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Je restai seule. Le soleil s’était couché. Le silence devenait terrifiant dans le cimetière. Les arbres noirs prenaient des formes éplorées ou menaçantes. L’humidité du bois me tombait en chape sur les épaules, s’alourdissant de minute en minute.

Je me sentais abandonnée. Je pleurais. J’en voulais à moi, au soldat, à mère Sainte-Sophie, aux élèves qui m’avaient excitée par leurs rires, à l’officier qui m’avait humiliée, à la sœur tourière qui avait sonné bêtement la cloche d’alarme.

Puis je songeai à redescendre par l’échelle de corde mise par moi à cheval sur la poutrelle. Maladroite, tremblante de peur au moindre bruit, l’oreille au guet, l’œil roulant de droite à gauclie dans son orbite, je mis un temps infini, craignant à tout instant de décrocher les anneaux. Enfin elle se déroula doucement jusqu’à terre, et j’allais enjamber le premier échelon quand les abois de César me terrifièrent.

Il accourait du fond du bois. La vue de cette ombre sur la gymnastique ne lui disait rien qui vaille, à ce brave César ; et, furieux, il vint s’écraser contre les lourds montants de bois.

Je fis ma voix douce : « Eh bien, César, on ne reconnaît plus son amie ?... » Il grognait...

De ma voix forte : « Fi ! le vilain César !... oh ! la sale bête qui grogne son amie !... » Il rugit...

Je commençais à avoir un trac fou... Je remontai l’échelon descendu, et m’assit sur la poutrelle. César se coucha au bas de la gymnastique, la queue droite, les oreilles dressées, le poil en crête sur le dos, et grognant sourdement.

J’appelai la Sainte Vierge à mon aide. Je priai ardemment. Je jurai de dire tous les jours trois Ave, trois