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{{acte|I}}
{{scène|I}}
{{sc|Armande}}, {{sc|Henriette}}.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|5}}Quoi, le beau nom de fille est un titre, ma sœur,<br>Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?<br>Et de vous marier vous osez faire fête ?<br>Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?
{{Personnage|Henriette}} Oui, ma sœur.
{{Personnage|Armande}} Ah ce « oui » se peut-il supporter ?<br>Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ?
{{Personnage|Henriette}} Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige,
Ma sœur…
{{Personnage|Aramande}} Ah mon Dieu, fi.
{{Personnage|Henriette}} Comment ?
{{Personnage|Armande}} Ah fi, vous dis-je.<br>{{NumVers|10}}Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,<br>Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?<br>De quelle étrange image on est par lui blessée ?<br>Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?<br>N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,<br>Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|15}}Les suites de ce mot, quand je les envisage,<br>Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;<br>Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,<br>Qui blesse la pensée, et fasse frissonner.
{{Personnage|Armande}} De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire ?
{{Personnage|Henriette}}<br>{{NumVers|20}}Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,<br>Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,<br>Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous ;<br>Et de cette union de tendresse suivie,<br>Se faire les douceurs d’une innocente vie ?<br>{{NumVers|25}} Ce nœud bien assorti n’a-t-il pas des appas ?
{{Personnage|Armande}} Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !<br>Que vous jouez au monde un petit personnage,<br>De vous claquemurer aux choses du ménage,<br>Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants,<br>{{NumVers|30}}Qu’un idole d’époux, et des marmots d’enfants !<br>Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,<br>Les bas amusements de ces sortes d’affaires.<br>À de plus hauts objets élevez vos désirs,<br>Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,<br>{{NumVers|35}}Et traitant de mépris les sens et la matière,<br>À l’esprit comme nous donnez-vous toute entière :<br>Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,<br>Que du nom de savante on honore en tous lieux,<br>Tâchez ainsi que moi de vous montrer sa fille,<br>{{NumVers|40}}Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,<br>Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs<br>Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs :<br>Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie ;<br>Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,<br>{{NumVers|45}} Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,<br>Et donne à la raison l’empire souverain,<br>Soumettant à ses lois la partie animale<br>Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.<br>Ce sont là les beaux feux, les doux attachements,<br>{{NumVers|50}}Qui doivent de la vie occuper les moments ;<br>Et les soins où je vois tant de femmes sensibles,<br>Me paraissent aux yeux des pauvretés horribles.
{{Personnage|Henriette}} Le Ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,<br>Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;<br>Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe<br>{{NumVers|55}}Qui se trouve taillée à faire un philosophe.<br>Si le vôtre est né propre aux élévations<br>Où montent des savants les spéculations,<br>Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre,<br>{{NumVers|60}} Et dans les petits soins son faible se resserre.<br>Ne troublons point du Ciel les justes règlements,<br>Et de nos deux instincts suivons les mouvements ;<br>Habitez par l’essor d’un grand et beau génie,<br>Les hautes régions de la philosophie,<br>{{NumVers|65}}Tandis que mon esprit se tenant ici-bas,<br>Goûtera de l’hymen les terrestres appas.<br>Ainsi dans nos desseins l’une à l’autre contraire,<br>Nous saurons toutes deux imiter notre mère ;<br>Vous, du côté de l’âme et des nobles désirs,<br>{{NumVers|70}} Moi, du côté des sens et des grossiers plaisirs ;<br>Vous, aux productions d’esprit et de lumière,<br>Moi, dans celles, ma sœur, qui sont de la matière.
{{Personnage|Armande}} Quand sur une personne on prétend se régler,<br>C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler ;<br>{{NumVers|75}}Et ce n’est point du tout la prendre pour modèle,<br>Ma sœur, que de tousser et de cracher comme elle.
{{Personnage|Henriette}} Mais vous ne seriez pas ce dont vous vous vantez,<br>Si ma mère n’eût eu que de ces beaux côtés ;<br> Et bien vous prend, ma sœur, que son noble génie<br>{{NumVers|80}}N’ait pas vaqué toujours à la philosophie.<br>De grâce souffrez-moi par un peu de bonté<br>Des bassesses à qui vous devez la clarté ;<br>Et ne supprimez point, voulant qu’on vous seconde,<br>Quelque petit savant qui veut venir au monde.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|85}}Je vois que votre esprit ne peut être guéri<br>Du fol entêtement de vous faire un mari :<br>Mais sachons, s’il vous plaît, qui vous songez à prendre ?<br>Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre.
{{Personnage|Henriette}} Et par quelle raison n’y serait-elle pas ?<br>{{NumVers|90}}Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?
{{Personnage|Armande}} Non, mais c’est un dessein qui serait malhonnête,<br>Que de vouloir d’un autre enlever la conquête ;<br>Et ce n’est pas un fait dans le monde ignoré,<br>Que Clitandre ait pour moi hautement soupiré.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|95}}Oui, mais tous ces soupirs chez vous sont choses vaines,<br>Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ; <br>Votre esprit à l’hymen renonce pour toujours,<br>Et la philosophie a toutes vos amours :<br>Ainsi n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,<br>{{NumVers|100}}Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ?
{{Personnage|Armande}} Cet empire que tient la raison sur les sens,<br>Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;<br>Et l’on peut pour époux refuser un mérite<br>Que pour adorateur on veut bien à sa suite.
{{Personnage|Henriette}} {{NumVers|105}}Je n’ai pas empêché qu’à vos perfections<br>Il n’ait continué ses adorations ;<br>Et je n’ai fait que prendre, au refus de votre âme,<br>Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flamme.
{{Personnage|Armande}} Mais à l’offre des vœux d’un amant dépité,<br>{{NumVers|110}} Trouvez-vous, je vous prie, entière sûreté ?<br>Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,<br>Et qu’en son cœur pour moi toute flamme soit morte ?
{{Personnage|Henriette}} Il me le dit, ma sœur, et pour moi je le croi.
{{Personnage|Armande}} Ne soyez pas, ma sœur, d’une si bonne foi,<br>{{NumVers|115}} Et croyez, quand il dit qu’il me quitte et vous aime, <br>Qu’il n’y songe pas bien, et se trompe lui-même.
{{Personnage|Henriette}} Je ne sais ; mais enfin, si c’est votre plaisir,<br>Il nous est bien aisé de nous en éclaircir.<br>Je l’aperçois qui vient, et sur cette matière<br>{{NumVers|120}}Il pourra nous donner une pleine lumière.
{{scène|II}}
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Armande}}, {{sc|Henriette}}.
{{Personnage|Henriette}} Pour me tirer d’un doute où me jette ma sœur,<br>Entre elle et moi, Clitandre, expliquez votre cœur,<br>Découvrez-en le fond, et nous daignez apprendre<br>Qui de nous à vos vœux est en droit de prétendre.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|125}}Non, non, je ne veux point à votre passion<br>Imposer la rigueur d’une explication ;<br>Je ménage les gens, et sais comme embarrasse<br>Le contraignant effort de ces aveux en face.
{{Personnage|Clitandre}} Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,<br>{{NumVers|130}}Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu ;<br>Dans aucun embarras un tel pas ne me jette,<br>Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,<br>Que les tendres liens où je suis arrêté,<br>Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.<br>{{NumVers|135}}Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;<br>Vous avez bien voulu les choses de la sorte,<br>Vos attraits m’avaient pris, et mes tendres soupirs<br>Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes désirs :<br>Mon cœur vous consacrait une flamme immortelle,<br>{{NumVers|140}}Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle ;<br>J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents,<br>Ils régnaient sur mon âme en superbes tyrans,<br>Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,<br>Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes :<br>{{NumVers|145}}Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,<br>Et leurs traits à jamais me seront précieux ;<br>D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes, <br>Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;<br>De si rares bontés m’ont si bien su toucher,<br>{{NumVers|150}}Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher ;<br>Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,<br>De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,<br>De ne point essayer à rappeler un cœur<br>Résolu de mourir dans cette douce ardeur.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|155}}Eh qui vous dit, Monsieur, que l’on ait cette envie,<br>Et que de vous enfin si fort on se soucie ? <br>Je vous trouve plaisant, de vous le figurer ;<br>Et bien impertinent, de me le déclarer.
{{Personnage|Henriette}} Eh doucement, ma sœur. Où donc est la morale<br>{{NumVers|160}}Qui sait si bien régir la partie animale,<br>Et retenir la bride aux efforts du courroux ?
{{Personnage|Armande}} Mais vous qui m’en parlez, où la pratiquez-vous,<br>De répondre à l’amour que l’on vous fait paraître,<br>Sans le congé de ceux qui vous ont donné l’être ?<br>{{NumVers|165}}Sachez que le devoir vous soumet à leurs lois,<br>Qu’il ne vous est permis d’aimer que par leur choix,<br>Qu’ils ont sur votre cœur l’autorité suprême,<br>Et qu’il est criminel d’en disposer vous-même.
{{Personnage|Henriette}} Je rends grâce aux bontés que vous me faites voir,<br>{{NumVers|170}}De m’enseigner si bien les choses du devoir ;<br>Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite,<br>Et pour vous faire voir, ma sœur, que j’en profite,<br>Clitandre, prenez soin d’appuyer votre amour<br>De l’agrément de ceux dont j’ai reçu le jour,<br>{{NumVers|175}}Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,<br>
Et me donnez moyen de vous aimer sans crime.
{{Personnage|Clitandre}} J’y vais de tous mes soins travailler hautement,<br>Et j’attendais de vous ce doux consentement.
{{Personnage|Armande}} Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine<br>{{NumVers|180}} À vous imaginer que cela me chagrine.
{{Personnage|Henriette}} Moi, ma sœur, point du tout ; je sais que sur vos sens<br>Les droits de la raison sont toujours tout-puissants, <br>Et que par les leçons qu’on prend dans la sagesse,<br>Vous êtes au-dessus d’une telle faiblesse.
<br>{{NumVers|185}}Loin de vous soupçonner d’aucun chagrin, je croi<br>Qu’ici vous daignerez vous employer pour moi,<br>Appuyer sa demande, et de votre suffrage<br>Presser l’heureux moment de notre mariage.<br>Je vous en sollicite, et pour y travailler…
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|190}}Votre petit esprit se mêle de railler,<br>Et d’un cœur qu’on vous jette on vous voit toute fière.
{{Personnage|Henriette}} Tout jeté qu’est ce cœur, il ne vous déplaît guère ;<br>Et si vos yeux sur moi le pouvaient ramasser,<br>Ils prendraient aisément le soin de se baisser.
{{Personnage|Armande}} {{NumVers|195}}À répondre à cela je ne daigne descendre,<br>Et ce sont sots discours qu’il ne faut pas entendre.
{{Personnage|Henriette}} C’est fort bien fait à vous, et vous nous faites voir<br>Des modérations qu’on ne peut concevoir.
{{scène|III}}
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Henriette}}.
{{Personnage|Henriette}} Votre sincère aveu ne l’a pas peu surprise.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|200}}Elle mérite assez une telle franchise,<br>Et toutes les hauteurs de sa folle fierté<br>Sont dignes tout au moins de ma sincérité :<br>Mais puisqu’il m’est permis, je vais à votre père, Madame…
{{Personnage|Henriette}} Le plus sûr est de gagner ma mère :<br>Mon père est d’une humeur à consentir à tout,<br>Mais il met peu de poids aux choses qu’il résout ;<br>Il a reçu du Ciel certaine bonté d’âme,<br>Qui le soumet d’abord à ce que veut sa femme ;<br>C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu<br>{{NumVers|210}}Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.<br>Je voudrais bien vous voir pour elle, et pour ma tante,<br>Une âme, je l’avoue, un peu plus complaisante,<br>Un esprit qui flattant les visions du leur,<br>Vous pût de leur estime attirer la chaleur.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|215}}Mon cœur n’a jamais pu, tant il est né sincère,<br>Même dans votre sœur flatter leur caractère, <br>Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.<br>Je consens qu’une femme ait des clartés de tout,<br>Mais je ne lui veux point la passion choquante<br>{{NumVers|220}}De se rendre savante afin d’être savante ;<br>Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,<br>Elle sache ignorer les choses qu’elle sait ;<br>De son étude enfin je veux qu’elle se cache,<br>Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache,<br>{{NumVers|225}}Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots,<br>Et clouer de l’esprit à ses moindres propos.<br>Je respecte beaucoup Madame votre mère,<br>Mais je ne puis du tout approuver sa chimère,<br>Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit<br> {{NumVers|230}}Aux encens qu’elle donne à son héros d’esprit.<br>Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,<br>Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel homme,<br>Qu’elle nous mette au rang des grands et beaux esprits<br>Un benêt dont partout on siffle les écrits,<br>{{NumVers|235}}Un pédant dont on voit la plume libérale<br>D’officieux papiers fournir toute la halle.
{{Personnage|Henriette}} Ses écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,<br>Et je me trouve assez votre goût et vos yeux<br>Mais comme sur ma mère il a grande puissance,<br>{{NumVers|240}}Vous devez vous forcer à quelque complaisance.<br>Un amant fait sa cour où s’attache son cœur,<br>Il veut de tout le monde y gagner la faveur ;<br>Et pour n’avoir personne à sa flamme contraire,<br>Jusqu’au chien du logis il s’efforce de plaire.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|245}}<br>Oui, vous avez raison ; mais Monsieur Trissotin<br>M’inspire au fond de l’âme un dominant chagrin.<br>Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,<br>À me déshonorer, en prisant ses ouvrages ;<br>C’est par eux qu’à mes yeux il a d’abord paru,<br>{{NumVers|250}}Et je le connaissais avant que l’avoir vu.<br>Je vis dans le fatras des écrits qu’il nous donne<br>Ce qu’étale en tous lieux sa pédante personne,<br>La constante hauteur de sa présomption ;<br>Cette intrépidité de bonne opinion ;<br>{{NumVers|255}} Cet indolent état de confiance extrême,<br>Qui le rend en tout temps si content de soi-même,<br>Qui fait qu’à son mérite incessamment il rit ;<br>Qu’il se sait si bon gré de tout ce qu’il écrit ;<br>Et qu’il ne voudrait pas changer sa renommée<br>{{NumVers|260}}Contre tous les honneurs d’un général d’armée.
{{Personnage|Henriette}} C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.
{{Personnage|Clitandre}} Jusques à sa figure encor la chose alla [[Les Femmes savantes - Notes#note16|*]],<br>Et je vis par les vers qu’à la tête il nous jette,<br>De quel air il fallait que fût fait le poète ;<br>{{NumVers|265}}Et j’en avais si bien deviné tous les traits, <br>Que rencontrant un homme un jour dans le Palais,<br>Je gageai que c’était Trissotin en personne,<br>Et je vis qu’en effet la gageure était bonne.
{{Personnage|Henriette}} Quel conte !
{{Personnage|Clitandre}} Non, je dis la chose comme elle est :<br>{{NumVers|270}}Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plaît,<br>Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,<br>Et gagne sa faveur auprès de votre mère.
{{scène|IV}}
{{sc|Clitandre}}, {{sc|Bélise}}.
{{Personnage|Clitandre}} Souffrez, pour vous parler, Madame, qu’un amant<br>Prenne l’occasion de cet heureux moment,<br>{{NumVers|275}}Et se découvre à vous de la sincère flamme…
{{Personnage|Bélise}} Ah tout beau, gardez-vous de m’ouvrir trop votre âme :<br>Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,<br>Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,<br>Et ne m’expliquez point par un autre langage<br>{{NumVers|280}}Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ;<br>Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas,<br>Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas :<br>Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,<br>Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;<br>{{NumVers|285}}Mais si la bouche vient à s’en vouloir mêler,<br>Pour jamais de ma vue il vous faut exiler.
{{Personnage|Clitandre}} Des projets de mon cœur ne prenez point d’alarme ;<br>Henriette, Madame, est l’objet qui me charme,<br>Et je viens ardemment conjurer vos bontés<br>{{NumVers|290}}De seconder l’amour que j’ai pour ses beautés.
{{Personnage|Bélise}} Ah certes le détour est d’esprit, je l’avoue,<br>Ce subtil faux-fuyant mérite qu’on le loue ;<br>Et dans tous les romans où j’ai jeté les yeux,<br>Je n’ai rien rencontré de plus ingénieux.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|295}}Ceci n’est point du tout un trait d’esprit, Madame,<br>Et c’est un pur aveu de ce que j’ai dans l’âme.<br>Les cieux, par les liens d’une immuable ardeur,<br>Aux beautés d’Henriette ont attaché mon cœur ;<br>Henriette me tient sous son aimable empire,<br>{{NumVers|300}}Et l’hymen d’Henriette est le bien où j’aspire ;<br>Vous y pouvez beaucoup, et tout ce que je veux, <br>C’est que vous y daigniez favoriser mes vœux.
{{Personnage|Bélise}} Je vois où doucement veut aller la demande,<br>Et je sais sous ce nom ce qu’il faut que j’entende ;<br>
{{NumVers|305}}La figure [[Les Femmes savantes - Notes#note18|*]] est adroite, et pour n’en point sortir,<br>Aux choses que mon cœur m’offre à vous repartir,<br>Je dirai qu’Henriette à l’hymen est rebelle,<br>Et que sans rien prétendre, il faut brûler pour elle.
{{Personnage|Clitandre}} Eh, Madame, à quoi bon un pareil embarras,<br>{{NumVers|310}}Et pourquoi voulez-vous penser ce qui n’est pas ? {{Personnage|Bélise}} Mon Dieu, point de façons ; cessez de vous défendre<br>De ce que vos regards m’ont souvent fait entendre ;<br>Il suffit que l’on est contente du détour<br>Dont s’est adroitement avisé votre amour,<br>{{NumVers|315}}Et que sous la figure où le respect l’engage,<br>On veut bien se résoudre à souffrir son hommage,<br>Pourvu que ses transports par l’honneur éclairés<br>N’offrent à mes autels que des vœux épurés.
{{Personnage|Clitandre}} Mais…
{{Personnage|Bélise}} Adieu, pour ce coup ceci doit vous suffire,<br>{{NumVers|320}}Et je vous ai plus dit que je ne voulais dire.
{{Personnage|Clitandre}} Mais votre erreur…
{{Personnage|Bélise}} Laissez, je rougis maintenant,<br>Et ma pudeur s’est fait un effort surprenant.
{{Personnage|Clitandre}} Je veux être pendu, si je vous aime, et sage…
{{Personnage|Bélise}} Non, non, je ne veux rien entendre davantage.
{{Personnage|Clitandre}} {{NumVers|325}}Diantre soit de la folle avec ses visions.<br>A-t-on rien vu d’égal à ces préventions ?<br>Allons commettre un autre au soin que l’on me donne,<br>Et prenons le secours d’une sage personne.
{{acte|II}}
{{scène|I}}
{{sc|Ariste}}
Oui, je vous porterai la réponse au plus tôt ;<br>{{NumVers|330}}J’appuierai, presserai, ferai tout ce qu’il faut.<br>Qu’un amant, pour un mot, a de choses à dire !<br>Et qu’impatiemment il veut ce qu’il désire !<br>Jamais…
{{scène|II}}
{{sc|Chrysale}}, {{sc|Ariste}}.
{{Personnage|Ariste}} Ah, Dieu vous gard’, mon frère.
{{Personnage|Chrysale}} Et vous aussi,<br>Mon frère.
{{Personnage|Ariste}} Savez-vous ce qui m’amène ici ?
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|335}}Non ; mais, si vous voulez, je suis prêt à l’apprendre.
{{Personnage|Ariste}} Depuis assez longtemps vous connaissez Clitandre ?
{{Personnage|Chrysale}} Sans doute, et je le vois qui fréquente chez nous.
{{Personnage|Ariste}} En quelle estime est-il, mon frère, auprès de vous ?
{{Personnage|Chrysale}} D’homme d’honneur, d’esprit, de cœur, et de conduite,<br>{{NumVers|340}}Et je vois peu de gens qui soient de son mérite.
{{Personnage|Ariste}} Certain désir qu’il a, conduit ici mes pas,<br>Et je me réjouis que vous en fassiez cas.
{{Personnage|Chrysale}} Je connus feu son père en mon voyage à Rome.
{{Personnage|Ariste}} Fort bien.
{{Personnage|Chrysale}} C’était, mon frère, un fort bon gentilhomme.
{{Personnage|Ariste}} On le dit.
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|345}}Nous n’avions alors que vingt-huit ans,<br>Et nous étions, ma foi, tous deux de verts galants.
{{Personnage|Ariste}} Je le crois.
{{Personnage|Chrysale}} Nous donnions [[Les Femmes savantes - Notes#note22|*]] chez les dames romaines,<br>Et tout le monde là parlait de nos fredaines ;<br>Nous faisions des jaloux.
{{Personnage|Ariste}} Voilà qui va des mieux :<br>{{NumVers|350}}Mais venons au sujet qui m’amène en ces lieux.
{{scène|III}}
{{sc|Bélise}}, {{sc|Chrysale}}, {{sc|Ariste}}.
{{Personnage|Ariste}} Clitandre auprès de vous me fait son interprète,<br>Et son cœur est épris des grâces d’Henriette.
{{Personnage|Chrysale}} Quoi, de ma fille ?
{{Personnage|Ariste}} Oui, Clitandre en est charmé,<br>Et je ne vis jamais amant plus enflammé.
{{Personnage|AristBélise}} {{NumVers|355}}Non, non, je vous entends, vous ignorez l’histoire,<br>Et l’affaire n’est pas ce que vous pouvez croire.
{{Personnage|Ariste}} Comment, ma sœur ?
{{Personnage|Bélise}} Clitandre abuse vos esprits,<br>Et c’est d’un autre objet que son cœur est épris.
{{Personnage|Ariste}} Vous raillez. Ce n’est pas Henriette qu’il aime ?
{{Personnage|Bélise}} Non, j’en suis assurée.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|360}}Il me l’a dit lui-même.
{{Personnage|Bélise}} Eh oui.
{{Personnage|Ariste}} Vous me voyez, ma sœur, chargé par lui<br>D’en faire la demande à son père aujourd’hui.
{{Personnage|Bélise}} Fort bien.
{{Personnage|Ariste}} Et son amour même m’a fait instance<br>De presser les moments d’une telle alliance.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|365}} Encor mieux. On ne peut tromper plus galamment.<br>Henriette, entre nous, est un amusement,<br>Un voile ingénieux, un prétexte, mon frère,<br>À couvrir d’autres feux dont je sais le mystère,<br>Et je veux bien tous deux vous mettre hors d’erreur.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|370}}Mais puisque vous savez tant de choses, ma sœur,<br>Dites-nous, s’il vous plaît, cet autre objet qu’il aime.
{{Personnage|Bélise}} Vous le voulez savoir ?
{{Personnage|Ariste}} Oui. Quoi ?
{{Personnage|Bélise}} Moi.
{{Personnage|Ariste}} Vous ?
{{Personnage|Bélise}} Moi-même.
{{Personnage|Ariste}} Hay, ma sœur !
{{Personnage|Bélise}} Qu’est-ce donc que veut dire ce « hay »,<br>Et qu’a de surprenant le discours que je fai ?<br>{{NumVers|375}}On est faite d’un air je pense à pouvoir dire<br>Qu’on n’a pas pour un cœur soumis à son empire ;<br>Et Dorante, Damis, Cléonte, et Lycidas,<br>Peuvent bien faire voir qu’on a quelques appas.
{{Personnage|Ariste}} Ces gens vous aiment ?
{{Personnage|Bélise}} Oui, de toute leur puissance.
{{Personnage|Ariste}} Ils vous l’ont dit ? </TD></TR>
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|380}}Aucun n’a pris cette licence ;<br>Ils m’ont su révérer si fort jusqu’à ce jour,<br>Qu’ils ne m’ont jamais dit un mot de leur amour :<br>Mais pour m’offrir leur cœur, et vouer leur service,<br>Les muets truchements ont tous fait leur office.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|385}}On ne voit presque point céans venir Damis.
{{Personnage|Bélise}} C’est pour me faire voir un respect plus soumis.
{{Personnage|Ariste}} De mots piquants partout Dorante vous outrage.
{{Personnage|Bélise}} Ce sont emportements d’une jalouse rage.
{{Personnage|Ariste}} Cléonte et Lycidas ont pris femme tous deux.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|390}}C’est par un désespoir où j’ai réduit leurs feux.
{{Personnage|Ariste}} Ma foi ! ma chère sœur, vision toute claire.
{{Personnage|Chrysale}} De ces chimères-là vous devez vous défaire.
{{Personnage|Bélise}} Ah chimères ! Ce sont des chimères, dit-on !<br>Chimères, moi ! Vraiment chimères est fort bon !<br>{{NumVers|395}}Je me réjouis fort de chimères, mes frères,<br>Et je ne savais pas que j’eusse des chimères.
{{scène|IV}}
{{sc|Chrysale}}, {{sc|Ariste}}.
{{Personnage|Chrysale}} Notre sœur est folle, oui.
{{Personnage|Ariste}} Cela croît tous les jours.<br>Mais, encore une fois, reprenons le discours.<br>Clitandre vous demande Henriette pour femme,<br>{{NumVers|400}}Voyez quelle réponse on doit faire à sa flamme ?
{{Personnage|Chrysale}} Faut-il le demander ? J’y consens de bon cœur,<br>Et tiens son alliance à singulier honneur.
{{Personnage|Ariste}} Vous savez que de bien il n’a pas l’abondance,<br>Que…
{{Personnage|Chrysale}} C’est un intérêt qui n’est pas d’importance ;<br>{{NumVers|405}}Il est riche en vertu, cela vaut des trésors,<br>
Et puis son père et moi n’étions qu’un en deux corps.
{{Personnage|Ariste}} Parlons à votre femme, et voyons à la rendre<br>Favorable…
{{Personnage|Chrysale}} Il suffit, je l’accepte pour gendre.
{{Personnage|Ariste}} Oui ; mais pour appuyer votre consentement,<br>{{NumVers|410}}Mon frère, il n’est pas mal d’avoir son agrément, <br>Allons…
{{Personnage|Chrysale}} Vous moquez-vous ? Il n’est pas nécessaire,<br>Je réponds de ma femme, et prends sur moi l’affaire.
{{Personnage|Ariste}} Mais…
{{Personnage|Chrysale}} Laissez faire, dis-je, et n’appréhendez pas.<br>Je la vais disposer aux choses de ce pas.
{{Personnage|Ariste}} {{NumVers|415}}Soit. Je vais là-dessus sonder votre Henriette,<br>Et reviendrai savoir…
{{Personnage|Chrysale}} C’est une affaire faite.<br>Et je vais à ma femme en parler sans délai.
{{scène|V}}
{{sc|Martine}}, {{sc|Chrysale}}.
{{Personnage|Martine}} Me voilà bien chanceuse ! Hélas l’an dit bien vrai [[Les Femmes savantes - Notes#note25|*]] : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage,<br>{{NumVers|420}}Et service d’autrui n’est pas un héritage[[Les Femmes savantes - Notes#note26|*]].
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous, Martine ?
{{Personnage|Martine}} Ce que j’ai ?
{{Personnage|Chrysale}} Oui ?
Votre congé !
{{Personnage|Martine}} Oui, Madame me chasse.
{{Personnage|Chrysale}} Je n’entends pas cela. Comment ?
{{Personnage|Martine}} On me menace,<br>{{NumVers|425}}Si je ne sors d’ici, de me bailler cent coups.
{{Personnage|Chrysale}} Non, vous demeurerez, je suis content de vous ;<br>Ma femme bien souvent a la tête un peu chaude,<br>Et je ne veux pas moi…
{{scène|VI}}
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Bélise}}, {{sc|Chrysale}} {{sc|Martine}}.
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, je vous vois, maraude ?<br>Vite, sortez, friponne ; allons, quittez ces lieux,<br>{{NumVers|430}}Et ne vous présentez jamais devant mes yeux.
{{Personnage|Chrysale}} Tout doux.
{{Personnage|Philaminte}} Non, c’en est fait.
{{Personnage|Chrysale}} Eh.
{{Personnage|Philaminte}} Je veux qu’elle sorte.
{{Personnage|Chrysale}} Mais qu’a-t-elle commis, pour vouloir de la sorte…
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, vous la soutenez ?
{{Personnage|Chrysale}} En aucune façon.
{{Personnage|Philaminte}} Prenez-vous son parti contre moi ?
{{Personnage|Chrysale}} Mon Dieu non ;<br>{{NumVers|435}}Je ne fais seulement que demander son crime.
{{Personnage|Philaminte}} Suis-je pour la chasser sans cause légitime ?
{{Personnage|Chrysale}} Je ne dis pas cela, mais il faut de nos gens…
{{Personnage|Philaminte}} Non, elle sortira, vous dis-je, de céans.
{{Personnage|Chrysale}} Hé bien oui. Vous dit-on quelque chose là contre ?
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|440}}Je ne veux point d’obstacle aux désirs que je montre.
{{Personnage|Chrysale}} D’accord.
{{Personnage|Philaminte}} Et vous devez en raisonnable époux,<br>Être pour moi contre elle et prendre mon courroux [[Les Femmes savantes - Notes#note28|*]].
{{Personnage|Chrysale}} Aussi fais-je. Oui, ma femme avec raison vous chasse,<br>Coquine, et votre crime est indigne de grâce.
{{Personnage|Martine}} Qu’est-ce donc que j’ai fait ?
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|445}}Ma foi ! Je ne sais pas.
{{Personnage|Philaminte}} Elle est d’humeur encore à n’en faire aucun cas.
{{Personnage|Chrysale}} A-t-elle, pour donner matière à votre haine,<br>Cassé quelque miroir, ou quelque porcelaine ?
{{Personnage|Philaminte}} Voudrais-je la chasser, et vous figurez-vous<br>{{NumVers|450}}Que pour si peu de chose on se mette en courroux ?
{{Personnage|Chrysale}} Qu’est-ce à dire ? L’affaire est donc considérable ?
{{Personnage|Philaminte}} Sans doute. Me voit-on femme déraisonnable ?
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce qu’elle a laissé, d’un esprit négligent,<br>Dérober quelque aiguière, ou quelque plat d’argent ?
{{Personnage|Philaminte}} Cela ne serait rien.</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} {{NumVers|455}}Oh, oh ! peste, la belle !<br>Quoi ? l’avez-vous surprise à n’être pas fidèle [[Les Femmes savantes - Notes#note29|*]] ?
{{Personnage|Philaminte}} C’est pis que tout cela.
{{Personnage|Chrysale}} Pis que tout cela ?
{{Personnage|Philaminte}} Pis.
{{Personnage|Chrysale}} Comment diantre, friponne ! Euh ? a-t-elle commis…
{{Personnage|Philaminte}} Elle a, d’une insolence à nulle autre pareille,<br>{{NumVers|460}}Après trente leçons, insulté mon oreille, <br>Par l’impropriété d’un mot sauvage et bas,<br>Qu’en termes décisifs condamne Vaugelas [[Les Femmes savantes - Notes#note30|*]].
{{Personnage|Chrysale}} Est-ce là…
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, toujours malgré nos remontrances,<br>Heurter le fondement de toutes les sciences ;<br>{{NumVers|465}}La grammaire qui sait régenter jusqu’aux rois,<br>Et les fait la main haute [[Les Femmes savantes - Notes#note31|*]] obéir à ses lois ?
{{Personnage|Chrysale}} Du plus grand des forfaits je la croyais coupable.
{{Personnage|Philaminte}} Quoi, vous ne trouvez pas ce crime impardonnable ?
{{Personnage|Chrysale}} Si fait.
{{Personnage|Philaminte}} Je voudrais bien que vous l’excusassiez.</TD></TR>
{{Personnage|Chrysale}} Je n’ai garde.
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|470}}Il est vrai que ce sont des pitiés,<br>Toute construction est par elle détruite,<br>Et des lois du langage on l’a cent fois instruite.
{{Personnage|Martine}} Tout ce que vous prêchez est je crois bel et bon ;<br>Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.
{{Personnage|Philaminte}} {{NumVers|475}}L’impudente ! appeler un jargon le langage<br>Fondé sur la raison et sur le bel usage !
Quand on se fait entendre, on parle toujours bien,<br>Et tous vos biaux dictons [[Les Femmes savantes - Notes#note32|*]] ne servent pas de rien.
{{Personnage|Philaminte}} Hé bien, ne voilà pas encore de son style,<br>Ne servent-pas de rien !
{{Personnage|Bélise}} {{NumVers|480}}Ô cervelle indocile !<br>Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment,<br>On ne te puisse apprendre à parler congrûment ?<br>De ''pas'', mis avec ''rien'', tu fais la récidive [[Les Femmes savantes - Notes#note33|*]],<br>Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.
{{Personnage|Martine}} {{numVers|485}}Mon Dieu, je n’avons pas étugué comme vous,<br>Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
{{Personnage|Philaminte}} Ah peut-on y tenir !
{{Personnage|Bélise}} Quel solécisme horrible !
{{Personnage|Philaminte}} En voilà pour tuer une oreille sensible.
{{Personnage|Bélise}} Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel.<br>{{numVers|490}}''Je'', n’est qu’un singulier ; ''avons'', est pluriel.<br>Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
{{Personnage|Martine}} Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ?
{{Personnage|Philaminte}} Ô Ciel !
{{Personnage|Bélise}} ''Grammaire'' est prise à contre-sens par toi,<br>Et je t’ai dit déjà d’où vient ce mot.
{{Personnage|Martine}} Ma foi,<br>{{numVers|495}}Qu’il vienne de Chaillot, d’Auteuil, ou de Pontoise,
<br>Cela ne me fait rien.
{{Personnage|Bélise}} Quelle âme villageoise !<br>La grammaire, du verbe et du nominatif,<br>Comme de l’adjectif avec le substantif,<br>Nous enseigne les lois.
{{Personnage|Martine}} J’ai, Madame, à vous dire<br>Que je ne connais point ces gens-là.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|500}}Quel martyre !
{{Personnage|Bélise}} Ce sont les noms des mots, et l’on doit regarder<br>En quoi c’est qu’il les faut faire ensemble accorder.
{{Personnage|Martine}} Qu’ils s’accordent entr’eux, ou se gourment, qu’importe ?
{{PersonnageD|Philaminte||à sa sœur.}} Eh, mon Dieu, finissez un discours de la sorte. {{didascalie|À son mari.|c}}<br>{{numVers|505}}Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir ?
{{Personnage|Chrysale}} Si fait. À son caprice il me faut consentir.<br>Va, ne l’irrite point ; retire-toi, Martine.
{{Personnage|Philaminte}} Comment ? vous avez peur d’offenser la coquine ?<br>Vous lui parlez d’un ton tout à fait obligeant ?
{{PersonnageD|Chrysale||bas.}} {{numVers|510}} Moi ? Point. Allons, sortez. Va-t’en, ma pauvre enfant.
{{scène|VII}}
{{sc|Philaminte}}, {{sc|Chrysale}}, {{sc|Bélise}}.
{{Personnage|Chrysale}} Vous êtes satisfaite, et la voilà partie.<br>Mais je n’approuve point une telle sortie ;<br>C’est une fille propre aux choses qu’elle fait,<br>Et vous me la chassez pour un maigre sujet.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|515}}Vous voulez que toujours je l’aie à mon service,<br>Pour mettre incessamment mon oreille au supplice ?<br>Pour rompre toute loi d’usage et de raison,<br>Par un barbare amas de vices d’oraison,<br>De mots estropiés, cousus par intervalles,<br>{{numVers|520}}De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles [[Les Femmes savantes - Notes#note38|*]] ?
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que l’on sue à souffrir ses discours.<br>Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours ;<br>Et les moindres défauts de ce grossier génie,<br>Sont ou le pléonasme, ou la cacophonie.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|525}}Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,<br>Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ? <br>J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,<br>Elle accommode mal les noms avec les verbes,<br>Et redise cent fois un bas ou méchant mot,<br>{{numVers|530}}Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.<br>Je vis de bonne soupe, et non de beau langage.<br>Vaugelas n’apprend point à bien faire un potage,<br>Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots,<br>En cuisine peut-être auraient été des sots.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|535}}Que ce discours grossier terriblement assomme !<br>Et quelle indignité pour ce qui s’appelle ''homme'',<br>D’être baissé sans cesse aux soins matériels,<br>Au lieu de se hausser vers les spirituels !<br>Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,<br>{{numVers|540}}D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,<br>Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin ? {{Personnage|Chrysale}} Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin,<br>Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère.<br>
{{Personnage|Bélise}} Le corps avec l’esprit, fait figure, mon frère ;<br>{{numVers|545}}Mais si vous en croyez tout le monde savant,<br>L’esprit doit sur le corps prendre le pas devant ;<br>Et notre plus grand soin, notre première instance,<br>Doit être à le nourrir du suc de la science.
{{Personnage|Chrysale}} Ma foi si vous songez à nourrir votre esprit,<br>{{numVers|550}}C’est de viande bien creuse, à ce que chacun dit, <br>Et vous n’avez nul soin, nulle sollicitude<br>Pour…
{{Personnage|Philaminte}} Ah ''sollicitude'' à mon oreille est rude,<br>Il put [[Les Femmes savantes - Notes#note40|*]] étrangement son ancienneté.
{{Personnage|Bélise}} Il est vrai que le mot est bien collet monté.
{{Personnage|Chrysale}} {{numVers|555}}Voulez-vous que je dise ? Il faut qu’enfin j’éclate,<br>Que je lève le masque, et décharge ma rate.<br>De folles on vous traite, et j’ai fort sur le cœur…
{{Personnage|Philaminte}} Comment donc ?
{{Personnage|Chrysale}} C’est à vous que je parle, ma sœur.<br>Le moindre solécisme en parlant vous irrite :<br>{{numVers|560}}Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.<br>Vos livres éternels ne me contentent pas,<br>Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,<br>Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,<br>Et laisser la science aux docteurs de la ville ;<br>{{numVers|565}}<TD>M’ôter, pour faire bien, du grenier de céans,<br>Cette longue lunette à faire peur aux gens,<br>Et cent brimborions dont l’aspect importune :<br>Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune,<br>Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous,<br>{{numVers|570}}Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.<br>Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,<br>Qu’une femme étudie, et sache tant de choses.<br>Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants,<br>Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,<br>{{numVers|575}}Et régler la dépense avec économie,<br>Doit être son étude et sa philosophie.<br>Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,<br>Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,<br>Quand la capacité de son esprit se hausse<br>{{numVers|580}}À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.<br>Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;<br>Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,<br>Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles,<br>Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.<br>{{numVers|585}}Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs,<br>Elles veulent écrire, et devenir auteurs.<br>Nulle science n’est pour elles trop profonde,<br>Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde.<br>Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,<br>{{numVers|590}}Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.<br>On y sait comme vont lune, étoile polaire,<br>Vénus, Saturne, et Mars, dont je n’ai point affaire ;<br>Et dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,<br>On ne sait comme va mon pot dont j’ai besoin.<br>{{numVers|595}}Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,<br>Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire ;<br>Raisonner est l’emploi de toute ma maison,<br>Et le raisonnement en bannit la raison ;<br>L’un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,<br>{{numVers|600}}L’autre rêve à des vers quand je demande à boire ;<br>Enfin je vois par eux votre exemple suivi,<br>Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.<br>Une pauvre servante au moins m’était restée,<br>Qui de ce mauvais air n’était point infectée,<br>{{numVers|605}}Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,<br>À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.<br>Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse,<br>{{didascalie|(Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse)|c}} ;<br>Je n’aime point céans tous vos gens à latin,<br>{{numVers|610}}Et principalement ce Monsieur Trissotin.<br>C’est lui qui dans des vers vous a tympanisées,<br>Tous les propos qu’il tient sont des billevesées,<br>On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé,<br>Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.
{{Personnage|Philaminte}} {{numVers|615}}Quelle bassesse, ô Ciel, et d’âme, et de langage !
{{Personnage|Bélise}} Est-il de petits corps un plus lourd assemblage !<br>Un esprit composé d’atomes plus bourgeois !<br>Et de ce même sang se peut-il que je sois !<br>Je me veux mal de mort d’être de votre race,<br>{{numVers|620}}Et de confusion j’abandonne la place.
===SCÈNE VIII===
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