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conversation qui excitait douloureusement la curiosité de Lisabeta Ivanovna.

La dame qui, en vertu de ces infidélités que la mazurka autorise, venait d’être choisie par Tomski était la princesse Pauline. Il y eut entre eux une grande explication pendant les évolutions répétées que la figure les obligeait à faire et la conduite très lente jusqu’à la chaise de la dame. De retour auprès de sa danseuse, Tomski ne pensait plus ni à Hermann ni à Lisabeta Ivanovna. Elle essaya vainement de continuer la conversation, mais la mazurka finit, et aussitôt après la vieille comtesse se leva pour sortir.

Les phrases mystérieuses de Tomski n’étaient autre chose que des platitudes à l’usage de la mazurka, mais elles étaient entrées profondément dans le cœur de la pauvre demoiselle de compagnie. Le portrait ébauché par Tomski lui parut d’une ressemblance frappante, et, grâce à son érudition romanesque, elle voyait dans le visage assez insignifiant de son adorateur de quoi la charmer et l’effrayer tout à la fois. Elle était assise les mains dégantées, les épaules nues ; sa tête parée de fleurs tombait sur sa poitrine, quand tout à coup la porte s’ouvrit, et Hermann entra. Elle tressaillit.

— Où étiez-vous ? lui demanda-t-elle toute tremblante.

— Dans la chambre à coucher de la comtesse, répondit Hermann. Je la quitte à l’instant : elle est morte.

— Bon Dieu !... que dites-vous !

— Et je crains, continua-t-il, d’être cause de sa mort.

Lisabeta ïvanovna le regardait tout effarée, et la phrase de Tomski lui revint à la mémoire : « Il a au moins trois crimes sur la conscience. » Hermann s’assit auprès de la fenêtre, et lui raconta tout. Elle l’écouta avec épouvante. Ainsi, ces lettres si passionnées, ces expressions brûlantes, cette poursuite si hardie, si obstinée, tout cela, l’amour ne l’avait pas inspiré. L’argent seul, voilà ce qui enflammait son ame. Elle qui n’avait que son cœur à lui offrir, pouvait-elle le rendre heureux ? Pauvre enfant ! elle avait été l’instrument aveugle d’un voleur, du meurtrier de sa vieille bienfaitrice. Elle pleurait amèrement dans l’agonie de son repentir. Hermann la regardait en silence ; mais ni les larmes de l’infortunée ni sa beauté rendue plus touchante par la douleur ne pouvaient ébranler cette ame de fer. Il n’avait pas un remords en songeant à la mort de la comtesse. Une seule pensée le déchirait, c’était la perte irréparable du secret dont il avait attendu sa fortune.

— Mais vous êtes un monstre ! s’écria Lisabeta après un long silence.

— Je ne voulais pas la tuer, répondit-il froidement ; mon pistolet n’était pas chargé.

Ils demeurèrent long-temps sans se parler, sans se regarder. Le jour