« Essai sur l’origine des langues » : différence entre les versions

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{{Titre|Essai sur l'origine des langues|[[Auteur:Jean-Jacques Rousseau|Jean-Jacques Rousseau]]}}
 
 
{{c|Chapitre Premier}}
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{{Centré|''Que la premiere invention de la parole ne vient pas des besoins, mais des passions.''}}
 
Il est donc à croire que les besoins dicterent les premiers gestes, & que les passions arracherent les premieres voix. En suivant, avec ces distinctions, la trace des faits, peut-être faudroit-il raisonner sur l'origine des langues tout autrement qu'on n'a fait jusqu'ici. Le génie des langues orientales, les plus anciennes qui nous soient connues, dément absolument la marche didactique qu'on imagine dans leur composition. Ces langues n'ont rien de méthodique & de raisonné ; elles sont vives & figurées. On nous fait du langage des premiers hommes des langues de Géometres, & nous voyons que ce furent des langues de Poëtes.
« Cela dut être. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins; cette opinion me paraît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre et que la terre se peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert.
 
« Cela dutdût être. On ne commença pas par raisonner, mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrentinventerent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraîtparoît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins, fut d'écarter les hommes et& non de les rapprocher. Il le fallaitfaloit ainsi pour que l'espèceespece vînt à s'étendre, et& que la terre se peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et& tout le reste fût demeuré désert.
 
De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il seraitseroit absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Desdes besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colèrecolere, qui leur ont arraché les premièrespremieres voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler ;, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître ; mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un aggresseur injuste, ; la nature dicte des accentsaccens, des cris, des plaintes : voilà les anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premièrespremieres langues furent chantantes et passionnées, avant d'être simples et& méthodiques. »Tout ceci n'est pas vrai, sans distinction, mais j'y reviendrai ci-après.
 
{{c|Chapitre III}}
 
{{Centré|''Que le premier langage dût être figuré.''}}
De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes ; il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, des passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître ; mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un aggresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes : voilà les anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques. »
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