« Éric Le Mendiant/1 » : différence entre les versions

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Marguerite avait seize ans : belle, comme doivent l’être les anges, elle n’avait point encore réveillé son âme, qui dormait enveloppée dans les douces illusions de l’enfance. Elle vivait auprès de son père, heureuse, souriante, folle, et ne cherchait point à deviner pourquoi, à de certains moments, elle sentait son cœur battre avec précipitation, pourquoi une tristesse indéfinie imprégnait parfois sa pensée d’amertume et de mélancolie : quand ces vagues aspirations s’emparaient d’elle, ouvrant tout à coup sous ses pas des routes ignorées, elle accourait auprès de son père, lui racontait avec naïveté ses tourments et ses désirs ; et trouvant alors une force surnaturelle dans la parole douce et grave du vieillard, la tempête passionnelle soulevée dans son cœur se taisait, et la tristesse fuyait, la laissant candide et calme comme auparavant !…
 
Le jour elle courait, suivant dans ses capricieux détours la petite rivière artificielle qui alimentait les prairies dépendantes de la ferme : elle allait gaie, rieuse, folâtre, cueillant les perven-chespervenches et les bluets, pourchassant le papillon aux ailes diaprées, écoutant le chant des oiseaux ou le cri des bêtes fauves.
 
Si elle rencontrait un malheureux qui lui tendait la main, elle ouvrait sans hésiter la petite bourse où elle renfermait le trésor de ses modestes épargnes, et jetait généreusement une petite pièce d’argent dans la main du mendiant.
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Jamais le moindre souci n’était venu mettre une ride sur son front si pur ; jamais la plus légère inquiétude n’avait troublé la sérénité calme de son cœur.
 
Elle allait à travers la ville comme le voyageur à travers les forêts vierges de l’Amérique, écoutant avec ravissement les dou-cesdouces harmonies de la nature, admirant les merveilles de cette vi-goureusevigoureuse et féconde végétation, s’oubliant, enfin, dans la contemplation de sublimes beautés que l’art ne peut égaler.
 
Margaït ne se doutait pas même des amères douleurs qui peuvent faire la vie triste et désespérée, et elle buvait sans crainte à la coupe d’or des joies terrestres dans laquelle, jus-qu’alorsjusqu’alors, aucune larme n’était encore tombée de ses beaux yeux !
 
Depuis quelque temps cependant Margaït grandissait à vue d’œil, ses formes se développaient avec grâce, ses épaules s’arrondissaient comme sous l’amoureux ciseau d’un sculpteur invisible, une flamme discrète brillait sous ses paupières bru-niesbrunies.
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La pauvre enfant ne comprenait pas bien encore ce qui se passait dans son cœur ; elle s’étonnait naïvement de ces chan-gementschangements merveilleux, et s’effrayait même quelquefois, en admi-rantadmirant le triple diadème de jeunesse, de grâce et de candeur dont la nature couronnait son beau front.
 
Le vieux Tanneguy et sa fille marchèrent ainsi pendant une heure environ, le premier, saluant de la voix et du geste les paysans que l’aube matinale appelait aux champs, la seconde, envoyant un bonjour et un sourire aux jeunes filles du bourg qui partaient pour le marché. – Toutefois, il est bon de remarquer que ces échanges de politesse empruntaient, de la part des pas-santspassants, un caractère particulier de contrainte et de froideur ; mais le père Tanneguy n’y prit point garde… Peu à peu, la route devint plus solitaire ; ils ne rencontrèrent, à de longs intervalles, que quelques voyageurs isolés, dont le visage leur était inconnu, et quand le soleil s’éleva à l’horizon, ils se trouvèrent seuls, à un endroit où la route se bifurque tout d’un coup.
 
Il y a, en cet endroit deux chemins qui conduisent par des détours différents, à un même but. L’un, plus roide et plus ro-cailleuxrocailleux, offre au voyageur les sites pittoresques, mais nus et désolés de la côte ; l’autre, qui n’est qu’un petit sentier creux, descend par une pente insensible jusqu’à la mer.
 
Le vieux Tanneguy se tourna alors vers sa fille, et lisant d’avance dans ses yeux :
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Le vieux Breton la regarda un moment s’enfoncer et dispa-raîtredisparaître dans le sentier plein d’ombre, puis, ayant secoué sur son pouce la cendre de sa pipe éteinte, il serra le ''peu''-''bas'' qu’il tenait à la main, et pressa le pas pour rejoindre sa fille.
 
Le soleil s’était levé, et sa vive lumière semblait tomber en pluie d’or, à travers les branches d’arbres qui s’arrondissaient en berceau au-dessus du sentier : les oiseaux cachés sous les feuilles vertes saluaient les premières splendeurs du printemps ; et les deux ruisseaux qui côtoient le sentier, passaient en chan-tantchantant, sous les fleurs embaumées de leurs rives !
 
La nature a un langage inconnu et mélodieux qui remue profondément le cœur et fait doucement rêver.
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Quant à ''Margaït'', elle était déjà loin !…
 
Elle avait détaché le chapeau de paille aux larges bords, par lequel elle avait remplacé ce jour-là la coiffe traditionnelle des filles de Bretagne ; ses longs cheveux flottaient au vent sur ses épaules, et la blonde enfant courait devant elle, avec un fol eni-vrementenivrement.
 
De temps en temps seulement, quand après avoir arraché aux revers du chemin, bon nombre de fleurs bleues et jaunes, elle se retournait tout à coup, et n’apercevait plus derrière elle la silhouette aimée du vieux Tanneguy, elle remontait en courant la pente qu’elle venait de descendre et s’empressait de repren-drereprendre, pour un moment, sa place accoutumée auprès de son père.
 
Ce n’est pas que Margaït eût peur de se trouver ainsi seule au milieu du sentier ; Margaït n’avait peur
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que des farfadets et des sorcières, et elle savait bien que les sorcières et les farfadets ne battent pas la campagne pendant le jour. Mais Margaït ai-maitaimait son père, et quand les papillons, la brise ou les fleurs ne lui inspiraient plus de graves distractions, son cœur tout entier re-venaitrevenait à son père bien-aimé !
 
C’était une noble enfant que Marguerite, et le vieux Tanne-guyTanneguy n’ignorait pas quel pur trésor Dieu lui avait envoyé !…
 
Dans un de ces moments, où emportée loin de son père, par l’élan de sa course, la blonde enfant ne songeait plus qu’à pourchasser les papillons et les vertes demoiselles, elle atteignit un endroit solitaire où la route se dégage tout à coup des petites haies vives qui jusque-là masquent l’horizon et permet au regard de planer au loin sur les vastes grèves de l’Océan.
 
Soit que Marguerite se sentît touchée de la beauté du spectacle qui s’offrait si inopinément à ses yeux, soit qu’une autre cause eût fait naître en elle un sentiment mêlé de crainte et de joie, elle s’arrêta aussitôt et croisa ses deux bras demi-nusdeminus sur sa poitrine ! Puis, comme si la gaieté qui l’avait accompagnée jusqu’alors, l’eût tout à coup abandonnée, comme si même une certaine terreur se fût emparée d’elle, elle regarda instinctivement à ses côtés ne sachant si elle devait avancer ou reculer !…
 
Enfin, elle parut prendre son parti en brave, tourna vivement sur elle-même, et après un nouveau mouvement d’hésitation, elle reprit sa course, et s’en alla rejoindre son père qu’elle ne tarda pas d’ailleurs à apercevoir.
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C’était un enfant encore, et devant le problème insondable et irrésolu de la vie humaine, il se sentait hésiter, et il avait peur !…
 
Quand le vieux Tanneguy et le jeune cavalier se rencontrèrent, le visage du premier parut s’épanouir, et il lui fit un signe de tête plein de bienveillance et de sympathie. – Bonjour, mon-sieurmonsieur Octave, lui
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dit-il en le saluant de la main, j’espère que vous voilà matinal aujourd’hui.
 
Le jeune cavalier avait arrêté son cheval, et après s’être in-clinéincliné devant le père de Marguerite, il avait envoyé à cette der-nièredernière un sourire particulier qui témoignait de relations antérieures.
 
Puis, il se retourna vers Tanneguy.
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Marguerite devint rouge comme une cerise.
 
Mais le jeune homme était pour le moins aussi embarrassé que la jeune fille, et après quelques paroles banales échangées encore avec Tanneguy, il les salua tous deux par un geste gracieux, leur promit d’aller bientôt les voir à leur ferme de Lan-meurLanmeur, et enfonça lestement ses éperons dans les flancs de son cheval.
 
La noble bête prit aussitôt le trot, et monture et cavalier disparurent un instant après aux regards de Tanneguy et de sa fille.