« Dialogues des morts/Dialogue 72 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m Marc : text
ThomasBot (discussion | contributions)
m Marc : replace
Ligne 5 :
Le Cardinal De Richelieu Et Le Cardinal
Mazarin.
 
Caractères de ces deux ministres. Différence entre la
vraie et la fausse politique.
 
Le C. De Richelieu.
 
Hé ! Vous voilà, seigneur Jules ! On dit que
vous avez gouverné la France après moi. Comment
Ligne 16 ⟶ 19 :
les grands ?
Le C. Mazarin.
 
Vous aviez commencé tout cela : mais j' ai
eu bien d' autres choses à démêler ; il m' a fallu
soutenir une régence orageuse.
 
Le C. De Richelieu.
 
Un roi inappliqué, et jaloux du ministre
même qui le sert, donne bien plus d' embarras
Ligne 37 ⟶ 43 :
mortel au parti huguenot, qui avoit tant de
places de sûreté et tant de chefs redoutables.
 
J' ai porté la guerre jusque dans le sein de la
maison d' Autriche. On n' oubliera jamais la
Ligne 54 ⟶ 61 :
flattant leur ambition et en leur donnant dans leurs
gouvernements un pouvoir sans bornes.
 
Le C. Mazarin.
 
Pour moi, j' étois un étranger ; tout étoit
contre moi ; je n' avois de ressource que dans
Ligne 81 ⟶ 90 :
nouvelle espérance. Remarquez que je n' ai pas
répandu une seule goutte de sang.
 
Le C. De Richelieu.
 
Vous n' aviez garde d' en répandre : vous étiez
trop foible et trop timide.
 
Le C. Mazarin.
 
Timide ! Hé ! N' ai-je pas fait mettre les trois
princes à Vincennes ? M. Le prince eut tout le
temps de s' ennuyer dans sa prison.
 
Le C. De Richelieu.
 
Je parie que vous n' osiez ni le retenir en
prison ni le délivrer, et que votre embarras
fut la vraie cause de la longueur de sa prison.
 
Mais venons au fait. Pour moi, j' ai répandu
du sang ; il l' a fallu pour abaisser l' orgueil des
Ligne 99 ⟶ 115 :
reprendre leur ancienne hauteur n' ait fait mourir
personne dans un gouvernement si foible.
 
Le C. Mazarin.
 
Un gouvernement n' est point foible, quand
il mène les affaires au but par souplesse, sans
cruauté. Il vaut mieux être renard que lion
ou tigre.
 
Le C. De Richelieu.
 
Ce n' est point cruauté que de punir des
coupables dont les mauvais exemples en produiroient
Ligne 114 ⟶ 134 :
nombre de têtes coupables : d' ailleurs je n' ai jamais
eu d' autres ennemis que ceux de l' état.
 
Le C. Mazarin.
 
Mais vous pensiez être l' état en personne.
 
Vous supposiez qu' on ne pouvoit être bon
françois sans être à vos gages.
 
Le C. De Richelieu.
 
Avez-vous épargné le premier prince du
sang, quand vous l' avez cru contraire à vos
Ligne 144 ⟶ 169 :
roi selon leurs talents, sur mes ordres, ils eussent
été mes amis.
 
Le C. Mazarin.
 
Dites plutôt qu' ils eussent été vos valets :
des valets bien payés à la vérité ; mais il falloit
s' accommoder d' un maître jaloux, impérieux,
implacable sur tout ce qui blessoit sa jalousie.
 
Le C. De Richelieu.
 
Hé bien ! Quand j' aurois été trop jaloux et
trop impérieux, c' est un grand défaut, il est
Ligne 175 ⟶ 204 :
m' assure que le mien croît tous les jours en gloire
dans la nation françoise.
 
Le C. Mazarin.
 
Vous aviez les inclinations plus nobles que
moi, un peu plus de hauteur et de fierté :
Ligne 190 ⟶ 221 :
fait mettre vos armes ?
Le C. De Richelieu.
 
Votre satire est assez piquante, mais elle
n' est pas sans fondement. Je vois bien que la
Ligne 199 ⟶ 231 :
n' avez jamais eu aucune attention, ni à l' église,
ni aux lettres, ni aux arts, ni à la vertu.
 
Faut-il s' étonner qu' une conduite si odieuse
ait soulevé tous les grands de l' état et tous les
honnêtes gens contre un étranger ?
Le C. Mazarin.
 
Vous ne parlez que de votre magnanimité
chimérique : mais pour bien gouverner un
Ligne 212 ⟶ 246 :
mais tout à l' intérêt, qui ne s' épuise jamais en
ressources pour vaincre les difficultés.
 
Le C. De Richelieu.
 
La vraie habileté consiste à n' avoir jamais
besoin de tromper, et à réussir toujours par
Ligne 224 ⟶ 260 :
vient moins d' étendue et de force de génie, que de
défaut de force et de justesse pour savoir choisir.
 
La vraie habileté consiste à comprendre qu' à la
longue la plus grande de toutes les ressources dans
Ligne 235 ⟶ 272 :
vos personnages de Protée, vous n' avez su
vous faire ni aimer, ni estimer, ni craindre.
 
J' avoue que vous étiez un grand comédien,
mais non pas un grand homme.
 
Le C. Mazarin.
 
Vous parlez de moi comme si j' avois été un
homme sans coeur ; j' ai montré en Espagne,
Ligne 249 ⟶ 289 :
n' aviez ces terreurs paniques que dans certaines
heures.
 
Le C. De Richelieu.
 
Tournez-moi en ridicule tant qu' il vous
plaira : pour moi, je vous ferai toujours justice
Ligne 274 ⟶ 316 :
comme les derniers des hommes par leur mollesse dans
les affaires journalières.
 
Le C. Mazarin.
 
Il est bien aisé de parler ainsi : mais quand
on a tant de gens à contenter, on les amuse
Ligne 282 ⟶ 326 :
à leur donner, il faut bien au moins leur
laisser de vaines espérances.
 
Le C. De Richelieu.
 
Je conviens qu' il faut laisser espérer à beaucoup de
gens. Ce n' est pas les tromper ; car chacun en son
rang peut trouver sa récompense, et s' avancer même en
certaines occasions au-delà de ce qu' on auroit cru.
 
Pour les espérances disproportionnées et ridicules,
s' ils
Ligne 300 ⟶ 347 :
contre un homme qui est un exemple décisif contre
vos maximes.
 
</div>