« Marie Tudor (Victor Hugo) » : différence entre les versions

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Fabiani
Cette lanterne éclaire mal. Mais tu as un bonnet jaune, il me semble, un bonnet de juif ? Est-ce que tu es un juif ?
jaune, il me semble, un bonnet de juif ? Est-ce que
tu es un juif ?
 
L’homme
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L’homme
Je sais votre nom. à Naples, on vous appelait Signor Fabiani ; à Madrid, Don Faviano ; à Londres, on vous appelle Lord Fabiano Fabiani,
Comte De Clanbrassil.
 
Fabiani
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L’homme
Voulez-vous que je vous en dise davantage ? Vous avez séduit cette fille, et depuis un mois elle vous a reçu deux fois chez elle
la nuit. C’ estC’est aujourd’hui la troisième. La belle vous attend.
 
Fabiano
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L’homme
Non. Vous n’ enn’en étiez pas amoureux.
 
Fabiani
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L’homme
Pas plus que de la reine. -amourAmour, non ; calcul, oui.
 
Fabiani
Ah çà, drôle, tu n’es pas un homme, tu es ma conscience habillée en juif !
conscience habillée en juif !
 
L’homme
Je vais vous parler comme votre conscience, mylord. Voici toute votre affaire. Vous êtes le favori de la reine. La reine vous a
Je vais vous parler comme votre conscience, mylord. Voici toute votre affaire. Vous êtes le favori de la reine. La reine vous a donné la jarretière, la comté et la seigneurie. Choses creuses que cela ! La jarretière, c’est un chiffon ; la comté, c’est un mot ; la seigneurie, c’est le droit d’ avoir la tête tranchée. Il vous fallait mieux. Il vous fallait, mylord, de bonnes terres, de bons bailliages, de bons châteaux et de bons revenus en bonnes livres sterling. Or, le Roi Henri VIII avait confisqué les biens de Lord Talbot, décapité il y a seize ans. Vous vous êtes fait donner par la reine Marie les biens de Lord Talbot. Mais pour que la donation fût valable, il fallait que Lord Talbot fût mort sans postérité. S’il existait un héritier ou une héritière de Lord Talbot, comme Lord Talbot est mort pour la Reine Marie et pour sa mère Catherine D’ Aragon, comme Lord Talbot était papiste, et comme la Reine Marie est papiste, il n’ est pas douteux que la Reine Marie vous reprendrait les biens, tout favori que vous êtes, mylord, et les rendrait, par devoir, par reconnaissance et par religion, à l’héritier ou à l’héritière. Vous étiez assez tranquille de ce côté. Lord Talbot n’ avait jamais eu qu’une petite fille qui avait disparu de son berceau à l’époque de l’exécution de son père, et que toute l’Angleterre croyait morte. Mais vos espions ont découvert dernièrement que dans la nuit où Lord Talbot et son parti furent exterminés par Henri VIII, un enfant avait été mystérieusement déposé chez un ouvrier ciseleur du pont de Londres, et qu’il était probable que cet enfant, élevé sous le nom de Jane, était Jane Talbot, la petite fille disparue. Les preuves écrites de sa naissance manquaient, il est vrai, mais tous les jours elles pouvaient se retrouver. L’ incident était fâcheux. Se voir peut-être forcé un jour de rendre à une petite fille Shrewsbury, Wexford, qui est une belle ville, et la magnifique comté de Waterford ! C’est dur. Comment faire ? Vous avez cherché un moyen de détruire et d’annuler la jeune fille. Un honnête homme l’eût fait assassiner ou empoisonner. Vous, mylord, vous avez mieux fait, vous l’avez déshonorée.
donné la jarretière, la comté et la seigneurie. Choses creuses que cela ! La jarretière, c’est un chiffon ; la comté, c’est un
mot ; la seigneurie, c’est le droit d’avoir la tête tranchée. Il vous fallait mieux. Il vous fallait, mylord, de bonnes terres,
de bons bailliages, de bons châteaux et de bons revenus en bonnes livres sterling. Or, le Roi Henri VIII avait confisqué les biens
de Lord Talbot, décapité il y a seize ans. Vous vous êtes fait donner par la reine Marie les biens de Lord Talbot. Mais pour que
la donation fût valable, il fallait que Lord Talbot fût mort sans postérité. S’il existait un héritier ou une héritière de Lord
Talbot, comme Lord Talbot est mort pour la Reine Marie et pour sa mère Catherine D’Aragon, comme Lord Talbot était papiste, et
comme la Reine Marie est papiste, il n’est pas douteux que la Reine Marie vous reprendrait les biens, tout favori que vous êtes,
mylord, et les rendrait, par devoir, par reconnaissance et par religion, à l’héritier ou à l’héritière. Vous étiez assez tranquille
de ce côté. Lord Talbot n’avait jamais eu qu’une petite fille qui avait disparu de son berceau à l’époque de l’exécution de son
père, et que toute l’Angleterre croyait morte. Mais vos espions ont découvert dernièrement que dans la nuit où Lord Talbot et son
parti furent exterminés par Henri VIII, un enfant avait été mystérieusement déposé chez un ouvrier ciseleur du pont de Londres,
et qu’il était probable que cet enfant, élevé sous le nom de Jane, était Jane Talbot, la petite fille disparue. Les preuves
écrites de sa naissance manquaient, il est vrai, mais tous les jours elles pouvaient se retrouver. L’incident était fâcheux.
Se voir peut-être forcé un jour de rendre à une petite fille Shrewsbury, Wexford, qui est une belle ville, et la magnifique comté
de Waterford ! C’est dur. Comment faire ? Vous avez cherché un moyen de détruire et d’annuler la jeune fille. Un honnête homme l’eût
fait assassiner ou empoisonner. Vous, mylord, vous avez mieux fait, vous l’avez déshonorée.
 
Fabiani
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L’homme
C’est votre conscience qui parle, mylord. Un autre eût pris la vie à la jeune fille, vous lui avez pris l’honneur, et par conséquent
l’avenir. La reine Marie est prude, quoiqu’ellequoiqu'elle ait des amansamants.
 
Fabiani
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L’homme
La reine est d’une mauvaise santé ; la reine peut mourir, et alors, vous favori, vous tomberiez en ruine sur son tombeau. Les preuves
matérielles de l’état de la jeune fille peuvent se retrouver, et alors, si la reine est morte, toute déshonorée que vous l’avez faite,
Jane sera reconnue héritière de Talbot. Eh bien ! Vous avez prévu ce cas-là ; vous êtes un jeune cavalier de belle mine, vous vous êtes
fait aimer d’elle, elle s’est donnée à vous, au pis-aller, vous l’épouseriez. Ne vous défendez pas de ce plan, mylord, je le trouve sublime.
Si je n’étais moi, je voudrais être vous.
 
Fabiani
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L’homme
Vous avez conduit la chose avec adresse. Vous avez caché votre nom. Vous êtes à couvert du côté de la reine. La pauvre fille croit avoir
été séduite par un chevalier du pays de Sommerset, nommé Amyas Pawlet.
 
Fabiani
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L’homme
Mylord, si quelqu’un avait en son pouvoir les papiers qui constatent la naissance, l’existence etleet le droit de l’héritière de Talbot,
cela vous ferait pauvre comme mon ancêtre Job, et ne vous laisserait plus d’autres châteaux, Don Fabiano, que vos châteaux en Espagne,
ce qui vous contrarierait fort.
 
Fabiani
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Fabiani
Je ne te crois pas. Bien en règle ? Il n’y manque rien ?
rien ?
 
L’homme
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L’homme
Fort bien. -juif ! Misérable mendiant qui passes dans la rue, donne-moi la ville de Shrewsbury, donne-moi la ville de Wexford,
passes dans la rue, donne-moi la ville de Shrewsbury, donne-moi la ville de Wexford, donne-moi la comté de Waterford. -laLa charité, s’il vous plaît !
 
Fabiani
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L’homme
Simon Renard et Lord Chandos me les paieraient bien cher.
bien cher.
 
Fabiani
Simon Renard et Lord Chandos sont les deux chiens entre lesquels je te ferai pendre.
chiens entre lesquels je te ferai pendre.
 
L’homme
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Fabiani
Ici, juif ! -queQue veux-tu que je te donne pour ces papiers ?
ces papiers ?
 
L’homme
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L’homme
Il y a un parchemin qui ne vous quitte jamais. C’est un blanc-seing que vous a donné la reine, et où elle jure sur sa
couronne catholique d’ accorder à celui qui le lui présentera la grâce, quelle qu’ ellequ’elle soit, qu’ ilqu’il lui demandera. Donnez-moi
ce blanc-seing, vous aurez les titres de Jane Talbot. Papier pour papier.
 
Fabiani
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L’homme
Voyons. Jeu sur table, mylord. Je vous ai dit vos affaires, je vais vous dire les miennes. Je suis un des principaux argentiers
Voyons. Jeu sur table, mylord. Je vous ai dit vos affaires, je vais vous dire les miennes. Je suis un des principaux argentiers juifs de la rue Kantersten, à Bruxelles. Je prête mon argent. C’est mon métier. Je prête dix et l’on me rend quinze. Je prête à tout le monde, je prêterais au diable, je prêterais au pape. Il y a deux mois, un de mes débiteurs est mort sans m’avoir payé. C’était un ancien serviteur exilé de la famille Talbot. Le pauvre homme n’avait laissé que quelques guenilles. Je les fis saisir. Dans ces guenilles je trouvai une boîte et dans cette boîte des papiers. Les papiers de Jane Talbot, mylord, avec toute son histoire contée en détail et appuyée de preuves pour des temps meilleurs. La reine d’Angleterre venait précisément de vous donner les biens de Jane Talbot. Or, j’ avais justement besoin de la reine d’Angleterre pour un prêt de dix mille marcs d’or. Je compris qu’il y avait une affaire à faire avec vous. Je vins en Angleterre sous ce déguisement, j’épiai vos démarches moi-même,j’ épiai Jane Talbot moi-même, je fais tout moi-même. De cette façon j’ appris tout, et me voici. Vous aurez les papiers de Jane Talbot si vous me donnez le blanc-seing de la reine. J’écrirai dessus que la reine me donne dix mille marcs d’or. On me doit quelque chose ici au bureau de l’excise mais je ne chicanerai pas. Dix mille marcs d’or, rien de plus. Je ne vous demande pas la somme à vous, parce qu’il n’ y a qu’une tête couronnée qui puisse la payer. Voilà parler nettement, j’espère. Voyez-vous, mylord, deux hommes aussi adroits que vous et moi n’ont rien à gagner à se tromper l’ un l’ autre. Si la franchise était bannie de la terre, c’ est dans le tête-à-tête de deux fripons qu’elle devrait se retrouver.
juifs de la rue Kantersten, à Bruxelles. Je prête mon argent. C’est mon métier. Je prête dix et l’on me rend quinze. Je prête à
tout le monde, je prêterais au diable, je prêterais au pape. Il y a deux mois, un de mes débiteurs est mort sans m’avoir payé.
C’était un ancien serviteur exilé de la famille Talbot. Le pauvre homme n’avait laissé que quelques guenilles. Je les fis saisir.
Dans ces guenilles je trouvai une boîte et dans cette boîte des papiers. Les papiers de Jane Talbot, mylord, avec toute son histoire
contée en détail et appuyée de preuves pour des temps meilleurs. La reine d’Angleterre venait précisément de vous donner les biens
de Jane Talbot. Or, j’avais justement besoin de la reine d’Angleterre pour un prêt de dix mille marcs d’or. Je compris qu’il y avait
une affaire à faire avec vous. Je vins en Angleterre sous ce déguisement, j’épiai vos démarches moi-même, j’épiai Jane Talbot moi-même,
je fais tout moi-même. De cette façon j’appris tout, et me voici. Vous aurez les papiers de Jane Talbot si vous me donnez le blanc-seing
de la reine. J’écrirai dessus que la reine me donne dix mille marcs d’or. On me doit quelque chose ici au bureau de l’excise mais je ne
chicanerai pas. Dix mille marcs d’or, rien de plus. Je ne vous demande pas la somme à vous, parce qu’il n’ y a qu’une tête couronnée qui
puisse la payer. Voilà parler nettement, j’espère. Voyez-vous, mylord, deux hommes aussi adroits que vous et moi n’ont rien à gagner à
se tromper l’un l’autre. Si la franchise était bannie de la terre, c’est dans le tête-à-tête de deux fripons qu’elle devrait se retrouver.
 
Fabiani
Impossible. Je ne puis te donner ce blanc-seing. Dix mille marcs d’ or ! Que dirait la reine ? Et puis, demain je puis être disgracié ;
ce blanc-seing, c’est ma sauve-garde ; ce blanc-seing, c’est ma tête.
 
L’homme
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Après.
 
(Ils s’ approchents’approchent de la lanterne. Fabiani, placé
derrière le juif, de la main gauche lui tient le
papier sous les yeux. L’L’homme homme l’ examinel’examine.)
 
L’ homme, lisant.
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Fabiani
(Il tire son poignard de la main droite et le lui enfonce dans la gorge.)
enfonce dans la gorge.)
Excepté ceci.
 
L’homme
Oh ! Traître !… -à moi !
(Il tombe. -enEn tombant, il jette dans l’ ombre, derrière lui, sans que Fabiani s’ en aperçoive, un paquet cacheté.)
 
Fabiani, se penchant sur le corps.
Je le crois mort, ma foi ! -viteVite, ces papiers !
Il fouille le juif. —maisMais quoi ! Il n’ a rien ! Rien sur lui ! Pas un papier, le vieux mécréant ! Il mentait ! Il me trompait !
Il me volait ! Voyez-vous cela, damné juif ! Oh ! Il n’ an’a rien, c’est fini ! Je l’ai tué pour rien ! Ils sont tous ainsi, ces juifs.
Le mensonge et le vol, c’est tout le juif ! -allonsAllons, débarrassons-nous du cadavre, je ne puis le laisser devant cette porte.
(Allant au fond du théâtre.)
—voyonsVoyons si le batelier est encore là, qu’qu’il il m’ aidem’aide à le jeter dans la Tamise.
(Il descend et disparaît derrière le parapet.)
 
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Il me semble que j’ai entendu un cri.
(Il aperçoit le corps étendu à terre sous la lanterne.)
—quelqu’ unQuelqu’un d’assassiné ! -leLe mendiant !
 
L’homme, se soulevant à demi.
Ah !… -vous venez trop tard, Gilbert.
(Il désigne du doigt l’ endroitl’endroit où il a jeté le paquet.)
—prenezPrenez ceci, ce sont des papiers qui prouvent que Jane, votre fiancée, est la fille et l’héritière du dernier Lord Talbot.
que Jane, votre fiancée, est la fille et l’héritière du dernier Lord Talbot. Mon assassin est Lord Clanbrassil, le favori de la reine. -ah ! J’ étouffeJ’étouffe. —GilbertGilbert ! Venge-moi et venge-toi !…
(Il meurt.)
 
Gilbert
Mort ! -queQue je me venge ? Que veut-il dire ? Jane, fille de Lord Talbot ! Lord Clanbrassil ! Le favori de la reine ! Oh ! Je m’ y perds !
(Secouant le cadavre.)
—parleParle, encore un mot ! -ilIl est bien mort.
 
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