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admirablement dépeint dans le plus philosophique de ses contes, le Démon de la perversité. Tout le monde connaît le trouble des sens qui fait qu’on se jette dans le vide de peur d’y tomber. Il a son pendant, infiniment plus redoutable, dans la sphère des maladies morales, où il prend le nom d’impulsion criminelle. D’après Edgar Poe, aucun de nous ne vient au monde complètement indemne de ce stigmate psychologique, qu’il faut se résoudre à compter parmi les mobiles primordiaux de l’âme humaine. Il nous arrive à tous de faire une chose « simplement à cause que nous sentons que nous ne le devrions pas ». Le vertige moral coexiste fort bien avec une lucidité parfaite de l’intelligence et de la conscience. Il semble alors qu’il y ait dans le même individu un acteur et un spectateur, une volonté aveugle et sourde qui va droit à un but qu’elle ne connaît pas, et une conscience muette qui la regarde faire avec horreur. Le héros du Démon de la perversité n’en est pas là ; il n’y a pas lieu de s’attendrir sur son sort, puisqu’il avait mérité depuis longtemps d’être pendu et que ses impulsions l’ont seulement contraint à prononcer tout haut, malgré lui et avec désespoir, le mot qui le dénonce et le perd. Autre est le cas du meurtrier du Chat noir, conte atroce, dans lequel l’effet de vertige moral se combine avec l’effet de terreur. Ici, un homme commet des abominations sous la brusque poussée d’une idée-force, et Poe a mis une insistance dramatique, qui fait de ces pages la plus poignante des confessions, à nous expliquer que ces mouvements irrésistibles, par lesquels un être doux et pur est changé en brute quand ce n’est pas en criminel, sont nés, ont crû, multiplié, éclaté, ont tué une âme et perdu toute une famille, sous la fatale influence, l’influence exécrée de l’alcool. On n’ose penser à ce qu’a été l’existence de ce malheureux qui