame fait demander une pelisse, elle a froid.
Madame est en bas?
Oui, madame est en voiture.
Priez-la de monter, dites-lui que c'est moi qui la demande,
Mais madame n'est pas seule, dans la voiture.
Ça ne fait rien, allez !
Prudence !
Allons, bon! voilà l'autre qui s'impatiente! Oh! les amoureux jaloux, ils sont tous les mêmes.
Eh bien?
Scène IX
prudence
à la fenêtre.
Attendez un peu, que diable! tout à l'heure je vous appellerai.
les mêmes, marguerite
Que me voulez- vous, ma chère Prudence?...
Armand est chez moi.
Qu'est-ce que cela me fait?
Il veut vous voir.
A quoi bon? je ne veux pas le recevoir; et d'ailleurs, je ne le puis, le comte m'attend en bas.
Je me garderai bien de faire une pareille commission. Il irait provoquer le comte. Vous ne vous doutez pas de l'état dans lequel il est.
Ah çà ! mais que veut-il ?
Est-ce que je sais? est-ce qu'il le sait lui-même?... Mais nous savons bien ce que c'est qu'un homme amoureux.
Madame veut-elle sa pelisse ?
Non, pas encore.
Eh bien! que décidez-vous?...
Ce garçon-là me rendra malheureuse, si je le revois.
Alors, ne le revoyez plus, ma chère.— Il vaut même mieux que les choses en restent où elles sont.
C'est votre avis ?
Certainement !
Qu'est-ce qu'il vous a dit encore?
Allons, vous voulez le revoir.-— Je vais le chercher. — Et le comte?...
Le comte, il attendra.
Il vaudrait peut-être mieux le congédier tout à fait.
Vous avez raison... Nanine, descends dire à M. deGiray que décidément je suis malade, et que je n'irai pas souper ; — qu'il m'excuse.
Oui, madame.
Armand, allons, venez ! Oh ! il ne se le fera pas dire deux fois.
Vous resterez ici pendant qu'il y sera.
Non pas. — Comme il viendrait un moment où vous me diriez de m'en aller, j'aime autant m'en aller tout de suite.
M. le comte est parti, madame.
Il n'a rien dit?
Non, mais il n'avait pas l'air content.
Scène X
les memes, armand
Marguerite, enfin !
Mes enfants, je vous laisse.
Scène XI
marguerite, armand
Marguerite...
Que voulez-vous?
Je veux que vous me pardonniez.
Vous ne le méritez pas!
Mouvement d'Armand.
J'admets que vous soyez jaloux et que vous m'écriviez une lettre irritée, mais non une lettre ironique et impertinente... Vous m'avez fait beaucoup de peine et beaucoup de mal.
Et vous, Marguerite, croyez-vous que vous ne m'en ayez pas fait?...
Si je vous en ai fait, c'est bien malgré moi.
Quand j'ai vu arriver le comte ici, quand je me suis dit que c'était pour lui que vous me renvoyiez, j'ai été comme un fou, j'ai perdu la tête, je vous ai écrit. Mais quand au lieu de recevoir à ma lettre la réponse que j'en attendais, quand, au lieu de vous disculper, vous m'avez froidement fait dire que cela était bien, et que vous n'aviez pas de réponse à me faire, ç'a été bien pis encore... Je me suis demandé ce que j'allais devenir, si je ne vous revoyais plus. — Le vide s'est fait instantanément autour de moi... N'oubliez pas, Marguerite, que si je ne vous connais que depuis quelques jours, je vous aime depuis deux ans.
Eh bien ! mon ami, vous avez pris une sage résolution.
Laquelle?...
Celle de partir. — Ne me l’avez-vous pas écrit ?
Est-ce que je le pourrais?
I1 le faut pourtant.
Il le faut?
Oui. — Non-seulement pour vous, mais pour moi. — Ma position me force à ne plus vous revoir, — et tout me défend de vous aimer.
Vous m'aimez donc un peu Marguerite?
Je vous aimais.
Et maintenant?
Maintenant, j'ai réfléchi, et ce que j'avais espéré est impossible.
Si vous m'aviez aimé, d'ailleurs, vous n'auriez pas reçu le comte, surtout ce soir.
Aussi, est-ce pour cela qu'il vaut mieux que nous n'allions pas plus loin. Je suis jeune, je suis jolie, je vous plaisais, je suis une bonne fille, vous êtes un garçon d'esprit, il fallait prendre de moi ce qu'il y a de bon, laisser ce qu'il y a de mauvais, et ne pas vous occuper du reste.
Ce n'est pas ainsi que vous me parliez tantôt, Marguerite, quand vous me faisiez entrevoir quelques mois à passer avec vous, seule, loin de Paris, loin du monde; c'est en tombant de cette espérance dans la réalité, que je me suis fait tant de mal.
C'est vrai... j'avais été plus loin; je m'étais dit : un peu de repos me ferait du bien ; il prend intérêt à ma santé, s'il y avait moyen de passer tranquillement l'été avec lui, dans quelque campagne, au fond de quelque bois, ce serait toujours cela de pris sur les mauvais jours... Au bout., de trois ou quatre mois, nous serions revenus à Paris, nous nous serions donné une bonne poignée de main, et nous nous serions fait une amitié des restes de notre amour; car l'amour qu'on peut avoir pour moi, si violent qu'on le dise, n'a même pas toujours en lui de quoi faire une amitié plus tard. Tu ne l'as pas voulu ; ton cœur est un grand seigneur qui ne veut rien accepter... n'en parlons plus... Tu m'aimes depuis quatre jours, tu as soupé chez moi, envoie-moi un bijou avec ta carte, nous serons quittes.
Tu es folle, Marguerite ; je t'aime. Cela ne veut pas dire que tu es jolie et que tu me plairas trois ou quatre mois, tu es toute mon espérance, toute ma pensée, toute ma vie ; je t'aime, enfin ! que puis-je te dire de plus?
Alors, tu as raison, il vaut mieux cesser de nous voir dès à présent!
Naturellement, parce que tu ne m'aimes pas, toi !
Parce que je... tu ne sais pas ce que tu dis, tiens !
Pourquoi alors?...
Pourquoi? tu veux le savoir? Parce qu'il y a des moments où ce rêve commencé, je le fais jusqu'au bout ; parce qu'il y a des jours où je suis lassée de la vie que je mène, et que j'en entrevois une autre ; parce qu'au milieu de notre existence bruyante, notre tête, notre vanité, nos sens vivent... mais que notre cœur se gonfle, ne trouvant pas à s'épancher, et nous étouffe. Nous paraissons heureuses, et l'on nous envie... En effet, nous avons des amants qui se ruinent, non pas pour nous, comme ils le disent, mais pour leur vanité... Nous sommes les premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amis, des amis comme Prudence, dont l'amitié va jusqu'à la servitude, jamais jusqu'au désintéressement. Peu leur importe ce que nous faisons, pourvu qu'on les voie dans nos loges, ou qu'elles se carrent dans nos voitures. Ainsi tout autour de nous, vanité, honte et mensonge... Je rêvais donc, par moment, sans oser le dire à personne, de trouver un homme assez supérieur pour ne me demander compte de rien, et pour vouloir bien être l'amant de mes impressions... Cet homme, je l'avais trouvé dans le duc ; mais la vieillesse ne protège ni ne console, et mon cœur a d'autres exigences... Alors, je t'ai rencontré, toi, jeune, ardent, heureux; les larmes que je t'ai vu répandre pour moi, l'intérêt que tu as pris à ma santé, tes visites mystérieuses pendant ma maladie, ta franchise, ton enthousiasme, tout me faisait voir en toi celui que j'appelais du fond de ma bruyante solitude. En un instant, comme une folle, j'ai bâti tout mon avenir sur ton amour, j'ai rêvé campagne et pureté, je me suis souvenue de mon enfance, car on a toujours eu une enfance, quoi que l'on soit devenue. C'était souhaiter l'impossible ; un mot de toi me l'a prouvé... Tu as voulu tout savoir, tu sais tout !
Et tu crois qu'après de pareilles paroles, je vais te quitter ? quand de tels mots sont sortis de ta bouche ! quand le bonheur vient à moi, je me sauverais devant lui ! Non, Marguerite, non; ton rêve s'accomplira, je te le jure. Ne raisonnons rien, nous sommes jeunes, nous nous aimons, marchons en suivant notre amour.
Ne me trompe pas, Armand; songe qu'une émotion violente peut me tuer; rappelle-toi bien qui je suis, et ce que je suis.
Tu es un ange, et je t'aime !
Madame...
Quoi?
On vient d'apporter une lettre !
Ah çà! c'est donc la nuit aux lettres!... De qui est-elle?
De M. le comte.
Demande-t-il une réponse?
Oui, madame.
Eh bien ! dis qu'il n'y en a pas.
ACTE III
fauteuil, une chambre de rez-de-chaussée. — Au fond, en face du spectateur, une cheminée. — De chaque côté, une porte vitrée, donnant sur un jardin. — A gauche et à droite, sur le premier plan, une porte à panneaux. — Tables et chaises.
Scène I
Prudence, nanine
emportant un plateau à thé après le déjeuner
Où est Marguerite?
Madame est au jardin avec Mlle Nichette et M. Gustave, qui viennent de déjeuner avec elle et qui passent la journée ici.
Je vais les rejoindre.
Ah ! vous voici, Prudence. J'ai à vous parler de choses sérieuses. I1 y a quinze jours, vous êtes partie d'ici, dans la voiture de Marguerite ?
C'est vrai !
Depuis ce temps, ni la voiture, ni les chevaux n'ont reparu. Il y a huit jours, en nous quittant, vous avez paru craindre d'àvoir froid, et Marguerite vous a prêté un cachemire que vous n'avez pas rapporté ! Enfin, hier, elle vous a remis des bracelets et des diamants pour les faire arranger, disait-elle. — Où sont les chevaux, la voiture, le cachemire et les diamants ?
Vous voulez que je sois franche ?
Je vous en supplie.
Les chevaux sont vendus au marchand qui les reprend pour compte, car ils n'étaient pas payés.
Le cachemire?
Vendu.
Les diamants?
Engagés. Je viens de rapporter les reconnaissances.
Et pourquoi ne m'avoir pas tout dit?
Marguerite ne le voulait pas.
Et pourquoi ces ventes et ces engagements?
Pour payer !— Ah ! vous croyez, mon ami, qu'il suffit de s'aimer et d'aller vivre hors de Paris, d'une vie pastorale éthérée? Pas du tout ! A côté de la vie poétique, il y a la vie réelle, et les meilleures résolutions sont retenues à terre par des fils ridicules, mais de fer, et qu'on ne brise pas facilement. Le duc que je viens de voir, car je voulais, s'il était possible, éviter tant de sacrifices, le duc ne veut plus rien faire pour Marguerite, à moins qu'elle ne vous quitte, et Dieu sait qu'elle n'en a pas envie.
Bonne Marguerite!
Oui, bonne Marguerite; trop bonne Marguerite, car qui sait comment tout cela finira? Sans compter qu'elle ne veut pas en rester là, et que pour payer ce qu'elle doit, elle veut vendre tout ce qu'elle possède encore. J'ai dans ma poche un projet de vente, que vient de me remettre son homme d'affaires.
Combien faudrait-il?
Trente mille francs au moins.
Demandez quinze jours aux créanciers. — Dans quinze jours, je payerai tout.
Vous allez emprunter?...
Oui.
Vous allez faire là une belle chose, vous brouiller avec votre père, entraver vos ressources.
Je me doutais de ce qui arrive ; j'ai écrit à mon notaire que je voulais faire à quelqu'un une délégation du bien que je tiens de ma mère, et je viens de recevoir la réponse; l'acte est tout préparé, il n'y a plus que quelques formalités à remplir, et dans la journée je dois aller à Paris pour signer; en attendant, empêchez que Marguerite fasse rien de ce qu'elle voulait faire.
Mais, les papiers que je rapporte.
Quand je serai parti, vous les lui remettrez, comme si je ne vous avais rien dit, car il faut qu'elle ignore notre conversation, La voici, silence!
Scène II
marguerite, nichette, gustave, armand et prudence
Chère enfant! gronde Prudence.
Pourquoi?
Je la prie hier de passer chez moi et de m'apporter des lettres s'il y en a, car il y a quinze jours que je ne suis allé à Paris; la première chose qu'elle fait, c'est de l'oublier. Si bien que maintenant il faut que je te quitte pour une heure ou deux. Depuis un mois, je n'ai pas écrit à mon père. Personne ne sait où je suis, pas même mon domestique, car je voulais éviter les importuns. I1 fait beau, Nichette et Gustave sont là pour te tenir compagnie, je saute dans une voiture, je mets le pied chez moi, et je reviens.
Va, mon ami, va; mais, si tu n'as pas écrit à ton père, ce n'est pas ma faute. Assez de fois je t'ai dit de le faire. Reviens vite. Tu nous retrouveras causant et travaillant ici, Gustave, Nichette et moi.
Dans une heure je suis de retour.
Tout est arrangé?
Oui.
Les papiers ?
Les voici. L'homme d'affaires viendra sans doute dans la journée s'entendre avec vous ; moi, je vais déjeuner, car je meurs de faim.
Allez, Nanine vous donnera tout ce que vous voudrez.
Scène III
les mêmes, moins armand et prudence
Vous voyez, voilà comme nous vivons depuis trois mois.
Tu es heureuse?
Si je le suis!
Je te le disais bien, Marguerite, que le bonheur véritable est dans le repos et dans les habitudes du cœur. — Que de fois Gustave et moi nous nous sommes dit : Quand donc Marguerite aimera-t-elle quelqu'un, et mènera-t-elle une existence plus tranquille!
Eh bien ! votre souhait a été accompli, j'aime et je suis heureuse; c'est votre amour à tous deux et votre bonheur qui m'ont fait envie.
Le fait est que nous sommes heureux, nous, n'est-ce pas, Nichette?
Je crois bien, et ça ne coûte pas cher. Tu es une grande dame, toi, et tu ne viens jamais nous voir; sans cela, tu voudrais vivre tout à fait comme nous vivons. Tu crois vivre simplement ici ; que dirais-tu donc si tu voyais mes deux petites chambres de la rue Blanche, au cinquième étage, et dont les fenêtres donnent sur des jardins, dans lesquels ceux à qui ils sont ne se promènent jamais!— Comment y a-t-il des gens qui, ayant des jardins, ne se promènent pas dedans?
Nous avons l'air d'un roman allemand ou d'une idylle de Goethe, avec de la musique de Schubert.
Oh ! je te conseille de plaisanter, parce que Marguerite est là. — Quand nous sommes seuls tu ne plaisantes pas, et tu es doux comme un mouton, et tu es tendre comme un tourtereau. Tu ne sais pas qu'il voulait me faire déménager? Il trouve notre existence trop simple.
Non, je trouve seulement notre logement trop haut.
Tu n'as qu'à ne pas en sortir, tu ne sauras pas à quel étage il est.
Vous êtes charmants tous deux.
Sous prétexte qu'il a six mille livres de rentes, il ne veut plus que je travaille; un de ces jours, il voudra m'acheter une voiture.
Cela viendra peut-être.
Nous avons le temps ; il faut d'abord que ton oncle me regarde d'une autre façon, et nous fasse, toi son héritier, moi, sa nièce.
Il commence à revenir sur ton compte.
Il ne te connaît donc pas? s'il te connaissait il serait fou de toi.
Non, monsieur son oncle n'a jamais voulu me voir. Il est encore de la race des oncles qui croient que les grisettes sont faites pour ruiner les neveux; il voudrait lui faire épouser une femme du monde. Qu'est-ce que je suis donc, moi, est-ce que je ne suis pas du monde, moi?
Il s'humanisera; depuis que je suis avocat, du reste, il est plus indulgent.
Ah oui, j'oubliais de te le dire, Gustave est avocat, ma chère.
Je lui confierai ma dernière cause.
Il a plaidé, j'étais à l'audience.
A-t-il gagné?
J'ai perdu net, mon accusé a été condamné à dix ans de travaux forcés.
Heureusement.
Pourquoi, heureusement?
L'homme qu'il défendait était un gueux achevé. Quel drôle de métier, que ce métier d'avocat ! ainsi, un avocat est un grand homme quand il peut se dire : J'avais entre les mains un scélérat, qui avait tué son père, sa mère et ses enfants ; eh bien ! j'ai tant de talent que je l'ai fait acquitter, et que j'ai rendu à la société cet ornement qui lui manquait.
Puisque le voilà avocat, alors nous irons bientôt à la noce.
Si je me marie.
Comment, si vous vous mariez, monsieur; mais je l'espère bien que vous vous marierez, et avec moi encore ! vous n'épouserez jamais une meilleure femme et qui vous aime d’avantage.
A quand alors?
A bientôt.
Tu es bien heureuse.
Est-ce que tu ne finiras pas comme nous?
Qui veux-tu que j'épouse?
Armand..
Armand! il a le droit de m'aimer, mais non de m'épouser; je veux bien lui prendre son cœur, je ne lui prendrai jamais son nom. Il y a des choses qu'une femme n'efface pas de la vie, vois-tu, Nichette, et qu'elle ne doit pas donner à son mari le droit de lui reprocher. Si je voulais qu'Armand m'épousât, il m'épouserait demain ; mais je l'aime trop pour lui faire faire une pareille chose. Demande à M. Gustave, si je n'ai pas raison.
Vous êtes une honnête fille, Marguerite.
Non. Je suis un honnête homme. Je suis heureuse d'un bonheur que je n'eusse jamais osé espérer, j'en remercie Dieu et ne veux pas tenter la Providence.
Gustave fait des grands mots, et il t'épouserait, lui, s'il était à la place d'Armand; n'est-ce pas, Gustave?
Peut-être bien. D'ailleurs l'innocence des femmes appartient à leur premier amour, et non à leur premier amant.
A moins que leur premier amant ne soit en même temps leur premier amour ; il y a des exemples.
Et pas loin, n'est-ce pas?
Enfin, pourvu que tu sois heureuse, peu importe.
Je le suis. Qui m'eût dit cependant qu'un jour, moi, Marguerite Gauthier, je vivrais tout entière dans l'amour d'un homme, que je passerais des journées assise à côté de lui, à travailler, à lire, à l'entendre?
Comme nous.
Je puis vous parler franchement, à vous deux, qui me croirez, parce que c'est votre cœur qui écoute. II y a des moment où j'oublie ce que j'ai été; où le moi d'autrefois se sépare tellement du moi d'aujourd'hui, qu'il en résulte deux femmes distinctes, et que la seconde se souvient à peine de la première ; méconnaissable pour moi-même, je le suis pour les autres. Quand vêtue d'une robe blanche, couverte d'un grand chapeau de paille, portant sur mon bras la pelisse qui doit me garantir de la fraîcheur de l'eau, je monte avec Armand dans le bateau, que nous laissons aller à la dérive, et qui s'arrête tout seul sous les saules de l'île prochaine, nul ne se doute que cette ombre blanche est Marguerite Gauthier. J'ai fait dépenser en bouquets plus d'argent qu'il ne m'en faudrait pour faire vivre, pendant un an, une honnête famille. — Eh bienune fleur comme celle-ci, qu'Armand m'a donnée ce matin, suffit maintenant à parfumer ma journée. D'ailleurs, vous savez bien ce que c'est que d'aimer, comment les heures s'abrègent toutes seules, et comme elles nous portent à la fin des semaines et des mois, sans secousse et sans fatigue. Oh! oui, je suis bien heureuse; mais je veux l'être davantage encore... car vous ne savez pas tout...
Quoi donc?
Vous me disiez tout à l'heure que je ne vivais pas comme vous ; vous ne me le direz pas longtemps.
Comment?
Sans qu'Armand se doute de rien, je vais vendre tout ce qui compose, à Paris, mon appartement, où je ne veux même plus retourner. Je payerai toutes mes dettes; je louerai un petit logement près du vôtre; je le ferai meubler bien simplement, et nous vivrons ainsi, oubliant et oubliés. L'été, nous reviendrons à la campagne , mais dans une maison plus simple que celle-ci. I1 y a des gens qui demandent ce que c'est que le bonheur ; vous me l'avez appris, et maintenant je pourrai l'apprendre à d'autres.
Madame, il y a là un monsieur qui demande à vous parler...
L'homme d'affaires que j'attends. Allez faire un tour au jardin, je vous rejoins. Je partirai avec vous pour Paris ; nous terminerons tout ensemble.
A Nanine.
Fais entrer.
Elle fait un dernier signe à Nichette et à Gustave qui sortent ; elle se dirige vers la porte par laquelle entre le personnage annoncé.
Scène IV
duval, marguerite
Mlle Marguerite Gauthier ?
C'est moi, monsieur. A qui ai-je l'honneur de parler?
A M. Duval.
A M. Duval!
Oui, mademoiselle, au père d'Armand.
Mais M. Armand n'est pas ici, monsieur.
Je le sais, mademoiselle!... mais c'est avec vous que je désire avoir une explication... et veuillez m'écouter. — Mon fils se compromet et se ruine avec vous...
Vous vous trompez, monsieur. Grâce à Dieu, personne ne parle plus de moi, et je n'accepte rien d'Armand.
Ce qui veut dire, car votre luxe et vos dépenses sont choses connues, ce qui veut dire que mon fils est assez misérable pour dissiper avec vous ce que vous acceptez des autres.
Pardonnez-moi, monsieur; mais je suis femme et je suis chez moi, deux raisons qui devraient plaider en ma faveur auprès de votre courtoisie ; le ton dont vous me parlez n'est pas celui que je devais attendre d'un homme du monde que j'ai l'honneur de voir pour la première fois, et...
Et...
Je vous prie de permettre que je me retire, encore plus pour vous que pour moi-même.
En vérité, quand on se trouve en face de vous et de vos façons, madame, on a peine à se dire que toutes ces choses sont simulées, que ces façons sont acquises. On me l'avait bien dit que vous étiez une dangereuse personne.
Oui, monsieur, dangereuse, mais pour moi, et non pour les autres.
Dangereuse ou non, il n'en est pas moins vrai, mademoiselle, qu'Armand se ruine pour vous.
Je vous répète, monsieur, avec tout le respect que je dois au père d'Armand, je vous répète que vous vous trompez.
Alors, que signifie cette lettre de mon notaire, qui me prévient qu'Armand veut vous faire l'abandon d'une rente?
Je vous assure, monsieur, que si Armand a fait cela, il l'a fait en dehors de moi ; car il savait bien que s'il me l'eût offert, je l'eusse refusé.
Cependant vous n'avez pas toujours parlé ainsi.
C'est vrai, monsieur, mais alors je n'aimais pas.
Et maintenant ?
Oh! c'est autre chose; j'aime avec tout ce qu'une femme peut retrouver de pur dans le fond de son cœur, quand Dieu prend pitié d'elle et lui envoie le repentir.
Ah! voici les grandes phrases qui arrivent.
Ecoutez-moi, monsieur. Mon Dieu, je sais qu'on croit peu aux serments de femmes comme moi ; mais par ce que j'ai de plus cher au monde, par mon amour pour Armand, je vous jure que j'ignorais cette donation.
Cependant, mademoiselle, il faut que vous viviez de quelque chose.
Vous allez me forcer a vous dire ce que j'aurais voulu vous taire, monsieur ; mais, comme je tiens avant toute chose à l'estime du père d'Armand, je parlerai. Depuis que je connais votre fils, pour que mon amour ne ressemble pas un instant à tout ce qui a pris jusqu'ici ce nom près de moi, j'ai engagé ou vendu une grande partie de ce que je possédais : cachemires, diamants, bijoux, voitures; et quand, tout à l'heure, on me dit que quelqu'un me demandait, j'ai cru recevoir un homme d'affaires, à qui je vendais les meubles, les tableaux, les tentures, tout le luxe que vous me reprochez. Enfin, et si vous en doutez, eh bien ! tenez, je ne vous attendais pas, monsieur, et par conséquent vous ne pourrez croire que cet acte a été préparé pour vous, si vous en doutez, lisez cet acte.
Elle lui donne l'acte.
Une vente de votre mobilier, à la charge de payer vos créanciers et de vous remettre le surplus.
La regardant avec émotion
Mon Dieu ! me serais-je trompé ?
Oui, monsieur, vous vous êtes trompé, ou plutôt vous avez été trompé ; oui, j'ai été folle; oui, j'ai un triste passé ; mais pour l'effacer , depuis que j'aime, je donnerais jusqu'à la dernière goutte de mon sang. Oh! quoi qu'on vous ait dit, j'ai du cœur, allez! je suis bonne; vous verrez quand vous me connaîtrez mieux... C'est Armand qui m'a transformée ainsi; il m'a aimée, il m'aime. Un peu d'amour rend à une femme sa chasteté perdue. Je suis si heureuse depuis trois mois ! Vous qui êtes son père, vous devez être bon comme lui ; je vous en supplie, ne lui dites pas de mal de moi ; il vous croirait, car il vous aime; et moi je vous respecte et je vous aime, parce que vous êtes son père.
Pardon, madame, de la façon dont je me suis présenté tout à l'heure, je ne vous connaissais pas, je ne savais pas tout ce qu'il y a de nobles sentiments en vous... J'arrivais irrité du silence de mon fils, et de son ingratitude, dont je vous accusais; pardon, madame.
Oh ! merci à ces bonnes paroles, monsieur.
Aussi, est-ce au nom de ces nobles sentiments, que je vais vous demander, pour le bonheur de mon fils, un sacrifice plus grand encore que tous ceux que vous avez faits.
Mon Dieu!
Ecoutez-moi, mon enfant, et ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire.
Oh! monsieur, taisez-vous, je vous en supplie; vous allez me demander quelque chose de terrible, d'autant plus terrible que je l'ai toujours prévu ; je vous attendais ; j'étais trop heu- reuse.
Non, je ne suis plus irrité, nous causons comme deux cœurs honnêtes, ayant le même amour dans un sens différent, et jaloux tous les deux, n'est-ce pas, de prouver notre affection, de donner le bonheur à celui que nous aimons.
Oui, monsieur; oui, parlez.
Votre âme a des générosités inconnues à bien des femmes, aussi, est-ce comme un père que je vous parle, Marguerite, comme un père qui vient vous redemander le bonheur de ses deux enfants.
De ses deux enfants ?
Oui, Marguerite, de ses deux enfants. Sachez ce qui m'amène auprès de vous: j'ai une fille, jeune, belle, pure comme un ange. Elle aime un jeune homme, et elle aussi, elle a fait de cet amour le rêve de sa vie ; mais elle a droit à cet amour. Je vais la marier; j'avais écrit tout cela à Armand, mais Armand, tout à vous, n'a pas même reçu mes lettres; j'aurais pu mourir sans qu'il le sût. Eh bien! ma fille, ma Blanche bien-aimée épouse un honnête homme, elle entre dans une Camille honorable, qui veut que tout soit honorable dans la mienne. Le monde a ses exigences, mon enfant, et surtout le monde de province ; si purifiée que vous soyez aux yeux d'Armand, aux miens même, par l'amour que vous éprouvez, vous ne l'êtes pas aux yeux d'un monde qui ne verra jamais en vous que votre passé, et qui vous fermera impitoyablement ses portes. La famille de l'homme qui va devenir mon gendre a appris la façon dont vit Armand; elle m'a déclaré reprendre sa parole, si Armand continuait cette vie... L'avenir d'une jeune fille qui ne vous a fait aucun mal peut donc être brisé par vous. Marguerite, au nom de votre amour, accordez-moi le bonheur de ma fille.
Que vous êtes bon, monsieur, de daigner me parler ainsi ! et que puis-je refuser à de pareilles paroles? Oui, monsieur, je vous comprends, et vous avez raison. Je partirai de Paris ; je m'éloignerai d'Armand pendant quelque temps. Cerne sera douloureux ; mais je veux faire cela pour vous, afin que vous n'ayez rien à me reprocher... D'ailleurs, la joie du retour fera oublier le chagrin de la séparation. Vous permettrez qu'il m'écrive quelquefois, et quand sa sœur sera mariée.
Merci, Marguerite, merci de cette intelligence de votre cœur ; mais c'est autre chose que je vous demande, mon enfant.
Autre chose ! et que pouvez-vous donc me demander de plus, grand Dieu!
Ecoutez-moi bien, Marguerite, et faisons franchement ce que nous avons à faire ; une absence momentanée ne suffit pas.
Vous voulez que je quitte Armand tout à fait?
Il le faut!
Oh ! jamais, monsieur; me séparer d'Armand, ce serait plus qu'une injustice, maintenant, ce serait un crime. Vous ne savez donc pas comme nous nous aimons ; vous ne savez donc pas que je n'ai ni amis, ni parents, ni famille, et qu'en me pardonnant, il m'a juré d'être tout cela pour moi, et que j'ai enfermé ma vie dans la sienne? Vous ne savez donc pas, enfin. que je suis atteinte d'une maladie mortelle, que je n'ai que quelques années à vivre, et que j'ai fait de mon amour l'espoir de ces années? Quitter Armand, monsieur, autant me tuer tout de suite.
Voyons, mon enfant, du calme et n'exagérons rien ; vous êtes jeune, vous êtes belle, et vous prenez pour une maladie la fatigue d'une vie un peu agitée; vous ne mourrez pas, heureusement, avant l'âge où l'on est heureux de mourir ; je vous demande un sacrifice énorme, je le sais, mais que vous êtes fatalement forcée de me faire. Ecoutez-moi ; vous connaissez Armand depuis trois mois, et vous l'aimez ! mais un amour si jeune a-t-il le droit de briser tout un avenir? et c'est tout l'avenir de mon fils que vous brisez en restant avec lui ? Etes-vous sûre de l'éternité de cet amour? ne vous êtes-vous pas déjà trompée ainsi? Et si tout à coup, mais trop tard, vous alliez vous apercevoir que vous n'aimez pas mon fils, si vous alliez en aimer un autre? Pardon, Marguerite, mais le passé donne droit à ces suppositions.
Jamais, monsieur, jamais je n'ai aimé et je n'aimerai comme j'aime.
Soit ! mais si ce n'est vous qui vous trompez, c'est lui qui se trompe, peut-être. A vos âges, le cœur peut-il prendre un engagement définitif? Le cœur ne change-t-il pas perpétuellement d'affections? C'est le même cœur qui, fils, aime ses parents au delà de tout, qui, époux, aime sa femme plus que ses parents, et qui, père plus tard, aime ses enfants plus que parents, femmes et maîtresses. La nature est exigeante, parce qu'elle est prodigue ! I1 se peut donc que vous vous trompiez, voilà les probabilités. Maintenant, voulez-vous voir les réalités et les certitudes? vous m'écoutez, n'est-ce pas?
Si je vous écoute, mon Dieu !
Vous êtes prête à sacrifier tout à mon fils ; mais quel sacrifice égal, s'il acceptait le vôtre, pourrait-il vous faire en échange? Il prendra vos belles années, et plus tard, quand la satiété sera venue, car elle viendra, qu'arrivera-t-il ? Ou il sera un homme ordinaire, et, vous jetant votre passé au visage, il vous quittera en disant qu'il ne fait qu'agir comme les autres ; ou il sera un honnête homme, et vous épousera, ou tout au moins vous gardera auprès de lui. Cette liaison, ou ce mariage, qui n'aura eu ni la chasteté pour base, ni la religion pour appui, ni la famille pour résultat, cette chose excusable peut-être chez le jeune homme, le sera-t-elle chez l'homme mûr? Quelle ambition lui sera permise, quelle carrière lui sera ouverte, quelle consolation tirerai-je de mon fils, après m'être sacrifié vingt ans pour son bonheur? Votre amour l'un pour l'autre n'est pas le fruit de deux sympathies puies, l'union de deux affections chastes; c'est la passion dans ce qu'elle a de plus terrestre et de plus humain, et elle est née du] caprice de l'un et de la fantaisie de l'autre ; bref, votre amour est un résultat et non une cause. Qu'en restera-t-il quand vous aurez vieilli tous deux? qui vous dit que les premières rides de votre front ne détacheront pas le voile de ses yeux, et que son amour ne mourra pas avec votre jeunesse ?
Oh ! la réalité !
Voyez-vous d'ici votre double vieillesse, doublement déserte, doublement isolée, doublement inutile? Quel souvenir laisserez-vous ; quel bien aurez-vous fait? Non, Marguerite, il y a des nécessités cruelles dans la vie, mais contre lesquelles on se brise si Ton veut les combattre. Vous et mon fils avez à suivre deux routes complètement différentes, que le hasard a réunies un instant, mais que la raison sépare à tout jamais. Dans la vie que vous vous êtes faite volontairement, vous n'avez pas prévu ce qui arrive. Vous avez été heureuse trois mois, ne tachez pas ce bonheur dont la continuité est impossible ; gardez-en le souvenir dans votre cœur; qu'il vous fasse forte, c'est tout ce que vous avez le droit de lui demander. C'est sévère, ce que je vous dis ; c'est cruel, ce que je réclame, mais c'est l'estime que j'ai pour vous qui me fait vous parier ainsi ; je veux devoir à votre raisonnement, à votre cœur, à votre affection pour mon enfant, le sacrifice que j'aurais pu demander à la force et à la loi. Un jour, vous serez fière de ce que vous aurez fait, et toute votre vie, vous aurez l'estime de vous-même. C'est un homme qui connaît la vie qui vous parle , c'est un père qui vous implore. Allons, Marguerite ! allons mon enfant, prouvez-moi que vous aimez mon fils, et du courage !
Ainsi, quoi qu'elle fasse, la créature tombée ne se restera jamais! Dieu lui pardonnera peut-être, mais le monde sera inflexible! Au fait, de quel droit veux-tu prendre dans le cœur des familles une place que la pudeur seule doit y occuper?... Tu aimes ! qu'importe ? et la belle raison ! Quelques preuves que tu donnes de cet amour, on n'y croira pas, et c'est justice. Que viens-tu nous parler de cœur et d'avenir? Quels sont ces mots nouveaux ? Regarde donc la fange de ton passé ; quel homme voudrait t'appeler sa femme ; quel enfant voudrait l'appeler sa mère? Je ne vous en veux pas, monsieur, tout ce que je viens d'entendre, je me le suis dit bien des fois avec terreur; mais comme j'étais seule à me le dire, je parvenais à ne pas m'entendre jusqu'au bout, et à me fuir moi-même. Vous me le répétez, c'est donc bien réel. 11 faut obéir. Vous me parlez au nom de votre fils, au nom de votre fille, c'est encore bien bon à vous d'invoquer de pareils noms. Eh bien ! monsieur, vous direz un jour à cette belle et pure jeune fille, car c'est à elle que je veux sacrifier mon bonheur, vous lui direz qu'il y avait quelque part une femme qui n'avait plus qu'une espérance, qu'une pensée, qu'un bonheur dans ce monde, et qu'à l'invocation de son nom, cette femme a renoncé à tout cela, a broyé son cœur entre ses mains et en est morte ; car j'en mourrai, monsieur, et peut-être alors, Dieu me pardonnera-t-il.
Pauvre femme !
Vous me plaignez, monsieur, et vous pleurez, je crois; merci pour ces larmes, elles me feront forte... Vous voulez, monsieur, que je me sépare de votre fils, pour son repos, pour son honneur, pour son avenir ; que faut-il faire, ordonnez, je suis prête.
Il faut lui dire que vous ne l'aimez plus, madame.
Il ne me croira pas.
Il faut partir.
Il me suivra.
Alors...
Voyons, monsieur, croyez-vous que j'aime Armand... que je l'aime d'un amour désintéressé.
Oui, Marguerite.
Croyez-vous que j'avais fait de cet amour le rêve, l'espoir et le pardon de ma vie?
Oui, Marguerite, je le crois.
Eh bien ! monsieur, embrassez-moi une fois, comme vous embrasseriez votre fille, et je vous jure que ce baiser, le seul vraiment chaste que j'aurai reçu, me fera victorieuse de mon amour, et qu'avant huit jours votre fils sera retourné auprès de vous, peut-être malheureux pour quelque temps, mais guéri pour jamais; je vous jure aussi qu'il ignorera toujours ce qui vient de se passer entre nous.
Vous êtes une noble fille, Marguerite, mais je crains bien..,
Oh ! ne craignez rien, monsieur, il me haïra.
Elle sonne, Nanine paraît
Prie Mme Duvernoy de venir.
Oui, madame.
Une dernière grâce, monsieur !
Oh! parlez, madame, parlez!
Dans quelques heures, Armand va avoir une des plus grandes douleurs qu'il ait eues et que peut-être il aura de sa vie. Il aura donc besoin d'un cœur qui l'aime ; trouvez-vous là, monsieur, soyez près de lui. Et maintenant séparons-nous... il pourrait rentrer d'un instant à l'autre, et tout serait perdu, s'il vous voyait.
Mais qu'allez-vous faire?
Si je vous le disais, monsieur, ce serait votre devoir de me le défendre.
Alors, Marguerite, que puis-je en échange de ce que vous allez faire pour moi ?
Vous pourrez, quand je serai morte et qu'Armand maudira ma mémoire, vous pourrez lui dire que je l'aimais bien et que je l'ai bien prouvé. J'entends du bruit; adieu, monsieur; nous ne nous reverrons jamais sans doute, soyez heureux !
Il sort.
Scène V
marguerite, prudence
Mon Dieu ! donnez-moi la force.
Elle écrit une lettre
Vous m'avez fait appeler, ma chère Marguerite?
Oui, je veux vous charger de quelque chose.
De quoi ?
De cette lettre.
Pour qui ?
Regardez !
Mouvement de Prudence.
Silence ! partez tout de suite.
Scène VI
marguerite, puis armand
Et maintenant une lettre à Armand. Que vais-je lui dire, mon Dieu ! Pardonnez-moi le mal que je vais lui faire, et pardonnez-lui le mal qu'il me fera. Oh ! je deviens folle ou je rêve!... Il est impossible que cela soit, jamais je n'aurai le courage... On ne peut pas demander à la créature humaine plus qu'elle ne peut faire !
Que fais-tu donc là, Marguerite?
Armand !... Rien, mon ami!
Tu écrivais ?
Non... oui.
Pourquoi ce trouble , cette pâleur ! A qui écrivais-tu, Marguerite? Donne-moi cette lettre.
Cette lettre était pour toi, Armand, mais je te demande, au nom du Ciel, de ne pas te la donner.
Je croyais que nous en avions fini avec les secrets et les mystères, Marguerite?
Pas plus qu'avec les soupçons, à ce qu'il paraît.
Pardon, Marguerite mais je suis moi-même préoccupé.
Que t'arrive-t-il, grand Dieu !
Mon père est arrivé !
Tu l'as vu?
Non ; mais il a laissé chez moi une lettre sévère. Il a appris ma retraite ici, ma vie avec toi. Il doit venir ce soir. Ce sera une longue explication , car Dieu sait ce qu'on lui aura dit et de quoi j'aurai à le dissuader; mais il te verra , et quand il t'aura vue, il t'aimera! Puis, qu'importe! Je dépends de lui, soit ; mais, s'il le faut, je travaillerai. Quel travail me sera dur, quand j'aurai ton amour à la fin de ma journée?
Comme il m'aime, mon Dieu !
Haut.
Mais il ne faut pas te brouiller avec ton père, mon ami. Il va venir, m'as-tu dit; eh bien ! je vais m'éloigner pour qu'il ne me voie pas tout d'abord ; mais je reviendrai, je serai là, près de toi. Je me jetterai à ses pieds, je l'implorerai tant, qu'il ne nous séparera pas.
Comme tu me dis cela, Marguerite ! Ah ! il se passe quelque chose. Ce n'est pas la nouvelle que je t'annonce qui t'agite ainsi. C'est à peine si tu te soutiens. II y a un malheur ici... Cette lettre...
Il étend la main.
Cette lettre renferme une chose que je ne puis te dire; tu sais, il y a des choses qu'on ne peut ni dire soi-même, ni laisser lire devant soi. Cette lettre est une preuve d'amour, que je te donnais, mon Armand, je te le jure par notre amour, ne m en demande pas davantage.
Oh ! garde cette lettre, Marguerite, je sais tout. Prudence m'a tout dit ce matin, et c'est pour cela que je suis allé à Paris. Je sais le sacrifice que tu voulais me faire. Tandis que tu t'occupais de notre bonheur, je m'en occupais aussi. Tout est arrangé maintenant. Et c'est là le secret que tu ne voulais pas me confier. Comment reconnaîtrai-je jamais tant d'amour, bonne et chère Marguerite!
Eh bien ! maintenant que tu sais tout, laisse-moi partir!
Partir !
M'éloigner, du moins ton père ne peut-il pas arriver d'un instant à l'autre? Mais, je serai là à deux pas de toi, dans le jardin, avec Gustave et Nichette, tu n'auras qu'à m'appeler pour que je revienne. Comment pourrais-je me séparer de toi? Tu calmeras ton père, s'il est irrité, et puis notre projet s'accomplira, n'est-ce pas? Nous vivrons ensemble tous les deux et nous nous aimerons comme auparavant, et nous serons heureux, comme nous le sommes depuis trois mois. Car tu es heureux, n'est-ce pas, car tu n'as rien à me reprocher ? Dis-le- moi, cela me fera du bien. Mais si je t'ai fait de la peine, par- donne-moi, ce n'était pas de ma faute, car je t'aime plus que tout au monde. Et toi aussi, tu m'aimes, n'est-ce pas?... Et quelque preuve d'amour que je t'eusse donnée, tu ne m'aurais ni méprisée, ni maudite...
Mais, pourquoi ces larmes ?
J'avais besoin de pleurer un peu ; mais maintenant, tu vois, je suis calme. Je vais rejoindre Nichette et Gustave. Je suis là, toujours à toi, toujours prête à te rejoindre, t'aimant toujours. Tiens, je souris, à bientôt, pour toujours.
Elle sort.
Scène VII
armand, seul, puis nanine
Bonne Marguerite ! comme elle s'effraye à l'idée d'une séparation ! Comme elle m'aime ! Nanine, s'il vient un monsieur me demander, mon père, vous le ferez entrer tout de suite ici. S'il demandait à voir Marguerite, vous lui direz qu'elle est à Paris.
Bien, monsieur !
Je m'alarmais à tort. Mon père me comprendra. Le passé est mort. D'ailleurs, quelle différence entre Marguerite et les autres femmes! J'ai rencontré cette Olympe, toujours occupée de fêtes et de plaisirs; il faut bien que celles qui n'aiment pas emplissent de bruit la solitude de leur cœur. Elle donne un bal dans quelques jours ; elle m'a invité, moi et Marguerite, comme si Marguerite et moi, nous devions jamais retourner dans ce monde ! Sept heures déjà ! mon père ne viendra pas ce soir! Nanine ! donnez-moi de la lumière; qu'on prépare toujours le dîner. Le temps me semble si long, quand elle n'est pas là! Je vais lire un peu,.. Qu'est ce livre? Manon Lescaut! Oh! la femme qui aime ne fait pas ce que tu faisais, Manon !... Comment ce livre se trouve-t-il là?…
Nanine rentre avec une lampe, et sort. Lisant au hasard.
« Je te jure, mon cher chevalier, que tu es l'idole de mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que je puisse aimer de la façon dont je t'aime; mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que dans l'état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité ! Crois-tu que l'on puisse être bien tendre, lorsqu'on manque de pain? La faim me causerait quelque méprise fatale, je a rendrais quelque jour le dernier soupir, en croyant pousser un soupir d'amour. Je t'adore, compte là-dessus, mais laisse-moi quelque temps le ménagement de notre fortune; ce malheur à qui va tomber dans mes filets ! je travaille pour rendre mon chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra des nouvelles de ta Manon, il te dira qu'elle a pleuré de la nécessité de te quitter... » Armand repousse le livre avec tristesse et reste quelques instants soucieux. Elle avait raison, mais elle n'aimait pas, car l'amour ne sait pas raisonner…
Il va à la fenêtre.
Cette lecture m'a fait mal, ce livre n'est pas vrai !...
Il sonne, Nanine paraît.
Mon père ne viendra pas ce soir, dites à madame de rentrer.
Madame n'est pas ici, monsieur.
Comment, où est-elle donc ?
Sur la route; elle m'a dit de dire à monsieur qu'elle allait rentrer tout de suite.
Mme Duvernoy est sortie avec elle?
Mme Duvernoy est partie un peu avant madame
C'est bien...
Seul.
Elle est capable d'être allée à Paris, pour s'occuper de cette vente qu'elle voulait faire; heureusement, Prudence, qui est prévenue, trouvera moyen de l'en empêcher!...
Il regarde par la fenêtre.
Il me semble voir une ombre dans le jardin…
Il appelle
Marguerite! Marguerite! Personne!... Nanine! Nanine!...
il sonne.
Nanine, non plus, ne répond pas. Qu'est-ce que cela veut dire? Ce vide me fait froid. Il y a un malheur dans ce silence. Pourquoi ai-je laissé sortir Marguerite? Elle me cachait quelque chose. Elle pleurait!... Me tromperait-elle?... Elle, me tromper! c'est impossible ; à l'heure où elle pensait à me sacrifier tout... Mais il lui est peut-être arrivé quelque chose... Elle est peut-être bléssée!... Peut-être morte! Je suis trop inquiet, je vais moi- même...
M. Armand Duval?
C'est moi.
Voici une lettre pour vous, monsieur.
D'où rapportez-vous ?
De Paris.
Qui vous l’a donnée?
Une dame.
Et comment êtes-vous arrivé jusqu'à ce pavillon ?
La grille du jardin était ouverte, je n'ai rencontré personne, j'ai vu de la lumière dans ce pavillon, j'ai pensé...
C'est bien, laissez-moi!
Le Commissionnaire se retire
Cette lettre est de Marguerite... Pourquoi suis-je si ému !... Sans doute elle m'attend quelque part, et m'écrit d'aller la rejoindre...
Il va pour ouvrir la lettre.
Je tremble. Allons, que je suis enfant!
Pendant ce temps, M. Duval est entré et se tient derrière son fils. Armand lit.
« A l'heure où vous recevrez cette lettre, Armand, je serais partie ! »
Il pousse un cri
Ah !
Il se retourne et voit son père.
Mon père ! mon père !
Il se jette dans ses bras en sanglotant, Duval prend la lettre et la lit.
Pauvre fille, comme elle doit souffrir!
ACTE IV
Un boudoir chez Olympe. — Porte au fond, communiquant dans un salon éclairé splendidement. — A droite et à gauche, une porte. — Table de jeu et joueurs à droite ; gens assis sur un canapé, à gauche. — Domestiques passant des rafraîchissements. — Promeneurs au fond. — Bruit d'orchestre ; danse ; mouvement.
Scène I
gaston, arthur, le docteur, prudence, saint-gaudens, olympe, anaïs, invités.
Faites vos jeux, messieurs.
Combien y a-t-il en banque?
il y a cent louis.
Je fais cinq francs à droite.
C'était bien la peine de demander ce qu'il y avait pour faire cinq francs.
Aimes-tu mieux que je fasse dix louis sur parole ?
Non, non, non.
Au docteur.
Et vous, docteur, vous ne jouez pas?
Non.
Qu'est-ce que vous faites donc là-bas?
Je cause avec des femmes charmantes ; je me fais connaître.
Vous gagnez tant à être connu.
Je ne gagne même qu'à cela.
Si c'est ainsi qu'on joue, je passe la main.
Attends, j'ai dix francs.
Où sont-ils ?
Dans ma poche.
Je donnerais quinze francs pour les voir.
Tiens, j'ai oublié ma bourse !
Voilà une bourse qui sait son métier. Tiens, voici vingt francs.
Je te les rendrai.
Ne dis donc pas de bêtises.
donnant les cartes.
J'ai neuf!
Il ramasse l'argent.
Il gagne toujours.
Voilà cinquante louis que je perds.
Docteur, guérissez donc Arthur de la maladie de faire de rembarras.
C'est une maladie de jeunesse qui se passera avec rage.
Il prétend avoir perdu mille francs; il avait deux louis dans sa poche quand il est arrivé.
Comment le savez- vous?
Avec cela qu'il faut regarder longtemps une poche, pour savoir ce qu'il y a dedans.
Qu'est-ce que ça prouve? Ça prouve que je dois neuf cent soixante francs.
Je plains celui à qui vous les devez.
Vous avez tort, ma chère, je paye toutes mes dettes.
Ce n'est pas ce que disent vos créanciers.
Allons, messieurs, faites vos jeux ; nous ne sommes pas là pour nous amuser.
On joue donc toujours ici?
Toujours.
Donnez-moi dix louis, Saint-Gaudens, que je joue un peu.
Olympe, votre soirée est charmante.
Saint-Gaudens sait ce qu'elle lui coûte.
Ce n'est pas lui qui le sait, c'est sa femme !
saint-gaudens
Le mot est joli ! Ah ! vous voilà, docteur, il faut que je vous consulte; j'ai quelquefois des étourdissements.
Ah ! Dame !
Qu'est-ce qu'il demande?
Il croit avoir une maladie du cerveau.
Le fat ! J'ai perdu, Saint-Gaudens, jouez pour moi, et tâchez de gagner.
Saint-Gaudens, prêtez-moi trois louis?
Il les donne.
Saint-Gaudens, allez me chercher une glace !
Tout à l'heure !
Alors, racontez-nous l'histoire du fiacre jaune.
J'y vais! j'y vais !
Il sort.
Te rappelles-tu l'histoire du fiacre jaune ?
Si je me la rappelle ! Je le crois bien ; c'est chez Marguerite qu'Olympe a voulu nous conter cela. Est-ce qu'elle est ici, Marguerite ?
Elle doit venir.
Et Armand ?
Armand n'est pas à Paris... Vous ne savez donc pas ce qui est arrivé?
Non.
Ils sont séparés.
Bah!
Oui, Marguerite l’a quitté !
Quand donc?
Il y a un mois, et qu'elle a bien fait!
Pourquoi cela ?
On doit toujours quitter les hommes avant qu'ils vous quittent
Voyons, messieurs, joue-t-on, ou ne joue-t-on pas?
Oh ! que tu es assommant, toi ! Crois-tu pas que je vais m'user les doigts à te retourner des cartes pour cent sous que tu joues? Tous les Arthur sont comme toi. Heureusement, tu es le dernier Arthur.
Anaïs, voici la glace demandée.
Vous avez été bien long, mon pauvre vieux ; après ça, à votre âge...
Messieurs, la banque a sauté. — Quand on pense que si l’on me disait : Gaston, mon ami, on va te donner cinq cents francs, à condition que tu retourneras des cartes pendant tout une nuit, je ne le voudrais pas, bien certainement. Eh bien! voilà deux heures que j'en retourne pour perdre deux mille francs l Ah ! le jeu est un joli métier.
Un autre reprend la banque.
Scène II
les mêmes, armand
Vous ne jouez plus ?
Non.
{{personnage|saint-gaudens|c
montrant deux joueurs qui s'écartent au fond.
Parions-nous dans le jeu de ces messieurs?
Pas de confiance. Est-ce que c'est vous qui les avez invités?
Ce sont des amis d'Olympe. Elle les a connus à l'étranger.
Ils sont jolis.
Tiens ! voilà Armand?
Nous parlions de toi tout à l'heure.
Et que disiez-vous?
Nous disions que vous étiez à Tours, et que vous ne viendriez pas.
Eh bien ! vous vous trompiez, mes amis.
Et quand es-tu arrivé?
Il y a une heure.
Eh bien ! mon cher Armand, qu'est-ce que vous me conterez de neuf?
Mais rien, chère amie ; et vous ?
Avez- vous vu Marguerite ?
Non.
Elle va venir.
Ah eh bien ! je la verrai alors.
Comme vous dites cela !
Comment voulez-vous que je vous le dise?
Le cœur est donc guéri?
Oh ! parfaitement ! Est-ce que je serais ici, sans cela?
Ainsi, vous ne pensez plus à elle?
Vous dire que je n'y pense plus du tout, serait mentir ; mais je suis heureusement de ces hommes avec qui la façon de rompre fait beaucoup... Or, Marguerite m'a donné mon congé d'une façon si légère, que je me suis trouvé bien sot d'en avoir été amoureux comme je l'ai été ; car j'ai été vraiment fort amoureux d'elle.
Elle vous aimait bien, aussi, et elle vous aime toujours un peu, mais il était temps qu'elle vous quittât, on allait vendre chez elle.
Et maintenant, c'est payé ?
Entièrement.
Et c'est M. de Varville qui a fait les fonds?
Oui.
Tout est pour le mieux, alors.
Il y a des hommes faits exprès pour cela. Bref! il en est arrivé à ses fins ; il lui a racheté ses chevaux, ses bijoux, et lui a rendu tout son luxe d'autrefois... Ah! pour heureuse, elle est heureuse.
Et elle est revenue à Paris ?
Naturellement... Elle n'a jamais voulu retourner à Auteuil, mon cher, depuis que vous en êtes parti. C'est moi qui suis allée y chercher toutes ses affaires, et même les vôtres. Cela me fait penser que j'ai des objets à vous remettre ; vous les ferez prendre chez moi. Il n'y a qu'un petit portefeuille avec votre chiffre, que Marguerite a voulu prendre; si vous y tenez, je le lui redemanderai.
Qu'elle le garde !
Du reste, je ne l'ai jamais vue comme elle est maintenant; elle ne dort presque plus ; elle court les bals, elle passe les nuits ; dernièrement, après un souper, elle est restée trois jours au lit, et quand le médecin lui a permis de se lever, elle a recommencé, au risque d'en mourir. Si cela continue, elle n'ira pas loin. Comptez-vous l'aller voir?
Non, je compte, Mme, éviter toute espèce d'explications. Le passé est mort d'apoplexie, que Dieu ait son âme, s'il en avait.
Allons ! vous êtes raisonnable, j'en suis enchantée.
Ma chère Prudence, voici un de mes amis, à qui j'ai quelque chose à dire ; vous permettez !
Comment donc !
Elle va au jeu.
Je fais dix francs!
Scène III
Les même, gustave
Enfin, tu as reçu ma lettre?
Oui, puisque me voilà,
Tu t'es demandé pourquoi je t'ai prié de venir a une de ces soirées, qui sont si peu dans tes habitudes?
Je l'avoue.
Tu n'as pas vu Marguerite depuis longtemps ?
Non ; pas depuis que je l'ai vue avec toi.
Ainsi, tu ne sais rien?
Rien, instruis-moi.
Tu croyais que Marguerite m'aimait, n'est-ce pas ?
Je le crois encore.
lui remettant la lettre de Marguerite.
Lis!
C'est Marguerite qui a écrit cela?
Elle-même
Quand?
Il y a un mois.
Qu'as-tu répondu à cette Lettre ?
Que voulais-tu que je répondisse? Le coup était si inattendu, que j'ai cru que j'allais devenir fou. Comprends-tu? elle, Marguerite! Me tromper, me tromper! Moi qui l'aimais tant! brusquement, au risque de me tuer sur le coup ! Oh ! ces filles n'ont pas d'âme. J'avais besoin d'une affection réelle pour m'aider à vivre après ce qui venait de se passer. Je me laissai conduire par mon père, comme une chose inerte. Nous arrivâmes à Tours. Je crus un instant que j'allais pouvoir y vivre, c'était impossible; je ne dormais plus, j'étouffais. J'avais trop aimé cette femme, pour qu'elle pût ainsi me devenir indifférente ; il fallait ou que je l'aimasse, ou que je la haïsse; enfin, je ne pus plus y tenir, il me sembla que j'allais mourir si je ne la revoyais pas, si je ne lui entendais pas dire à elle-même ce qu'elle m'avait écrit. Je voulais me sauver de l'amour par le mépris, effacer le passé sous la haine. Je suis venu ici, car elle y viendra. Ce qui va se passer, je n'en sais rien, mais il va évidemment se passer quelque chose, je puis avoir besoin d'un ami.
Je suis tout à toi, mon cher Armand ; mais au nom du Ciel, réfléchis, tu as affaire à une femme ; le mal qu'on fait à une femme ressemble fort à une lâcheté.
Soit! elle a un amant ; il m'en demandera raison. Si je fais une lâcheté, j'ai assez de sang pour la payer !
Mlle Marguerite Gauthier ! M. le baron de Varville
La voilà !
Comme tu arrives tard !
Nous revenons de l'Opéra.
Varville donne des poignées de main aux hommes qui sont là.
Cela va bien?
Oh ! très-bien !
Armand est ici.
Armand!
Oui!
En ce moment Armand, qui s'est mis à la table de jeu, aperçoit, Marguerite; elle, lui sourit timidement. Il la salue avec froideur.
J'ai eu tort de venir à ce bal.
Pourquoi cela ?
Vous me le demandez ?
Au contraire ; il faut qu'un jour ou l'autre vous vous retrouviez avec Armand, mieux vaut plus tôt que plus tard.
Il vous a parlé ?
Oui.
De moi ?
Naturellement.
Et il vous a dit?
Qu'il ne vous en voulait pas, et que vous aviez bien fait.
Tant mieux, si cela est; mais il est impossible que cela soit: il m'a salué trop froidement, et il est trop pâle.
M. Duval est là, Marguerite.
Je le sais.
Vous me jurez que vous ignoriez sa présence ici quand vous y êtes venue ?
Je vous le jure.
Alors, promettez-moi de ne pas lui parler.
Je vous le promets ; mais je ne puis pas vous promettre de ne pas lui répondre, s'il me parle. Prudence, reste auprès de moi.
Bonsoir, madame.
Ah! c'est vous, docteur. Comme vous me regardez!
Je crois que c'est ce que j'ai de mieux à faire, quand je suis en face de vous.
Vous me trouvez changée, n'est-ce pas?
Soignez-vous, madame, soignez-vous, je vous en prie. J'irai vous voir demain, pour vous gronder à mon aise.
C'est cela! grondez-moi, je vous aimerai bien. Est-ce que vous vous en allez déjà?
Non, mais cela ne tardera pas ; j'ai le même malade à voir tous les jours à la même heure, depuis six mois.
Quelle fidélité !
Il lui serre la main et s'éloigne.
Bonjour, Marguerite.
Oh! que je suis heureuse de vous voir, mon bon Gustave ! Est-ce que Nichette est là?
Non.
Pardon! Nichette ne doit pas venir ici. — Aimez-la bien, Gustave; c'est si doux d'être aimé !
Elle essuie ses yeux.
Qu'avez-vous donc, Marguerite ?
Oh ! mon bon Gustave, je suis bien malheureuse, allez !
Voyons, ne pleurez pas ! Pourquoi êtes-vous venue?
Est-ce que je suis ma maîtresse? et, d'ailleurs, est-ce qu'il ne faut pas que je m'étourdisse ?
Eh bien! si vous m'en croyez, quittez ce bal bientôt.
pourquoi?
Parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver... Armand...
Armand me hait et me méprise, n'est-ce pas?
Non, mais Armand vous aime. Voyez comme il est pale; il n'est pas maître de lui-même, il pourrait y avoir une affaire entre lui et M. de Varville. Prétextez une indisposition, et partez.
Un duel pour moi, entre Varville et Armand ! Oh ! c'est impossible. Vous avez raison, Gustave, je vais partir.
Elle se lève.
Où allez-vous, Marguerite?
Mon ami, je suis souffrante, et désire me retirer.
Non, vous n'êtes pas souffrante, Marguerite vous voulez vous retirer, parce que M.Duval est là, et qu'il ne paraît pas faire attention à vous ; mais vous comprenez que moi, je ne veux ni ne dois jouer un rôle ridicule, en quittant l'endroit où il sera. Vous avez voulu venir à ce bal, vous y êtes, restez-y.
Qu'est-ce qu'on jouait ce soir à l'Opéra?
La Favorite.
L'histoire d'une femme qui trompe son amant.
Oh! que c'est commun!
C'est-à-dire que ce n'est pas vrai; il n'y a pas de femme qui trompe son amant.
Oh ! je vous réponds qu'il y en a.
Où ça donc ?
Partout.
Oui, mais il y a amant et amant.
Comme il y a femme et femme.
Ah çà! mon cher Armand, tu joues un jeu d'enfer.
C'est pour voir si le proverbe est vrai, « Malheureux en amour, heureux au jeu.
Ah ! tu dois être crânement malheureux en amour, car tu es crânement heureux au jeu.
Mon cher, je compte faire ma fortune ce soir, et quand j'aurai gagné beaucoup d'argent, je m'en irai vivre à la campagne.
Seul?
Non, avec quelqu'un qui m'y a déjà accompagné une fois, et qui m'a quitté. Peut-être quand je serai plus riche...
A part.
Elle ne répondra donc rien !
Tais-toi, Armand, vois dans quel état est cette pauvre fille.
C'est une bonne histoire; il faut que je vous la raconte. Il y a là-dedans un monsieur qui apparaît à la fin, une espèce de Deus ex machina, qui est un type adorable.
Monsieur !
Varville, si vous provoquez M. Duval vous me renvoyez de votre vie.
Ne me parlez-vous pas, monsieur?
En effet, monsieur; vous êtes si heureux au jeu que votre veine me tente, et je comprends si bien l'emploi que vous voulez faire de votre gain, que j'ai hâte de vous voir gagner davantage et vous propose une partie.
Que j'accepte de grand cœur, monsieur.
Je tiens cent louis, monsieur.
Va pour cent louis! de quel côté, monsieur?
Du côté que vous ne prendrez pas.
Cent louis à gauche.
Cent louis à droite.
Tirez les cartes.
A droite, quatre, à gauche, neuf. Armand a gagné!
Deux cents louis, alors.
Va pour deux cents louis; mais prenez garde, monsieur, si le proverbe dit : « Malheureux en amour, heureux au jeu, il dit aussi : Heureux en amour, malheureux au jeu. »
Six! huit! c'est encore Armand qui gagne.
Allons! c'est le baron qui payera la campagne de M. Duval.
Mon Dieu, mon Dieu, que va-t-il se passer?
Allons, messieurs, à table, le souper est servi.
Continuons-nous la partie, monsieur?
Non, pas en ce moment.
Je vous dois une revanche, je vous la promets au jeu que vous choisirez.
Soyez tranquille, monsieur, je profiterai de votre bonne volonté!
Tu as une rude veine, toi.
Ah! tu me tutoies quand je regagne.
Venez-vous, Marguerite ?
Pas encore, j'ai quelques mots à dire à Prudence.
Si dans dix minutes vous n'êtes pas venue nous rejoindre, je reviens vous chercher ici, Marguerite, je vous en préviens.
C'est bien, allez!
Scène IV
prudence, marguerite
Allez retrouver Armand, et, au nom de ce qu'il a de plus sacré, priez-le de venir m'entendre, il faut que je lui parle.
Et s'il refuse?
Il ne me refusera pas, il me déteste trop pour ne pas saisir l’occasion de me le dire... Allez !
Scène V
Voyons, tâchons d'être calme, il faut qu'il continue de croire ce qu'il croit. Aurai-je la force de tenir la promesse que j'ai faite à M. Duval ? Mon Dieu ! faites qu'il me méprise et me haïsse, puisque c'est le seul moyen d'empêcher un malheur... Le voici !
Scène VI
marguerite, armand
Vous m'avez fait demander, madame?
Oui, Armand, j'ai à vous parler.
Parlez, je vous écoute. Vous allez vous disculper?
Non, Armand, il ne sera pas question de cela, je vous supplierai même de ne plus revenir sur le passé.
Vous avez raison, madame, il y a trop de honte pour vous.
Oh ! ne m'accablez pas, Armand. Voyez comme je suis pâle et faible : je suis à moitié morte, je ne puis me défendre contre vous, et je le pourrais que je ne le ferais pas... Ecoutez-moi donc sans haine, sans colère, sans mépris. Voyons, Armand, donnez-moi votre main.
Non, madame, non , jamais ! Et si c'est là tout ce que vous aviez à me dire...
Il fait mine de se retirer.
Aurais-je jamais cru que vous repousseriez la main que je vous tendrais ! Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, Armand, il faut que vous repartiez.
Que je reparte?
Oui ! que vous retourniez auprès de votre père, et cela tout de suite.
Et pourquoi, madame ?
Parce que M. de Varville va vous provoquer, et que je ne veux pas qu'il arrive un malheur pour moi. Je veux être seule à souffrir.
Ainsi vous me conseillez de fuir une provocation ! Vous me conseillez une lâcheté ! Quel autre conseil en effet pourrait donner une femme comme vous?
Armand, je vous jure que depuis un mois j'ai tant souffert, que c'est à peine si j'ai la force de le dire ; je sens bien le mal qui augmente et me brûle. Au nom de notre amour passé, au nom de ce que je souffrirai encore, Armand, au nom de votre mère et de votre sœur, fuyez-moi, retournez auprès de votre père et oubliez jusqu'à mon nom, si vous pouvez.
Ah! oui ! je comprends, madame, vous tremblez pour votre amant qui représente votre fortune. Je puis vous ruiner d'un coup de pistolet ou d'un coup d'épée. Ce serait là, en effet, un grand malheur.
Vous pouvez être tué, Armand, voilà le malheur véritable!
Que vous importe que je vive ou que je meure ! Avez-vous eu cette crainte, quand vous m'avez écrit : Armand, oubliez- moi, je suis la maîtresse d'un autre? Que vous importait alors que je mourusse de cet amour ! Si je ne suis pas mort, madame, c'est qu'il me restait à me venger. Ah ! vous avez cru que cela se passerait ainsi! que vous me briseriez le cœur, et que je ne m'en prendrais ni à vous, ni à votre complice! Non, madame, non. Je suis revenu à Paris, c'est entre M. de Varville et moi une question de vie ou de mort; dussiez -vous en mourir aussi, je le tuerai, je vous le jure.
M. de Varville est innocent de tout ce qui se passe, Armand !
Vous l'aimez, madame ! c'est assez, pour que je le haïsse.
Et vous savez bien que je n'aime pas... que je ne puis aimer cet homme !
Alors, pourquoi vous êtes-vous donnée à lui, madame?
Au nom du Ciel, ne me le demandez pas, Armand ! Je ne puis le dire.
Eh bien ! je vais vous le dire, moi. Vous vous êtes donnée à lui, parce que vous êtes une fille sans cœur et sans loyauté, parce que votre amour appartient à qui le paye, et que vous avez fait une marchandise de votre cœur. Parce qu'en vous trouvant en face du sacrifice que vous alliez me faire, le courage vous a manqué, et que vos instincts ont repris le dessus ; parce qu'enfin, cet homme qui vous dévouait sa vie, qui vous livrait son honneur, ne valait pas pour vous les chevaux de votre voiture et les diamants de votre cou.
Eh bien! oui, j'ai fait tout cela. Oui, je suis une infâme et misérable créature, qui ne t'aimais pas; je t'ai trompé. Mais plus je suis infâme, moins tu dois te souvenir de moi, moins tu dois exposer pour moi ta vie et la vie de ceux qui t'aiment. Armand, à genoux, je t'en supplie; pars, quitte Paris, et ne regarde pas en arrière.
Je le veux bien, mais à une condition.
Dis vite, Armand, et quelle qu'elle soit, je l'accepte.
Tu partiras avec moi.
Jamais !
Jamais!
Oh ! mon Dieu ! donnez-moi le courage !
Ecoute, Marguerite ; je suis fou, j'ai la fièvre, mon sang brûle, mon cerveau bout ; je suis dans un de ces états où l'homme est capable de tout, même d'une infamie. J'ai cru un moment que c'était la haine qui me poussait vers toi ; c'était l'amour, amour invincible, irritant, haineux, augmenté de remords, de mépris et de honte, car je me méprise de le ressentir encore, après ce qui s'est passé. Eh bien! dis-moi un mot de repentir, rejette ta faute sur le hasard, sur la fatalité, sur ta faiblesse, et j'oublierai tout. Que m'importe cet homme? je ne le hais que si tu l'aimes. Dis-moi seulement que tu m'aimes encore, je te pardonnerai, Marguerite ; nous luirons Paris, c'est-à-dire le passé; nous irons au bout de la terre s'il le faut, jusqu'à ce que nous ne rencontrions plus un visage humain, et que nous soyons seuls dans le monde avec notre amour.
Armand, je donnerais ma vie pour une journée du bonheur que tu me proposes, mais ce bonheur est impossible.
Encore !
Un abîme nous sépare, nous serions trop malheureux. Nous ne pouvons plus nous aimer; pars, oublie-moi, il le faut, je l'ai juré.
A qui?
A qui avait le droit de demander ce serment.
A M. de Varville, n'est-ce pas?
Oui.
A M. de Varville que vous aimez; dites-moi que vous l'aimez, et je pars.
Eh bien ! oui, j'aime M. de Varville.
Entrez tous.
Que faites-vous?
Vous allez voir.
Aux convives.
Vous voyez bien cette femme .
Marguerite Gauthier!...
Oui ! Marguerite Gauthier. Savez-vous ce qu'elle a fait ?
Non!
Elle a vendu ses chevaux, ses voitures et ses diamants pour vivre avec moi, tant elle m'aimait. Cela est beau, n'est-ce pas ? Eh bien ! savez- vous ce que j'ai fait, moi? Je me suis conduit comme un misérable. J'ai accepté ce sacrifice sans lui rien donner en échange. Mais, il n'est pas trop tard, je me repens et je reviens pour réparer tout cela. Vous êtes tous témoins que j'ai payé cette femme, que je ne lui dois plus, moi.
Il jette des billets de banque et de l’or à Marguerite.
Ah!
Décidément, monsieur, vous êtes un lâche.
Le docteur se précipite au secours de Marguerite.
ACTE V
Chambre à coucher de Marguerite. — Lit au fond ; rideaux à moitié fermés. — Cheminée à droite ; devant la cheminée, un canapé sur lequel est étendu Gaston. — Lumière de veilleuse. — Piano en face de la cheminée. — Porte à droite.
Scène I
marguerite, gaston
Elle dort.
Je me suis assoupi un instant... pourvu qu'elle n'ait pas eu besoin de moi pendant ce temps-là.
Il écoute.
Non, elle dort... Quelle heure est-il?... sept heures... il ne fait pas encore jour... je vais rallumer le feu.
Il tisonne
Nanine, donne -moi à boire.
Voilà, chère enfant.
Qui donc est là?...
C'est moi, Gaston.
Comment vous trouvez-vous dans ma chambre?
Bois d'abord, tu le sauras après. — Est-ce assez sucré?
Oui.
J'étais né pour être garde-malade.
Où est donc Nanine ?
Elle dort. Quand je suis venu sur les onze heures du soir, pour savoir de tes nouvelles, la pauvre fille tombait de fatigue ; moi au contraire, j'étais tout éveillé. Tu dormais déjà... Je lui ai dit d'aller se coucher. Je me suis mis là, sur le canapé, près du feu, et j'ai fort bien passé la nuit. Cela me faisait du bien de t'entendre dormir, il me semblait que je dormais moi-même. Comment te sens-tu ce matin ?
Bien, mon brave Gaston... mais à quoi bon vous fatiguer ainsi?...
Pardieu !... Je passe assez de nuits au bal... quand j'en passerais quelques-unes à veiller une malade... Et puis, j'avais quelque chose à te dire.
Que voulez-vous me dire?
Vous êtes gênée?
Comment, gênée?
Oui, tu as besoin d'argent. Quand je suis venu dans la journée, j'ai vu un joli huissier dans le salon. Je l'ai mis à la porte, en le payant. Mais ce n'est pas tout. — I1 n'y a pas d'argent ici, et il faut qu'il y en ait. Moi, je n'en ai pas beaucoup. J'ai perdu pas mal au jeu, et j'ai fait un tas d'emplettes inutiles pour le premier de l'an.
Il l’embrasse.
Et je te réponds que je te la souhaite bonne et heureuse... Mais enfin, voilà toujours vingt-cinq louis que je vais mettre dans le tiroir là-bas ; quand il n'y en aura plus, il y en aura encore.
Quel cœur! et dire que c'est vous, un écervelé, comme on vous appelle... vous, qui n'avez jamais été que mon ami, qui me veillez, et prenez ainsi soin de moi...
Cela est toujours ainsi... Maintenant, savez-vous ce que nous allons faire?...
Dites.
Il fait un temps superbe aujourd'hui... vous avez dormi huit bonnes heures, vous allez dormir encore un peu... de une heure à trois heures, il fera un bon soleil, je viendrai te prendre, tu t'envelopperas bien , nous irons faire un tour en voiture, et qui dormira bien la nuit prochaine ? ce sera Marguerite. Jusque-là, je vais aller voir ma mère qui va me recevoir, Dieu sait comment ; il y a plus de quinze jours que je ne l'ai vue... Je déjeunerai avec elle, je l'embrasserai, et à une heure je suis ici... Cela te va-t-il?
Je tâcherai d'avoir la force...
Tu l'auras. Tu as une mine charmante.
nanine entre.
Entrez, Nanine, entrez, Marguerite est réveillée.
Scène II
les mêmes, nanine
Tu étais donc bien fatiguée, ma pauvre Nanine ?
Un peu, madame.
Ouvre la fenêtre et donne un peu de jour. Je veux me lever.
Madame, voici le docteur.
Bon docteur!... sa première visite est toujours pour moi. Gaston, ouvrez la porte en vous en allant... Nanine, aide-moi à me lever.
Mais, madame...
Je le veux.
A tantôt, Marguerite.
A tantôt, cher ami.
Avant de sortir, Gaston prépare le canapé avec des oreillers pour que Marguerite puisse s'y coucher. Elle se lève et retombe; enfin soulevée par Nanine, elle marche vers le canapé, le docteur entre à temps pour l'aider à s’y asseoir.
Scène III
marguerite, nanine, le docteur
Bonjour, mon cher docteur ; que vous êtes bon de penser ainsi à moi dès le matin !... Nanine, va voir s'il y a des lettres.
Donnez-moi votre main.
Il la prend
Comment vous sentez-vous?
Mal et mieux! mal de corps, mieux d'esprit. Hier au soir, j'ai eu tellement peur de mourir que j'ai envoyé chercher un prêtre... Il a été bien accueilli, je vous assure. Quelle belle chose que la religion ! J'étais triste, désespérée, j'avais peur de la mort... cet homme est entré, il a causé une heure avec moi, et tristesse, désespoir, terreur, remords, il a tout emporté avec lui. Alors je me suis endormie, et je viens de me réveiller.
Tout va bien, madame, et je vous promets une belle et bonne convalescence pour les premiers jours du printemps.
Merci, docteur, de votre promesse. C'est votre devoir de me la faire. Quand Dieu a dit que le mensonge serait un péché, il a fait une exception pour les médecins, et il leur a permis de mentir autant de fois par jour qu'ils verraient de malades.
A Nanine qui rentre.
Qu'est-ce que tu apportes là ?
Ce sont des cadeaux, madame.
Ah! oui, c'est aujourd'hui le 1er janvier... Que de choses depuis l'année dernière ! Il y a un an, a cette heure, nous étions à table, nous chantions, nous donnions à l'année qui naissait le même sourire que nous venions de donner à l'année morte. Où est le temps, mon bon docteur, où nous riions encore?
Ouvrant les paquets.
Une bague, avec la carte de Saint- Gaudens. — Brave cœur ! Un bracelet, avec la carte du comte de Giray, qui m'envoie cela de Londres. — Quel cri il pousserait s'il me voyait dans l'état où je suis!... et puis des bonbons... Alors, les hommes ne sont pas aussi oublieux que je le croyais! Vous avez une petite sœur docteur?...
Oui, madame.
Eh bien! portez-lui tous ces bonbons, à cette chère enfant.. . il y a longtemps que je n'en mange plus, moi!
A Nanine.
Voilà tout ce que tu as?
J'ai une lettre.
Qui peut m'écrire?
Prenant la lettre et l’ouvrant.
Descends le paquet dans la voiture du docteur.
Lisant
« Ma bonne Marguerite, je suis allée vingt fois pour te voir, et je n'ai jamais été reçue ; cependant je ne veux pas que tu manques
au fait le plus heureux de ma vie ; je me marie le 1er janvier : c'est le cadeau de nouvelle année que Gustave me gardait; j'espère que tu ne seras pas la dernière à assister à la cérémonie... cérémonie bien simple, bien humble, et qui aura lieu à neuf heures du matin, dans la chapelle de sainte Thérèse, à l'église de la Madeleine. — Je t'embrasse de toute la force d'un cœur heureux. Nichette. » I1 y aura donc du bonheur pour tout le monde, excepté pour moi ! Allons, je suis une ingrate. — Docteur, fermez cette fenêtre, j'ai froid, et donnez-moi de quoi écrire. Oh! le peu d'instants que j'ai encore à vivre, docteur, laissez-moi les emplir de ceux que j'aime.
Elle laisse tomber sa tête dans ses mains, et le docteur met l’encrier sur la cheminée et lui donne un buvard.
Eh bien! docteur?...
Elle est bien mal!
Ils croient que je ne les entends pas... Docteur, rendez-moi le service, en vous en allant, de remettre cette lettre à l'église où se marie Nichette, et recommandez qu'on ne la lui remette qu'après la cérémonie.
Elle écrit, plie la lettre et la cachette.
Tenez, et merci.
Elle lui serre la main.
N'oubliez pas, et revenez tantôt, si vous pouvez...
Le docteur sort.
Scène IV
marguerite, nanine.
Maintenant, mets un peu d'ordre dans cette chambre.
On sonne.
On a sonné, Nanine, va ouvrir.
Nanine sort.
C'est Mme Duvernoy qui vaudrait voir madame.
Qu'elle entre !
Scène V
les mêmes, prudence.
Eh bien! ma chère Marguerite, comment allez-vous ce matin?
Bien, ma chère Prudence, je vous remercie.
Renvoyez donc Nanine un instant ; j'ai à vous parler, à vous seule.
Nanine, va un peu ranger de l'autre côté; je t'appellerai quand j'aurai besoin de toi...
Nanine sort.
Oui, j'ai un service à vous demander, ma chère Marguerite.
Lequel ?...
Êtes-vous en fonds?...
Vous savez que je suis gênée depuis quelque temps, mais, enfin, dites toujours.
C'est aujourd'hui le premier de l'an; j'ai des dépenses à faire, il me faudrait absolument deux cents francs; pouvez- vous me les prêter jusqu'à la fin du mois?
La fin du mois !
Si cela vous gêne...
J'avais un peu besoin de l'argent qui reste là...
Alors, n'en parlons plus.
Oh ! qu'importe ! ouvrez ce tiroir. . . Combien y a-t-il dedans ?
Cinq cents francs.
Eh bien ! prenez les deux cents francs dont vous avez besoin.
Et vous, aurez-vous assez du reste?
Moi, j'ai ce qu'il me faut, ne vous inquiétez pas de moi.
Ah ! vous me rendez un véritable service.
Tant mieux, ma chère Prudence, tant mieux.
Je vous laisse ; je reviendrai vous voir... Vous avez meilleure mine.
En effet, je vais mieux.
Les beaux jours vont venir vite, l'air de la campagne achèvera de vous guérir.
C'est cela.
Merci encore une fois !
Renvoyez-moi Nanine.
Oui.
Elle sort
Voilà des espérances, qui me coûtent deux cents francs.
Elle est encore venue vous demander de l'argent?
Oui.
Et vous le lui avez donné ?.. .
C'est si peu de chose que l'argent, et elle en avait un si grand besoin! disait-elle... Il nous en faut cependant, il y a des étrennes à donner... Prends ce bracelet qu'on vient de m'en- voyer, et va le vendre. Va et reviens vite.
Mais pendant ce temps...
Je puis rester seule, je n'aurai besoin de rien ; d'ailleurs, tu ne seras pas longtemps, tu connais le chemin du marchand, il m'a assez acheté depuis trois mois.
Nanine sort.
Scène VI
marguerite
lisant une lettre qu'elle prend dans son sein.
« Madame, j'avais appris le duel d'Armand et de M. de Varville, non par mon fils, car il est parti sans même venir m'embrasser. Le croiriez-vous, Madame? je vous accusais de ce duel et de ce départ. Grâce à Dieu, M. de Varville est déjà hors de danger, et je sais tout. Vous avez tenu votre serment au delà même de vos forces, et toutes ces secousses ont ébranlé votre santé. J'écris toute la vérité à Armand. Il est loin, mais il reviendra vous demander non-seulement son pardon, mais le mien ; car j'ai été forcé de vous faire du mal et je veux le réparer. Soignez-vous bien, mon enfant, espèrez; votre courage et votre abnégation méritent un meilleur avenir, vous l'aurez, c'est moi qui vous le promets. En attendant, recevez l'assurance de mes sentiments de sympathie, d'estime et de dévouement. — Georges Duval, — 15 novem- bre. » Voilà six semaines que le père d'Armand m'a écrit cette lettre et que je la relis sans cesse pour me rendre un peu de courage. Si je recevais seulement une lettre de lui ! Si je pouvais atteindre au printemps!
Elle se lève et se regarde dans la glace.
Comme je suis changée ! Cependant le docteur m'a promis de me guérir. J'aurai patience. Mais tout à l'heure avec Nanine ne me condamnait-il pas? Je l'ai entendu, il disait que j'étais bien mal. Bien mal ! c'est encore de l'espoir, c'est encore quelques mois à vivre, et si pendant ce temps Armand revenait, je serais sauvée. Le premier jour de l'année, c'est bien le moins qu'on espère. D'ailleurs, j'ai toute ma raison. Si j'étais en danger réel, Gaston n'aurait pas le courage de rire à mon chevet, comme il faisait tout à l'heure. Le médecin ne me quitterait pas.
A la fenêtre.
Quelle joie dans les familles! Oh ! le bel enfant, qui rit et gambade en tenant ses jouets ; je voudrais embrasser cet enfant.
Madame...
Qu'as-tu, Nanine?
Vous vous sentez mieux aujourd'hui, n'est-ce pas?
Oui; pourquoi?
Promettez-moi d’être calme.
Mais qu'arrive-t-il?
J'ai voulu vous prévenir ..une joie trop brusque est si difficile à porter !
Une joie, dis-tu?
Oui, madame.
Armand, tu as vu Armand?... Armand vient me voir!...
Nanine fait signe que oui. — Courant à la porte.
Armand !
Il paraît pâle, elle se jette à son cou, elle se cramponne à lui.
Oh ! ce n'est pas toi, il est impossible que Dieu soit si clément, si bon !
C'est moi, Marguerite, moi, si repentant, si inquiet, si coupable, que je n'osais franchir le seuil de cette porte; si je n'eusse rencontré Nanine, je serais resté dans la rue, à prier et à pleurer. Marguerite, ne me maudis pas ! Mon père m'a tout écrit j'étais bien loin de toi, je ne savais où aller pour fuir mon amour et mes remords... Je suis parti comme un fou, voyageant nuit et jour, sans repos, sans trêve, sans sommeil, poursuivi de pressentiments sinistres... voyant de loin la maison tendue de noir... Oh ! si je ne t'avais pas trouvée, je serais mort, car c'est moi qui t'aurais tuée!... Je n'ai pas encore vu mon père; Marguerite, dis-moi que tu nous pardonnes à tous deux... Oh ! que c'est bon de te revoir !
Te pardonner, mon ami, moi seule étais coupable!... Mais, pouvais-je faire autrement? je voulais ton bonheur, même aux dépens du mien... Mais maintenant, ton père ne nous séparera plus, n'est-ce pas? Ce n'est plus ta Marguerite d'autrefois que tu retrouves, mais je suis jeune encore, je redeviendrai belle, puisque je suis heureuse... Tu oublieras tout... Nous commencerons à vivre à partir d'aujourd'hui.
Oh! non, je ne te quitte plus... Ecoute, Marguerite, nous allons partir à l'instant, quitter cette maison... Nous ne reverrons jamais Paris... Mon père sait qui tues maintenant... Il t'aimera comme le bon génie de son fils... Ma sœur est mariée.. . L'avenir est à nous.
Oh! parle-moi... parle-moi... Je sens mon âme qui revient avec tes paroles, la santé qui renaît sous ton amour... Je le disais ce matin, qu'une seule chose pouvait me sauver... Je ne l'espérais plus, et te voilà ! Oh ! nous n'allons pas perdre de temps, va, et, puisque la vie passe devant moi, je vais l'arrêter au passage... Tu ne sais pas? Nichette se marie... Elle épouse Gustave ce matin... Nous la verrons... Cela nous fera du bien d'entrer dans une église.., de prier Dieu, et d'assister au bonheur des autres... Quelle surprise la Providence me gardait pour le premier jour de l’année ! Oh ! dis-moi donc encore que tu m'aimes!...
Oui, je t'aime, Marguerite, toute ma vie est à toi.
Nanine, donne-moi tout ce qu'il faut pour sortir.
Bonne Nanine ! Vous avez eu bien soin d'elle; oh! merci !
Tous les jours, nous parlions de toi toutes les deux ; car personne n'osait plus prononcer ton nom... C'est elle qui me consolait, qui me disait que tu allais revenir !... Elle ne mentait pas... Tu as vu de beaux pays... Nous les reverrons ensemble.
Qu'as-tu, Marguerite, tu palis!...
Rien, mon ami, rien ! Tu comprends que le bonheur ne rentre pas aussi brusquement dans un cœur désolé depuis longtemps... sans l'oppresser un peu... La joie est quelquefois aussi lourde à porter que la douleur.
Elle s'assied et rejette sa tête en arrière.
Mon Dieu! Marguerite, parle-moi !... Marguerite, je t'en supplie!
Ne crains rien, mon ami ; tu sais, j'ai toujours été sujette à ces faiblesses instantanées. Mais elles passent vite; regarde, je souris, je suis forte, va! C'est étonnement de vivre qui m'étouffe !
Tu trembles !
Non, ce n'est rien!... Voyons, Nanine, donne-moi donc un châle, un chapeau...
Mon Dieu ! mon Dieu !
Marguerite étant son châle avec colère, après avoir essayé de sortir.
Oh ! je ne peux pas !
Elle tombe sur le canapé.
Nanine, courez chercher le médecin !
Oui, oui, dis-lui qu'Armand est revenu, que je veux vivre, qu'il faut que je vive...
Nanine sort.
Mais, si ce retour ne m'a pas sauvée, rien ne me sauvera. Tôt ou tard, la créature humaine doit mourir de ce qui l'a fait vivre. J'ai vécu de l'amour, J'en meurs.
Dieu ne m'eût pas ramené, pour que je te perde encore, Marguerite; tu vivras, il le faut !
Assieds-toi près de moi... le plus près possible, mon Armand, et écoute-moi bien... J'ai eu tout à l'heure un moment de colère contre la mort. Je m'en repens, elle est nécessaire ; et je l'aime, puisqu'elle t'a attendu pour me frapper. Si ma mort n'eût été certaine, ton père ne t'eût pas écrit de revenir...
Écoute, Marguerite, ne me parle plus ainsi, tu me rendrais fou... Ne me dis plus que tu vas mourir, et dis-moi que tu ne le crois pas... que cela ne peut être... que tu ne le veux pas!
Quand je ne le voudrais pas, mon ami, il faudrait bien que je cédasse, puisque Dieu le veut. Si j'étais une sainte fille, si tout était chaste en moi, peut-être pleurerais-je à l'idée de quitter un monde où tu restes, parce que l'avenir serait plein de promesses, et que mon passé m'y donnerait droit... Moi morte, tout ce que tu garderas de moi sera pur... Moi vivante, il y aura toujours des taches sur mon amour... Crois-moi, Dieu fait bien ce qu'il fait...
Ah ! j'étouffe, Marguerite.
Comment, c'est moi qui suis forcée de te donner du courage ? voyons, obéis-moi... Ouvre ce tiroir, prends-y un médaillon... c'est mon portrait du temps que j'étais jolie !... Je l'avais fait faire pour toi... garde-le, il aidera ton souvenir... Mais si un jour une belle jeune fille t'aime et que tu l'épouses, comme cela doit être... comme je veux que cela soit... et qu'elle trouve ce portrait... dis-lui que c'est celui d'une amie qui, si Dieu lui permet de se tenir dans le coin le plus obscur du ciel... prie Dieu tous les jours pour elle et pour toi... Si elle est jalouse du passé, comme nous le sommes souvent, nous autres femmes, si elle te demande le sacrifice de ce portrait... fais-le-lui sans crainte, sans remords; ce sera justice, et je te pardonne d'avance... La femme qui aime souffre trop quand elle ne se sent pas aimée... Entends-tu, mon Armand, tu as bien compris ?
Scène VII
les mêmes, nanine,puis nichette, gustave et gaston.
Nichette entre avec effroi, et devient plus hardie à mesure qu'elle voit Marguerite lui sourire , et Armand à ses pieds.
Ma bonne Marguerite, tu m'avais écrit que tu étais mourante, et je te retrouve souriante et levée.
Oh! Gustave, je suis bien malheureux!
Je suis mourante, mais je suis heureuse aussi, et mon bonheur cache ma mort... Vous voilà donc mariés... Quelle chose étrange que cette première vie, et que doit donc être la seconde!... Vous allez encore être plus heureux qu'auparavant. — Parlez de moi quelquefois, n'est-ce pas? Armand, donne- moi ta main... Je t'assure que ce n'est pas difficile de mourir, quand on est heureux !
Gaston entre.
Voilà Gaston qui vient me chercher... je suis aise de vous voir encore, mon bon Gaston. Le bonheur est ingrat : je vous avais oublié…
A Armand.
I1 a été bien bon pour moi... Ah! C'est étrange.
Elle se lève.
Quoi donc?...
Je ne souffre plus. On dirait que la vie rentre en moi... j'éprouve un bien-être que je n'ai jamais éprouvé... Mais je vais vivre ! ... Ah ! que je me sens bien !
Elle s'assied et paraît s'assoupir
Elle dort!
Marguerite! Marguerite! Marguerite!
Un grand cri. — Il est forcé de faire un effort pour arracher sa main de celle de Marguerite.
Ah !
recule épouvanté.
Morte !
Courant à Gustave.
Mon Dieu ! mon Dieu ! que vais-je devenir!...
Elle t'aimait bien, Armand, la pauvre fille!
Nichette, qui est agenouillée.
Dors en paix, Marguerite ! il te sera beaucoup pardonné, parce que tu as beaucoup aimé!