« Henri Poincaré, le problème des trois corps » : différence entre les versions

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{{t2|HENRI POINCARE, LE PROBLEME DES TROIS CORPS}}
 
* Par [[Jacques Hadamard]]
 
Si on se rappelle à quel point l’œuvre de Poincaré est comme adéquate à toute la science mathématique, pure ou appliquée, que notre époque a produite, et la pénètre dans toutes ses manifestations, on aura compris par avance que la partie en quelque sorte centrale de cette œuvre corresponde au problème qui joue lui-même le rôle principal dans les mathématiques modernes. Ce problème, que les applications au monde physique ont imposé dès la création du calcul infinitésimal, est l’intégration des équations différentielles et aux dérivées partielles. «… Les efforts des savants ont toujours tendu à résoudre le phénomène complexe donné directement par l’expérience en un nombre très grand de phénomènes élémentaires. Et cela,… d’abord dans le temps. Au lieu d’embrasser dans son ensemble le développement progressif d’un phénomène, on cherche simplement à relier chaque instant à l’instant immédiatement antérieur ; on admet que l’état actuel du monde ne dépend que du passé le plus proche, sans être directement influencé, pour ainsi dire, par le souvenir d’un passé lointain. Grâce à ce postulat, au lieu d’éluder directement toute la succession des phénomènes, on peut se borner à en écrire « l’équation différentielle » ; aux lois de Kepler, on substitue celle de Newton ». Les lois physiques, — ou plutôt les hypothèses physiques — qui servent de point de départ font donc connaître directement le devenir d’un phénomène ou, suivant une expression qui a cours en mathématiques, font connaître des propriétés de sa variation instantanée (par exemple, de la vitesse d’un point ou de son accélération). Ceci, autrement dit, donne des relations entre états infiniment voisins de ce phénomène. Ces relations dont nous essaierons plus loin de donner une idée par quelques exemples simples, s’appellent des équations différentielles. Il reste à les intégrer, c’est-à-dire à déduire de ces relations entre états infiniment voisins, celles qui existent entre deux états quelconques, l’un considéré comme initial, l’autre comme final, du même phénomène. Or, sauf dans des cas tout exceptionnels, ce problème offre de hautes difficultés. Encore ce que nous venons de dire suppose-t-il que la décomposition en phénomènes élémentaires, dont nous parlions tout à l’heure avec Poincaré, se fasse exclusivement dans le temps. C’est le cas du mouvement simultané des planètes qui composent le système solaire, lorsque l’on considère chacune d’elles comme réduite à un simple point. Ces différents points, qui sont en nombre fini, sont supposés s’attirer d’après la loi classique de Newton, et ceci donne des relations entre leurs positions et leurs vitesses à un instant déterminé quelconque, d’une part ; de l’autre, la manière dont ces mêmes éléments varient lorsqu’on passe de cet instant à un autre infiniment peu postérieur au premier. Le système varie bien dans l’espace, mais sa position n’est fonction que d’une variable, le temps. On arrive encore à traiter d’une manière analogue le cas où on regarderait ces mêmes planètes non plus comme des points, mais comme des corps solides, de manière à tenir compte de leurs mouvements de rotation. Mais lorsqu’on étudie les mouvements de milieux continus (autres que des solides indéformables), la décomposition en phénomènes élémentaires doit se faire à la fois dans le temps et dans l’espace grâce au fait que chaque molécule est directement influencée par les molécules voisines. Les équations, dites « aux dérivées partielles », auxquelles on est conduit dans ces nouvelles conditions, sont d’un ordre de difficulté encore supérieur aux premières. Non seulement la Physique, mais la Mécanique céleste elle-même posent des problèmes de cette sorte. Tel est (avec des difficultés toutes spéciales d’ailleurs), celui de la figure d’équilibre d’une masse fluide en rotation, sur lequel le lecteur est renseigné par l’étude de M. Volterra. Tel est aussi celui des marées. En ce qui regarde la Physique, il faut, il est vrai, noter que l’évolution produite par les théories moléculaires, — évolution que Poincaré, jusqu’à son dernier jour, sut suivre et diriger comme toutes les autres — tend dans une certaine mesure à modifier ce qui précède. Tout d’abord, les molécules étant assimilées le plus souvent soit à des points, soit à des solides, soit à des systèmes planétaires, leurs mouvements sont régis, non par des équations aux dérivées partielles, mais par des équations différentielles ordinaires ; il devrait en être ainsi, au moins en théorie, des phénomènes qui résultent de ces mouvements. Il y a plus : une nouvelle hypothèse paraît s’imposer, celle des « quanta », d’après laquelle, au sein de cette matière discontinue, les actions mutuelles entre molécules ne s’opéreraient elles-mêmes que par degrés discontinus. S’il en était ainsi, les équations différentielles elles-mêmes seraient ( toujours en théorie) éliminées à leur tour et remplacées par d’autres qui ne relèveraient plus du calcul infinitésimal, attendu qu’elles se rapporteraient à des variations très petites, mais non pas infiniment petites. Nous disons : en théorie, car il ne faudrait pas s’imaginer que cette mise hors de cause des équations différentielles et aux dérivées partielles soit définitive, ni surtout que les nouvelles conditions où se place l’hypothèse des quanta aient pour effet de simplifier le problème mathématique. Bien au contraire, étant donné que le nombre des molécules d’un corps, tout en étant fini, est énorme ; que, de même, dans l’hypothèse des quanta, les changements successifs qui interviennent dans l’état d’une molécule quelconque, tout en cessant d’être infiniment petits et infiniment nombreux, restent extrêmement petits et extrêmement nombreux, la meilleure, la seule marche à suivre pour débrouiller l’inextricable complication des équations ainsi écrites consiste à profiter des relations — que Poincaré lui-même eut l’occasion d’éclairer à plusieurs reprises et même dès ses premiers travaux — entre la catégorie générale à laquelle appartiennent ces équations et celles des équations différentielles ou aux dérivées partielles. C’est en définitive, à l’un ou à l’autre de ces deux derniers types que l’on est encore ramené. Quoi qu’il en soit, nous nous proposons ici de rappeler quelques-uns des plus grands progrès dus à Poincaré dans l’étude des équations différentielles. Nous ne nous occuperons pas des équations aux dérivées partielles : nous pouvons, en effet, renvoyer le lecteur à l’étude de M. Volterra en ce qui concerne leur intervention en physique mathématique, comme ce qui concerne la figure des planètes (figure des fluides en rotation) ; et quant à la théorie des marées, c’est-à-dire de l’oscillation des mers, les méthodes qu’il lui a appliquées peuvent se comparer — à des distinctions près dans le détail desquelles il nous serait tout à fait impossible d’entrer ici — à celles mêmes qui conviennent aux problèmes de physique vibratoire (vibrations de membranes, etc.), avec cette différence qu’il utilisa, dans l’étude du mouvement des mers, non seulement les méthodes qu’il avait découvertes, mais, à partir des travaux de M. Fredholm, celle des équations intégrales, dont il sut mieux que personne utiliser les précieuses ressources. Nous parlerons donc de la théorie des équations différentielles ordinaires. Il y eut pour celle-ci, comme pour tout le calcul infinitésimal, un âge d’or : celui où la solution des problèmes que l’on se posait pouvait, à l’aide des moyens que les géomètres possédaient à cette époque, être menée jus-qu’au bout, de manière à donner d’un seul coup satisfaction complète à l’esprit. Rappelons grâce à quelle circonstance cette solution se trouvait avoir toute la simplicité voulue. Soit un système d’équations différentielles auquel doit satisfaire, par exemple, le mouve-ment d’un certain système de points. Parmi les conséquences que l’on peut tirer des équations données, certaines peuvent exprimer qu’une ou plusieurs quantités convenablement choisies, fonctions de la position du système, restent forcément constantes pendant tout le cours de son mouvement. On dit que ces quantités sont autant d’intégrales des équations différentielles données. Par exemple, dans le mouvement simultané des planètes du système solaire (pourvu qu’on ne tienne pas compte de l’action des étoiles fixes et autres corps célestes n’appartenant pas à ce système) la vitesse du centre de gravité de l’ensemble des corps qui le composent reste constante en grandeur et en direction. Comme cette vitesse peut être considérée comme définie par ses composantes suivant trois directions fixes différentes, on a ainsi trois intégrales du système. On peut d’ailleurs aisément en déduire trois autres du même fait, puis en obtenir encore quatre par d’autres considérations. Lorsque le nombre de ces intégrales est suffisant, elles permettent d’obtenir complètement la solution. Ce fut le cas pour les systèmes différentiels correspondant aux premiers problèmes — particulièrement de mécanique — auxquels on s’adressa. Mais la liste de ces cas simples fut vite épuisée. En général, le nombre des’intégrales connues’est insuffisant. le nom d’intégrales qu’aux quantités qui, tout en restant constantes au cours de chacun de ces mouvements, varient, en général, lorsque l’on passe de l’un d’eux à un autre. C’est ce qui a lieu pour l’exemple cité dans le texte.