« Marie Tudor (Victor Hugo) » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Pu,udfs (discussion | contributions)
Pu,udfs (discussion | contributions)
Ligne 494 :
 
Gilbert
Je ne puis. Vous savez, je vous l’ai déjà dit, Jane, j’ai un travail à terminer à mon atelier cette nuit. Un manche de poignard à ciseler pour
je ne sais quel Lord Clanbrassil, que je n’ ai jamais vu, et qui me l’a fait demander pour demain matin.
 
Jane
Alors, bon soirbonsoir, Gilbert. à demain.
 
Gilbert
Non, Jane, encore un instant. Ah ! Mon dieu ! Que j’ai de peine à me séparer de vous, fût-ce pour quelques heures ! Qu’il est bien vrai
que vous êtes ma vie et ma joie ! Il faut pourtant que j’aille travailler, nous sommes si pauvres ! Je ne veux pas entrer, car je
resterais, et cependant je ne puis partir, homme faible que je suis ! Tenez, asseyons-nous quelques minutes à la porte, sur ce banc ;
il me semble qu’il me sera moins difficile de m’en aller que si j’entrais dans la maison, et surtout dans votre chambre. Donnez-moi votre main.
main. (Il s’assied et lui prend les deux mains dans les siennes, elle debout.)
Jane ! M’aimes-tu ?
 
Jane
Oh ! Je vous dois tout, Gilbert ! Je le sais, quoique vous me l’ayez caché long-tempslongtemps. Toute petite, presque au berceau, j’ai été
abandonnée par mes parensparents, vous m’avez prise. Depuis seize ans, votre bras a travaillé pour moi comme celui d’ un père, vos yeux ont veillé
sur moi comme ceux d’ une mère. Qu’est-ce que je serais sans vous, mon dieu ! Tout ce que j’ai, vous me l’avez donné, tout ce que je suis,
dieu ! Tout ce que j’ai, vous me l’avez donné, tout ce que je suis, vous l’avez fait.
 
Gilbert
Ligne 512 ⟶ 518 :
 
Jane
Quel dévoûmentdévouement que le vôtre, Gilbert ! Vous travaillez nuit et jour pour moi, vous vous brûlez les yeux, vous vous tuez. Tenez, voilà
encore que vous passez la nuit aujourd’hui. Et jamais un reproche, jamais une dureté, jamais une colère. Vous si pauvre ! Jusqu’à mes
petites coquetteries de femme, vous en avez pitié, vous les satisfaites. Gilbert, je ne songe à vous que les larmes aux yeux. Vous avez
yeux. Vous avez quelquefois manqué de pain, je n’ai jamais manqué de rubans.
 
Gilbert
Ligne 522 ⟶ 530 :
 
Gilbert
M’ aimes-tu ? M’aimes-tu ? Oh ! Tout cela ne me dit pas que tu m’aimes. C’est de ce mot là que j’ai besoin, Jane ! De la reconnaissance,
toujours de la reconnaissance ! Oh ! Je la foule aux pieds, la reconnaissance ! Je veux de l’amour, ou rien. - Mourir ! -Jane, depuis seize
ans tu es ma fille, tu vas être ma femme maintenant. Je t’avais adoptée, je veux t’épouser. Dans huit jours ! Tu sais, tu me l’as promis,
tu as consenti, tu es ma fiancée. Oh ! Tu m’aimais quand tu m’as promis cela. ô Jane ! Il y a eu un temps, te rappelles-tu, où tu me disais :
je t’aime ! En levant tes beaux yeux au ciel. C’est toujours comme cela que je te veux. Depuis plusieurs mois il me semble que quelque
chose est changé en toi, depuis trois semaines surtout que mon travail m’oblige à m’absenter quelquefois les nuits. ô Jane ! Je veux que
tu m’aimes, moi. Je suis habitué à cela. Toi, si gaie auparavant, tu es toujours triste et préoccupée à présent, pas froide, pauvre enfant,
tu fais ton possible pour nepasne pas l’être ; mais je sens bien que les paroles d’amour ne te viennent plus bonnes et naturelles comme autrefois.
Qu’as-tu ? Est-ce que tu ne m’aimes plus ? Sans doute je suis un honnête homme, sans doute je suis un bon ouvrier ; sans doute, sans doute,
mais je voudrais être un voleur et un assassin et être aimé de toi ! -Jane ! Si tu savais comme je t’aime !
 
Jane
Ligne 528 ⟶ 545 :
 
Gilbert
De joie ! N’est-ce pas ? Dis-moi que c’est de joie. Oh ! J’ai besoin de le croire. Il n’y a que cela au monde, être aimé. Je ne suis
qu’un pauvre coeurcœur d’ouvrier, mais il faut que ma Jane m’ aimem’aime. Que me parles-tu sans cesse de ce que j’ai fait pour toi ? Un seul
mot d’amour de toi, Jane, laisse toute la reconnaissance de mon côté. Je me damnerai et je commettrai un crime quand tu voudras.
Tu seras ma femme, n’est-ce pas, et tu m’aimes ? Vois-tu, Jane, pour un regard de toi je donnerais mon travail et ma peine ; pour
un sourire, ma vie ; pour un baiser, mon âme !
 
Jane
Ligne 534 ⟶ 555 :
 
Gilbert
Écoute, Jane ! Ris si tu veux, je suis fou, je suis jaloux ! C’est comme cela. Ne t’offense pas. Depuis quelque temps il me semble
que je vois bien des jeunes seigneurs rôder par ici. Sais-tu, Jane, que j’ai trente-quatre ans ? Quel malheur pour un misérable
ouvrier gauche et mal vêtu comme moi, qui n’est plus jeune, qui n’est pas beau, d’aimer une belle et charmante enfant de dix-sept
ans, qui attire les beaux jeunes gentilshommes dorés et chamarrés comme une lumière attire les papillons ! Oh ! Je souffre, va !
Je ne t’offense jamais dans ma pensée, toi si honnête, toi si pure, toi dont le front n’a encore été touché que par mes lèvres !
Je trouve seulement quelquefois que tu as trop de plaisir à voir passer les cortégescortèges et les cavalcades de la reine, et tous ces
beaux habits de satin et de velours sous lesquels il y a si peu de cœurs et si peu d’âmes ! Pardonne-moi. -monMon dieu ! Pourquoi donc
vient-il par ici tant de jeunes gentilshommes ? Pourquoi ne suis-je pas jeune, beau, noble et riche ? Gilbert, l’ouvrier ciseleur,
voilà tout. Eux c’est Lord Chandos, Lord Gerard Fitz-Gerard, le Comte D’ ArundelD’Arundel, le Duc De Norfolk ! Oh ! Que je les hais ! Je
passe ma vie à ciseler pour eux des poignées d’ épées dont je voudrais leur mettre la lame dans le ventre.
 
Jane
Ligne 543 ⟶ 573 :
 
Jane
Mon, bien bon. -vousVous êtes bon, Gilbert.
 
Gilbert
Oh ! Que je t’aime. Tous les jours davantage. Je voudrais mourir pour toi. Aime-moi ou ne m’aime pas, tu en es bien la maîtresse.
Je suis fou. Pardonne-moi tout ce que je t’ai dit. Il est tard, il faut que je te quitte, adieu. Mon dieu ! Que c’est triste de te
quitter ! Rentre chez toi. Est-ce que tu n’as pas ta clef ?
 
Jane
Ligne 554 ⟶ 586 :
Voici la mienne. — à demain matin. — Jane, n’oublie pas ceci. Encore aujourd’hui ton père ; dans huit jours ton mari.
 
(Il la baise au front et sort.º
 
Jane, restée seule.
Mon mari ! Oh non, je ne commettrai pas ce crime. Pauvre Gilbert ! Il m'aime ! Celui-là ! —etEt l’autre… ! -pourvuPourvu que je n’aie pas
préféré la vanité à l’amour ! Malheureuse fille que je suis, dans la dépendance de qui suis-je maintenant ? Oh ! Je suis bien ingrate
et bien coupable ! J’entends marcher, rentrons vite.
 
(Elle entre dans la maison.)