« Notice sur l’Album de Villard de Honnecourt architecte du XIIIe siècle » : différence entre les versions

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L’incertitude qui règne sur les procédés manuels des artistes du moyen âge, l’ignorance absolue où l’on est de la manière dont se faisait leur instruction, donneront quelque intérêt à la description d’un manuscrit unique en son genre, qui paraît avoir été le livre de croquis d’un architecte du XIII<sup>e</sup> siècle. J’appellerai ''Album'' ce singulier ouvrage qui fait partie des manuscrits de Saint-Germain conservés à la Bibliothèque nationale (S. G. latin, 1104)<ref>[Il porte le n° 19093 du fonds français.]</ref>. C’est un petit volume de 33 feuillets de parchemin cousus sous une peau épaisse et grossière qui se rabat sur la tranche. Une note, écrite au XV<sup>e</sup> siècle sur le verso du dernier feuillet, prouve qu’à cette époque l’album en contenait quarante et un<ref>Elle est ainsi conçue :''En ce livre a quarente et j feillet'', signé J. Mancel avec paraphe.</ref> ; les mutilations qui ont réduit ce nombre ont l’air d’être déjà anciennes.
 
Comme les feuillets ne sont pas égalisés entre eux, leurs dimensions varient de 15 à 16 cent. en largeur sur 23 à 24 de haut. Chacun d’eux est couvert sur les deux côtés de dessins à la plume, qu’on voit avoir été esquissés à la mine de plomb. Des notes explicatives, conçues dans le dialecte picard du XIII<sup>e</sup> siècle et écrites en belle minuscule de la même époque, accompagnent plusieurs de ses dessins.
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de la même époque, accompagnent plusieurs de ses dessins.
 
L’album fut connu de Willemin qui y prit de quoi composer une planche de costumes pour ses ''Antiquités inédites''<ref>T. 1, pl. 102.</ref>. Cela fournit à M. Pottier l’occasion de voir le manuscrit et d’en dire quelques mots dans sa notice explicative des ''Antiquités''. Il fut communiqué, depuis à plusieurs antiquaires habiles qui en prirent connaissance, et n’en parlèrent pas, peut-être par la difficulté qu’ils éprouvaient à donner une interprétation satisfaisante de tout ce qu’il renferme. Je serai plus hardi n’ayant pas la même ambition. Je ne prétends pas tout expliquer dans un recueil où les matières touchent à la fois à toutes les branches de la construction et de la décoration. Mon but est de faire, après Wilemin et M. Pottier, un appel plus marqué à l’attention des érudits pour qu’un si précieux livre soit étudié à fond, discuté par qui de droit, et qu’il fournisse à la science archéologique tout ce qu’il contient pour elle de données certaines et de problèmes à résoudre.
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« ''Wilars de Honecort vous salue, et si proie u tos ceus qui de ces engiens ouverront, con trovera en cest livre, qu’il proient por s’arme et qu’il lor soviengne de lui ; car en cest livre puet on trover grant consel de le grant force de maconerie et des engiens de carpenterie ; et si troverés le force de le portraiture les traits ensi come li ars de jometri le command et ensaigne.'' Villard de Honnecourt vous salue et prie tous ceux qui travailleront aux divers genres d’ouvrages contenus en ce livre, de prier pour son âme et de se souvenir de lui ; car dans ce livre on peut trouver grand secours pour s’instruire des principes fondamentaux de la maçonnerie et de la construction en charpente. Vous y trouverez aussi la méthode pour dessiner au trait, selon que l’art de géométrie le commande et l’enseigne. »
 
Cette note peut passer pour une préface. Elle apprend le nom de l’auteur, le lieu de son origine, la nature ainsi que la destination de son livre. Villard de Honnecourt ayant composé ce recueil, le lègue aux gens de son métier, qui y trouveront nombre de procédés pour la pratique de la maçonnerie, la construction en charpente et l’application de la géométrie
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au dessin. Il leur demande, en récompense, d’avoir mémoire de lui et de prier pour son âme.
 
Villard de Honnecourt, à en juger par son surnom, était Cambraisien, car Honnecourt est un village sur l’Escaut, à cinq lieues de Cambrai. Cette présumable origine prend la consistance d’un fait certain par la présence dans l’album de deux dessins, dont l’un est le plan de l’église de Vaucelles, abbaye située tout à côté d’Honnecourt ; dont l’autre représente également, en plan, le chœur de l’église cathédrale de Cambrai.
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Il est à regretter que le manuscrit de Villard de Honnecourt fournisse moins de renseignements sur ses travaux comme architecte que sur ses pérégrinations. On n’y voit qu’une composition signée de lui ; encore en partage-t-il le mérite avec un confrère. Cet ouvrage consiste en un plan de sanctuaire pour une église de premier ordre. Le chœur est enveloppé d’une double galerie et de neuf chapelles, les unes de forme carrée, les autres en hémicycle. Elles alternent sur ce double patron à droite et à gauche de l’abside qui est carrée. Dans l’intérieur, on lit cette légende :''Istud presbiterium<ref>''Bresbiterium'' pour ''presbyterium'' est ici l’équivalent de notre mot « chœur ».</ref> invenerunt Vlardus de Huncort et Petrus de Corbeiainter se disputando''. Ainsi, cette disposition insolite fut le résultat d’une conférence entre Villard et un sien confrère appelé Pierre de Corbie ; rien n’indique d’ailleurs qu’elle ait été exécutée.
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A défaut de preuve directes qui permettent de placer notre maître Cambraisien parmi les grands constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle, il y a lieu de recourir à l’induction.
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Mais pour faire, dans son esprit, cette confusion de la cathédrale de Reims avec la cathédrale de Cambrai ; pour déclarer d’avance, et d’un ton décidé, la forme que devaient recevoir les parties inachevées de celles-ci ; enfin pour se livrer, à Reims, aux études les plus minutieuse sur ces parties même dont la copie était en voie d’exécution à Cambrai, ne faut-il pas que Villard de Honnecourt ait été l’architecte de l’église de Cambrai ? Cela me paraît d’une grande probabilité.
 
Les personnes qui ne connaissent ni l’esprit ni les pratiques du moyen
Les personnes qui ne connaissent ni l’esprit ni les pratiques du moyen âge vont dire que raisonner comme je fais, c’est se donner bien de la peine pour arriver à prouver, quoi ? qu’un homme dont je cherche à établir la valeur, n’a été qu’un plagiaire. Mais il y avait une raison plus forte que la volonté d’aucun architecte pour que le sanctuaire d la cathédrale de Cambrai fût fait à l’image de celui de Reims. Cambrai, n’étant pas encore métropole, dépendait de la province rémoise ; son église était donc fille de l’église de Reims. Or, l’archéologie a déjà constaté que ces sortes de relations entre les églises s’exprimaient, en architecture, par la conformité du plan et du style. La reproduction partielle de la basilique de Reims à Cambrai confirme donc le fait archéologique, mais n’infirme pas la capacité du constructeur.
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Les personnes qui ne connaissent ni l’esprit ni les pratiques du moyen âge vont dire que raisonner comme je fais, c’est se donner bien de la peine pour arriver à prouver, quoi ? qu’un homme dont je cherche à établir la valeur, n’a été qu’un plagiaire. Mais il y avait une raison plus forte que la volonté d’aucun architecte pour que le sanctuaire d la cathédrale de Cambrai fût fait à l’image de celui de Reims. Cambrai, n’étant pas encore métropole, dépendait de la province rémoise ; son église était donc fille de l’église de Reims. Or, l’archéologie a déjà constaté que ces sortes de relations entre les églises s’exprimaient, en architecture, par la conformité du plan et du style. La reproduction partielle de la basilique de Reims à Cambrai confirme donc le fait archéologique, mais n’infirme pas la capacité du constructeur.
 
Tout copié qu’il était, le sanctuaire de la cathédrale de Cambrai n’en présente pas moins l’aspect d’une magnifique construction. Il y avait anciennement un dicton dans le Nord, que, pour faire une église parfaite, il aurait fallu joindre au chœur de Notre-Dame de Cambrai la nef de Notre-Dame d’Arras, la croisée de Notre Dame de Valenciennes et le clocher de Notre-Dame d’Anvers. Les vieillards qui l’ont vu ne se consolent pas de sa perte. Il fut renversé à la Révolution. Il y a vingt-cinq ans, lorsqu’on acheva de déblayer l’emplacement de l’église, l’architecte de la ville, M. Aimé Boileux, put encore en relever le plan. Ce plan, gravé dans les ''Recherches sur l’église métropolitaine de Cambrai'', de M. Leglay, est parfaitement conforme au dessin du manuscrit.
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J’ai voulu, par les développements qui précèdent, retrouver quelqu’un des titres perdus de Villard de Honnecourt. Mes efforts m’ont peut-être conduit moins au vrai qu’au vraisemblable ; mais ils m’ont mis du moins en possession d’une série de faits au moyen desquels va être résolue d’une manière mathématique la question d’âge du manuscrit, et subséquemment l’âge de l’auteur. Il n’y a pour cela qu’à tirer de l’histoire des cathédrales e cambrai et de Reims quelques-unes des dates de leur construction.
 
La cathédrale de Cambrai, qui était romane, fut accommodée à un nouveau plan lorsque l’architecture gothique prévalut. M. Leglay mentionne des travaux exécutés dès 1227 pour la reconstruction des bras du transept. Le tracé d’un nouveau chœur, derrière celui qui existait, fut commencé, en 1241, la seconde chapelle à droite en 1243. Quant à la première à droite, qui complétait le pourtour du chevet, on ignore sa date, mais d’après la marche du reste des travaux qu’on voit avoir été
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dirigés du transept vers l’abside, on peut raisonnablement supposer que cette chapelle fut commencée entre 1230 et 1239. Ainsi, c’est de 1230 à 1243 que s’éleva la clôture du nouveau chevet de Notre-Dame de cambrai.
 
D’autre part, il est constant que l’œuvre circonscrite par la même clôture fut achevée en 1251, puisque le jour de Pâques de cette année, le clergé prit possession du nouveau chœur.
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Interrogeons maintenant l’histoire de Hongrie.
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En 1242, les Tartares ayant envahi les provinces danubiennes, la nation hongroise presque tout entière fut forcée d’émigrer. Elle revint l’année suivante, expulsa ses vainqueurs, mais ne trouva plus que des ruines à la place où ses villes avaient existé. Strigonie surtout, Strigonie, la capitale et l’ornement de l’empire, avait été comme effacée du sol. C’est à la restauration de cette grande cité que Bela, qui régnait alors sur les Hongrois, commença par appliquer toutes ses ressources. Il tâcha de lui rendre sa splendeur, son animation, sa physionomie toute européenne, car au moment de l’invasion, elle était peuplée presque exclusivement de Français et d’Italiens<ref>Rogerii Varadicusis, ''De destructione Hungariæ per Tartaros''.</ref>. Entre autres monuments, il y fit construire, pour les frères mineurs chez qui il avait élu sa sépulture, une somptueuse église sous l’invocation de la sainte Vierge<ref>Johannes de Thworez, ''Chronicon Hungarorum''.</ref>.
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1° Le roi Bela était frère d’Élisabeth de Hongrie, princesse très dévote à Notre-Dame de Cambrai, et dont les offrandes servirent précisément à payer les travaux de reconstruction commencés au transept de ladite église en 1227, sous la direction présumée de Villard de Honnecourt.
 
2° Élisabeth de Hongrie mourut en 1231, fut canonisée, et devint l’objet d’un culte particulier à Marbourg où elle avait reçu la sépulture. Là, sous son invocation, fut construite en 1235 une magnifique église, la première, de l’aveu des archéologues, que l’Allemagne ait vue s’élever dans le style purement gothique ou, pour mieux dire,
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français. De plus, cette église de Marbourg a ses croisillons arrondis : disposition assez rares des églises gothiques, que la cathédrale de Cambrai présentait également.
 
3° A sainte Élisabeth fut consacrée encore celle des chapelles de la cathédrale de Cambrai dont la fondation, fixée dans l’histoire à 1239, serait, selon nous, du nombre des travaux exécutés par Villard de Honnecourt.
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Je les classerai donc ; et pour cela je ne prendrai en considération ni leur plus ou moins d’apparence, ni le mérite plus ou moins grand de leur exécution mais seulement la nature des connaissances auxquelles elles ont rapport. Le même point de vue me fournira la mesure du développement à donner à chacune de mes explications. Les plus grands et les plus beaux dessins de Villard de Honnecourt pourront ne recevoir de moi qu’une simple mention, tandis qu j’insisterai sur des traits souvent informes et perdus entre d’autres figures : défaut de proportion qui en réalité n’en est pas un ; car là où l’auteur se montre seulement dessinateur habile, il suffit du plus court éloge donné à son talent ; tandis que les endroits où paraît son instruction professionnelle ne sauraient être trop discutés, devant, par leur éclaircissement, fournir à la science des données qui lui ont manqué jusqu’ici.
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Neuf chapitres embrasseront facilement la totalité des remarques à faire sur le manuscrit de Saint-Germain. Ils seront désignés par les titres suivants :