« Souvenirs d’une actrice » : différence entre les versions

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Le comte de Tilly • Rivarol • Vers d’une dame à Rivarol • Champcenetz • Tours que jouait Champcenetz à ses créanciers • Ses bons mots en allant à l’échafaud • Le chevalier de Saint-Georges • Son talent musical • Les amours et la mort du pauvre oiseau • Son ami Lamothe •
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Les personnes que je rencontrais le plus fréquemment dans la société de madame de Chambonas étaient généralement remarquables par leur amabilité et leur esprit. Plusieurs d’entre elles ont même joué dans le monde un rôle assez important. Mais toutes n’avaient pas, comme M. Millin, les qualités solides qui inspirant la sympathie et l’attachèrent. Le
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comte de Tilly, auteur de la romance qui a eu une si grande vogue :
 
Tu le veux, je pars pour l’armée.
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Le comte de Tilly avait, comme Champcenetz, un esprit mordant qui lui faisait de nombreux ennemis. Lorsqu’il prenait quelqu’un à tic, il était d’une amertume extrême et disait des choses blessantes, s’embarrassant peu si ses pointes acérées ne pénétraient pas trop avant. Il fallait se garder de le provoquer, car il était toujours sur la défensive et espadronnait à droite, à gauche. C’était un bel homme, de tournure élégante, d’une figure distinguée ; aussi les femmes l’avaient gâté, et malgré beaucoup d’esprit et de tact, il ne pouvait éviter un air de fatuité et de distraction qui visait à l’impertinence. Il a paru longtemps jeune ; à cinquante ans, on lui en aurait à peine donné trente. Avec tous les moyens de plaire, il déplaisait[39].
 
Rivarol avait aussi quelque suffisance, mais il
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était plus aimable ; il prodiguait de ces mots heureux qui se retiennent et se répètent.
 
Une femme aimable devant laquelle il avait dit qu’il n’aimait pas les femmes d’esprit ; qu’il préférait une niaise, avec quinze ans et de la fraîcheur, lui avait écrit ces vers sur son album :
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Rivarol était l’un des rédacteurs des ''Actes des Apôtres'' avec Champcenetz, Mirabeau-Tonneau, etc. Celui-ci devait ce surnom à sa prodigieuse grosseur et à son incontinence ; si l’on doit croire le bon public, car je n’en ai rien entendu dire dans ces réunions particulières. Au reste, c’était aussi, dit-on, un homme d’un très grand mérite. Tous les gens de lettres qui travaillèrent depuis à ce journal en vogue, se rencontraient alors chez la marquise de Chambonas.
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M. Champcenetz avait un esprit de critique d’autant plus désespérant qu’il frappait souvent juste ; il ne ménageait personne : aussi était-il fort peu aimé des artistes. Ses mots passaient de bouche en bouche, de salon en salon, et gagnaient toutes les classes. Comme ils étaient méchants, ils ne s’oubliaient jamais ; ils étaient souvent de mauvais goût, comme celui-ci, par exemple :
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— Non, mon cher, comme un cochon.
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Cela fut entendu de ses voisins qui ne manquèrent d’en rire et de le répéter.
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Quand je vous reçus dans ma cour.
 
Il était bien l’homme le plus gai, le plus amusant que j’aie jamais connu. Hélas ! il porta cette gaîté jusqu’au pied de l’échafaud. Il disait au prince de Salm, dont la charette précédait la sienne : « Donne donc pourboire à ton cocher, ce maraud ne va pas. »
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Et au président Fouquier-Tinville, qui lui ôtait la parole : « Ah ça, ne plaisantez pas, c’est qu’il n’y a pas moyen de se faire remplacer comme dans la garde nationale. »
 
Quelques temps avant d’être arrêté, il disait d’un député, envoyé en mission dans les Pyrénées : « Il va y faire des cachots en Espagne. »
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Je revins à Amiens, où Saint-Georges et Lamothe m’attendaient pour organiser leurs concerts.
 
Saint-Georges et Lamothe étaient Oreste et Pylade ; on ne les voyait jamais l’un sans l’autre. Lamothe, célèbre cor de chasse de cette époque, eût été aussi le premier tireur d’armes, disait-on, s’il n’y avait pas eu un Saint-Georges. La supériorité de Saint-Georges au tir, au patin, à cheval, à la danse, dans tous les arts enfin, lui avait assuré cette brillante réputation dont il a toujours joui depuis son arrivée en France. Il était un modèle pour tous les jeunes gens d’alors, qui lui formaient une cour ; on ne le voyait jamais qu’entouré de leur cortège. Saint-Georges donnait souvent des concerts publics ou de souscription ; on y chantait plusieurs morceaux
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dont il avait composé les paroles et la musique ; c’étaient surtout ses romances qui étaient en vogue. Celle que je vais citer, est une des plus faibles dont j’ai conservé la mémoire, il me la fit chanter dans une de ses soirées chez la marquise de Chambonas.
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L’autre jour sous l’ombrage<br/>
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Bonheur d’être aimé tendrement, etc.<br/><br/>
 
Saint-Georges possédait le sentiment musical au plus haut degré, et l’expression de son exécution était son principal mérite. Un morceau qui lui valut de grands succès sur le violon, c’était "Les Amours et la mort du pauvre oiseau". La première partie de cette petite pastorale s’annonçait par un chant brillant, plein de légèreté et de fioritures ; le gazouillement de
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l’oiseau exprimait son bonheur de revoir le printemps, il le célébrait par ses accents joyeux.
 
Mais bientôt après venait la seconde partie où il roucoulait ses amours. C’était un chant rempli d’âme et de séduction. On croyait le voir voltiger de branche en branche, poursuivre la cruelle qui déjà avait fait un autre choix et s’enfuyait à tire d’ailes.
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Le troisième motif était la mort du pauvre oiseau, ses chants plaintifs, ses regrets, ses souvenirs où se trouvaient parfois quelques réminiscences de ses notes joyeuses. Puis sa voix s’affaiblissait graduellement, et finissait par s’éteindre. Il tombait de sa branche solitaire ; sa vie s’exhalait par quelques notes vibrantes. C’était le dernier chant de l’oiseau, son dernier soupir[40].
 
Je fis un nouvel engagement avec Saint-Georges et Lamothe pour des concerts, à Lille, en 1791. Lorsqu’ils furent terminés, Saint-Georges comptait les
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renouveler à Tournay. Cette ville était alors le rendez-vous des émigrés[41]. Ils ne voulurent point y admettre le créole. On lui conseilla même de n’y pas faire un plus long séjour.
 
Ce fut à son retour à Paris que Saint-Georges forma un régiment de mulâtres dont on le nomma colonel ; il revint à Lille au moment du siège, et son régiment se battit contre les Autrichiens. J’appris depuis que Saint-Georges et Lamothe étaient partis pour Saint-Domingue qui était en pleine révolution ; on répandit même le bruit qu’ils avaient été
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pendus dans une émeute. Depuis assez longtemps je les croyais donc morts, et je leur avais donné tous mes regrets, lorsqu’un jour que j’étais assise au Palais-Royal avec une de mes amies, et que notre attention était fixée à la lecture d’une gazette, je ne remarquai pas tout de suite deux personnes qui s’étaient placées devant moi. En levant les yeux, je les reconnus, et je jetai un cri comme si j’eusse envisagé deux fantômes ; c’étaient Lamothe et Saint-Georges, qui me chanta :
 
À la fin vous voilà ! Je vous croyais pendus.
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— Nous le sommes en effet, car nous revenons de loin, me dirent-ils.
 
Je les revis plusieurs fois encore, mais nous fûmes bientôt tous dispersés. À mon retour de Russie, en 1813, Saint-Georges ne vivait plus, Lamothe était attaché à la maison du duc de Berry. Après l’horriblel’
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horrible catastrophe de ce prince, Lamothe alla à Munich, où Eugène Beauharnais l’accueillit avec empressement : mais destiné à survivre à tous ses protecteurs, je le retrouvai en passant dans cette ville. Le roi de Bavière actuel lui avait conservé sa place. C’est lui qui nous fit voir ce beau théâtre où l’on joue le grand opéra. Le roi est passionné pour la musique, et l’on y exécute quelquefois ses partitions ; mais cette vaste salle est d’un aspect bien triste, par le peu de monde qui s’y trouve réuni.
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<br />Talma dans _Charles IX • Il est admis sociétaire du Théâtre Français • Le théâtre des Élèves de l’Opéra • Le théâtre de Monsieur • Préville et Raffanelli • Mon début dans la ''Serva Patrona'' et dans le ''Devin du village'' • Dubuisson • Le comte de Grammont • Anecdotes • Je prends l’emploi des soubrettes : Mon début au théâtre de la rue Richelieu dans ''Guerre ouverte''•
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« Chère madame Lemoine.
 
« Me voici enfin de retour à Paris, et mon premier
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soin est de vous donner des nouvelles, non sur la politique (que je ne comprends pas et dont je suis ennuyée d’entendre parler sans cesse), mais sur les événements qui en sont les résultats, ceux surtout, qui concernent les arts et la littérature.
 
« On parle d’un décret qui autoriserait à jouer les anciens ouvrages sur d’autres théâtres que ceux qui jusqu’à ce jour se sont seuls emparés de cette propriété. Il me semble, moi, que cela serait fort heureux, et permettrait au moins aux talents ignorés, faute de pouvoir se produire, de se montrer dans un jour favorable. Les gens de lettres usent de toute leur influence pour obtenir ce résultat. Cela doit se décider dans quelques jours ; je ne manquerai pas de vous l’écrire. »
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À la même.
 
« Je suis allée hier au Théâtre-Français voir cette pièce de _Charles IX_, dont j’avais tant entendu parler. C’est le premier rôle important que Talma ait
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créé. J’avais un grand désir de connaître cet acteur et de causer avec lui. L’occasion s’en est présentée, et je l’ai saisie avec empressement. Il a un tel amour pour son art, qu’il ne manque aucune occasion de l’exercer ; et comme il joue fort agréablement dans la comédie, on le sollicite souvent de donner des représentations à Versailles et à Saint-Germain. Elles sont montées avec des amateurs et quelques acteurs qui, n’étant point employés, peuvent disposer de leur temps. On vient de Paris pour voir Talma dans les grands rôles qu’il ne joue point au Théâtre-Français.
 
« On est venu dernièrement me demander si je voulais jouer la soubrette dans _la Pupille_, avec Talma, qui jouait le rôle du marquis. J’ai accepté, comme vous pouvez croire, car c’était une véritable partie de plaisir pour moi. Il est marié depuis peu de temps. Madame Talma est venue me chercher dans sa voiture : c’est une femme charmante, et qui m’a plu au premier abord. Il est des personnes qui ne vous semblent pas étrangères, et que l’on ne croit jamais voir pour la première fois ; cette attraction
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est aussi inexplicable que le sentiment répulsif que nous éprouvons parfois pour quelques autres ; il est rare cependant que ce premier mouvement ne se trouve pas justifié par la suite.
 
« On se dispose à faire l’ouverture du nouveau théâtre de la rue de Richelieu. L’on y répète des ouvrages de Pigault-Lebrun, _la Joueuse, l’Orpheline, Charles et Caroline_.
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« Je vais beaucoup chez Julie Talma. C’est une aimable femme ; elle a un esprit qui sait se mettre à la portée de tous les âges. Elle m’a prise en amitié, et j’en suis toute fière. C’est la seule personne qui pouvait me faire supporter votre absence ; elle est aussi pour moi un excellent guide. Ses conseils sont toujours justes ; elle connaît si le bien monde ! Je rencontre chez elle une société qui pourra me mettre à même rendre notre correspondance plus intéressante.
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« Puisque vous voulez que je vous écrive tout ce qui me frappe ou m’intéresse, pour commencer, je vous parlerai des succès de Talma auquel vous trouvez tant d’avenir ; vous savez comme il se fait remarquer dans les moindres rôles. Le public, qui le voit toujours avec plaisir, lui a fait dernièrement une application flatteuse dans le petit rôle d’amoureux de _l’Impromptu de campagne_. Lorsque le baron lui dit :
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À la même.
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« Madame,
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« M. de Renier, surnommé _le Cousin Jacques_, titre qu’il prend dans son journal des _Lunes_, a déjà commencé. On engage tous les sujets à réputation : on prétend que de brillantes propositions ont été faites aux mécontents du faubourg Saint-Germain ; les gens de lettres le désirent beaucoup, parce que cela les affranchirait des entraves qu’ils éprouvent pour faire jouer leurs ouvrages.
« L. F. »
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_P. S_. Ce que je vous disais au commencement de ma lettre est maintenant certain. Tout est en rumeur au faubourg Saint-Germain, on crie à l’ingratitude, surtout pour Talma, qui demande qu’on le classe dans un emploi, ou qu’on le laisse libre. Dugazon, son professeur et son ami, l’excite à s’affranchir des entraves qui l’empêchent de paraître avec avantage. Le Théâtre-Français fait valoir son engagement ; un procès va dit-on s’en suivre. L’on ne parle pas d’autre chose, et chacun prend parti dans cette affaire selon son opinion. David, Chénier Ducis, tous les amis de Talma enfin, le poussent à rompre, mais le pourra-t-il ? Je vous écrirai tout cela avant peu ; puisqu’il faut toujours vous dire adieu.
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L. F.
 
Au moment où je faisais part à madame Lemoine-Dubarry de cette révolution dramatique, le théâtre des élèves de l’Opéra reparaissait sous une nouvelle forme. On cherchait des chanteuses, j’y fus engagée. Avec la liberté des théâtres, on avait pris la liberté
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de tout jouer, mais les élèves devaient représenter plus particulièrement des traductions italiennes ; spéculation assez heureuse, attendu que l’opéra-buffa était en grande faveur et que fort peu de personnes entendaient à cette époque l’italien. On venait à notre théâtre pour comprendre les ouvrages que l’on représentait à la salle de _Monsieur_ aux Tuileries, qui fut le premier théâtre où parurent les chanteurs italiens.
 
Comme nous devions jouer les traductions, on nous avait donné la facilité d’assister aux répétitions des ouvrages nouveaux ; cela nous formait le goût, car il y avait d’excellents chanteurs, Mengozzi, Viganoni, Nozzari, mesdames Baletti et Morichelli, et puis Raffanelli, ce délicieux acteur qui a laissé une réputation dont on se souvient encore et qui était si comique sans charge, si admirable dans le _Matrimonio Secreto_ et dans Bartholo du _Barbier de Séville_. Préville qui l’entendait vanter, voulut le voir dans ce rôle dont il pouvait apprécier les moindres détails.
 
À la scène où il ouvre la fenêtre : « cette jalousie
À la scène où il ouvre la fenêtre : « cette jalousie qui s’ouvre si rarement, » Préville remarqua qu’il en épousseta l’appui avec son mouchoir, Il se dit : « Voilà un acteur qui réfléchit sur son art ; il doit mériter sa réputation. » En effet il en fut enchanté, et il répétait souvent cette première remarque en disant aux jeunes gens auxquels il donnait des conseils : « Voilà comme l’on joue la comédie ! il ne suffit pas de dire passablement un rôle, il faut s’occuper des moindres détails qui vous ramènent à la vérité de la vie réelle. »
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À la scène où il ouvre la fenêtre : « cette jalousie qui s’ouvre si rarement, » Préville remarqua qu’il en épousseta l’appui avec son mouchoir, Il se dit : « Voilà un acteur qui réfléchit sur son art ; il doit mériter sa réputation. » En effet il en fut enchanté, et il répétait souvent cette première remarque en disant aux jeunes gens auxquels il donnait des conseils : « Voilà comme l’on joue la comédie ! il ne suffit pas de dire passablement un rôle, il faut s’occuper des moindres détails qui vous ramènent à la vérité de la vie réelle. »
 
Raffanelli fut extrêmement flatté d’avoir obtenu le suffrage de ce grand comédien.
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Sé m’abandonne mio dolce amore,
 
était un des plus à la mode et des plus expressifs ; il
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a bien voulu me donner quelquefois des conseils dont j’étais extrêmement reconnaissante. En général j’ai eu beaucoup à me louer de l’obligeance des acteurs du théâtre Italien.
 
Plus tard vinrent madame Strinasaci, et Tachinardi et cette charmante madame Barilli qui fut l’idole du public, non-seulement pour son talent, mais pour ses vertus privées, pour sa bonté et sa bienfaisance. Elle fut enlevée trop tôt à l’admiration du public. Elle eut pour cortége à son convoi, tous les malheureux qu’elle soulageait journellement, et qui la pleurèrent comme une mère ; ce n’étaient point des pleurs payés, car ces pauvres gens étaient venus d’eux-mêmes. Ce fut une consternation dans le quartier de l’Odéon.
 
Nous eûmes, depuis madame Grassini, qui représentait si bien une reine par la noblesse de son port. Pour juger de sa beauté, il faut voir son portrait, fait par madame Lebrun-Vigée. Madame Catalani vint après ; madame Catalani, que j’ai retrouvée dans les pays étrangère, toujours si bonne ! si serviable ! Elle y a joui d’une considération que l’on
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accorde rarement à ce degré. Elle était aimée pour elle-même, autant que pour son talent, et cet admirable gosier dont le larynx, selon l’opinion de plusieurs docteurs, était de la même nature que celui du rossignol.
 
Le désir de parler des chanteurs italiens m’a écartée de mon début au théâtre des élèves de l’Opéra et j’y reviens. La liberté de jouer tous les ouvrages me donna la facilité de choisir. J’avais assez de sûreté comme élève de Piccini pour ne pas craindre d’aborder des rôles importants. Je demandai donc celui de la _Serva Patrona_ qui n’avait encore été joué en français que par madame Davrigny, la Damoreau de l’époque, et celui de Colette du _Devin de village_ qui m’avait été montré par madame Saint-Huberty. Il paraissait si étrange, si audacieux alors que l’on osât jouer des ouvrages des grands théâtres, que la plus brillante société vint en foule pour se moquer de nous.
 
Dubuisson[42], auteur de _Tamas Kou-li-Kan_, traduisait
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tous les ouvrages italiens. C’était un homme fort brusque et fort peu poli, un véritable bourru bienfaisant. Lorsqu’il vit l’annonce de mes débuts dans la _Serva patrona_, il arriva chez notre impresario, chez qui je dînais, et son premier mot fut :
 
—Êtes-vous fou ? est-il bien vrai que vous allez faire jouer ces deux ouvrages ? et quelle est l’extravagante qui a la folle présomption de se mesurer avec madame Davrigny ?
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—Ce n’est pas de même.
 
Enfin il serait trop long de répéter toutes les choses aimables et encourageantes qu’il m’adressa à
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ce sujet. On le plaça à table à côté de moi, et, avec une coquetterie de femme, je fis ce que je pus pour le ramener de ses préventions. Je lui dis les raisons qui m’avaient déterminée, et je le priai de ne pas trop me décourager.
 
—Moi, me dit-il d’un ton plus radouci, je ne suis rien là-dedans, mais le public… Vous seriez à la hauteur de l’autre (ce que je ne crois pas), qu’on n’en conviendrait point.
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—Enfin que faire ? la représentation est annoncée. Eh bien, si je tombe, je suis assez jeune pour me relever plus tard.
 
Le jour approchait. Je suppliai l’administration de ne laisser entrer aucune personne étrangère à la répétition. Craignant les critiques anticipées, je ne répétai le grand morceau de la _Serva_ que pour les ritournelles et les rentrées ; je ne chantai pas. Je dois dire cependant que plus le moment approchait, plus je sentais mon courage se ranimer. Si j’eusse cédé au sentiment de la peur, j’étais perdue. Comme j’étais musicienne assez adroite, je savais ce que je pouvais risquer. La salle était
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comble, et les premiers balcons étaient occupés par un certain duc de Grammont et sa société. Il donnait le ton, et les artistes les plus célèbres allaient faire de la musique chez lui. Il avait dans son château, à la campagne, près Paris, un petit théâtre sur lequel on essayait souvent les opéras nouveaux, comme on lit un manuscrit en société avant de représenter la pièce. Le balcon qui faisait face au sien était rempli d’habitués ; ils parlaient si haut, que l’on entendait tout ce qu’ils disaient. Je ne descendis qu’au moment d’entrer en scène ; et comme j’avais une jolie toilette, une assez jolie tournure, dit-on, il se fit un mouvement dans la salle qui n’était pas trop à mon désavantage (les femmes ne s’y trompent guère). Toutes les lorgnettes étaient braquées, toutes les oreilles tendues, mais je ne cherchai en entrant qu’un seul individu : c’était mon bourru de Dubuisson. Il était en face de moi à l’orchestre, le front appuyé sur sa canne. L’entrée de Zerbine commençant par un morceau d’action, une querelle entre le valet et la soubrette, il n’y avait donc encore rien à juger ; mais le premier air,
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que peu important, est cependant du chant. On applaudit (un peu), seulement un encouragement. Dubuisson ne bougeait pas, il attendait le cantabile. Je le chantai sans fioriture, avec expression. Je fus très applaudie, et je vis mon bourru me faire : « _Hum ! pas mal_. » Cela me donna du courage pour l’air de _Bravoura_, qui commence le second acte. Les ritournelles des anciens opéras sont interminables. Cela peut avoir son bon côté, en ce qu’elles donnent le temps de se rassurer.
 
Je vis que les physionomies n’étaient plus aussi hostiles dans les loges, et que le parterre était bien disposé : cette fois, je risquai tout. « Allons, me dis-je, il faut faire le saut périlleux, il en arrivera ce qu’il pourra. » J’obtins un succès complet. Moins on avait attendu de moi, plus on trouva bien ce que je fis. J’entendais bourdonner à mon oreille : _une jolie voix, de la légèreté, de la méthode, c’est au mieux_. Après l’acte, mon antagoniste, le duc de Grammont vint sur le théâtre, m’accabla d’éloges, et me prédit que je serais une chanteuse distinguée. Il m’engagea à lui faire _l’honneur_ de venir à ses soirées
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de musique, et dès ce moment il me prôna autant qu’il m’avait dépréciée auparavant.
 
Dans toute cette atmosphère d’éloges, je ne voyais pas celui que je cherchais ; je le découvris enfin dans un coin, causant avec le directeur. Je ne lui demandai rien, mais il me tendit la main, en me disant : « C’est bien ! » et j’avoue que cet éloge me flatta plus que les compliments qu’on venait de me prodiguer. Il n’est pas besoin de dire que dès-lors tout ce que je chantai fut applaudi. Je reçus une invitation du duc de Grammont, pour sa première soirée. Il avait appris que j’avais débuté à quinze ans au concert spirituel, que j’étais proche parente de madame Saint-Huberty, élève de Piccini ; en fallait-il davantage ?
 
Il eût été à souhaiter pour mon repos qu’il eût su tout cela plutôt. Une fluxion de poitrine fit craindre que je ne perdisse ma voix. Les médecins furent d’avis que je ne devais pas chanter, au moins d’une année. Ce fut cette circonstance qui me fit engager au nouveau théâtre de la rue de Richelieu, dirigé
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comme je l’ai déjà dit, par MM. Gaillard et Dorfeuil. Mademoiselle Fiat avait quitté ce théâtre après la mort de Bordier. Ce fut une perte. La femme de M. Monvel qui avait débuté n’avait pas réussi. Mademoiselle Saint-Per était malade ; ce fut donc moi à qui l’on fit jouer la soubrette, dans la reprise de _Guerre ouverte_. Ce n’était pas une petite tâche que de remplir ce rôle, établi par mademoiselle Fiat avec un rare talent. Aussi, ce fut encore au chant que je demandai un soutien. L’auteur me permit de placer une romance à la scène de la fenêtre. Cette romance assura mon succès. Ces applications
 
« Il y a dans la rue un amateur qui t’applaudit
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furent saisies avec empressement. Dès ce jour, je fus la prima dona du théâtre, et M. Ducis me fit chanter dans _Othello_ la romance du _Saule_, dans la coulisse, pour mademoiselle Desgarcins. Aussi dans le prologue de la réunion des deux théâtres, Dugazon ne manqua pas de me dire :
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« --Ah ! toi, je te connais, tu as débuté dans le chant. »
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<br />La fête de la Fédération • Les Comédiens au Champ-de-Mars • Fête donnée par Mirabeau aux Fédérés Marseillais au théâtre de la rue Richelieu • ''Gaston et Bayard''.
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J’étais encore aux élèves de l’Opéra, lorsqu’on s’occupait de fêter le premier anniversaire de la ''fête'' de la Bastille. L’époque de cette fameuse fête de la Fédération approchait et les travaux n’avançaient pas. On mit en réquisition tous les habitants de Paris : hommes, femmes, enfants, tout le monde fut travailler au Champ-de-Mars. On se réunissait par section en corporation. Les théâtres se signalèrent. Chaque cavalier choisissait une dame à laquelle
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il offrait une bêche bien légère, ornée de rubans et de bouquets, et, la musique en tête, on partait joyeusement. Tout devient plaisir et mode à Paris ; on inventa même un costume qui pût résister à la poussière, car les premiers jours les robes blanches n’étaient plus reconnaissables le soir. Une blouse de mousseline grise les remplaça. De petits brodequins et des bas de soie de même couleur, une légère écharpe tricolore et un grand chapeau de paille, tel était le costume d’artiste.
 
Une partie de nos auteurs de vaudevilles se réunirent à nous. Le Cousin Jacques fut mon cavalier, il m’a même fait des vers à ce sujet. On bêchait, on brouettait la terre, on se mettait dans les brouettes pour se faire ramener à sa place, tant et si bien qu’au lieu d’accélérer les travaux, on les entravait. On nous dispensa bientôt des promenades au Champ-de-Mars, à notre grand regret, car cela était très amusant.
 
Je n’ai pas vu la fête de la Fédération. Voici ce que j’écrivais, à ce sujet, à madame Lemoine-Dubarry :
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« Les journaux, madame, vous donneront assez de détails pour que vous puissiez vous passer des miens ; d’ailleurs je ne pourrais vous en parler comme témoin oculaire, car je n’y ai pas assisté. Ces fêtes ne me tentent pas, et la foule me fait peur. Il a fait toute la journée une pluie horrible : voilà ce que je sais.
 
« Je ne vous entretiendrai donc que de la fête qui a été donnée chez Mirabeau aux Fédérés Marseillais. J’y ai joué dans une pièce faite pour la circonstance ; mais ce qui m’a le plus étonnée dans cette solennité, ce n’est pas de m’y voir, comme le doge de Venise, c’est Mirabeau auquel je parlais pour la première fois ; et, malgré toute votre humeur contre lui [43], je vous en demande bien pardon, mais je l’ai trouvé charmant. Quelle grâce, quelle expression sur cette figure repoussante au premier abord ! que d’esprit répandu sur toute sa personne ! Je ne suis plus surprise qu’il ait inspiré une si grande passion à Sophie[44].
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« Je vous entends d’ici dire : "''Eh bien ! ne va-t-elle pas se passionner aussi ? ''" ne craignez rien, cela n’ira pas jusque-là, mais j’ai un plaisir infini à causer avec lui. Je m’en étais fait une toute autre idée. Je n’avais pas eu l’occasion de le voir chez Julie Talma. Depuis qu’il est enfoncé dans la politique et qu’il est devenu un célèbre orateur, il ne va guère dans le monde. Julie va chez lui ; elle en parle toujours avec un grand enthousiasme ; il demeure dans sa maison de la rue Caumartin[45].
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Ils sont au milieu de la nuit
Quand le plein midi nous éclaire.
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« Mais surtout n’oublions jamais
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« Je veux vous conter une singulière scène qui est arrivée au théâtre du Palais-Royal[47] le jour où Mirabeau y a amené les Fédérés Marseillais, pour lesquels il avait demandé ''Gaston et Bayard''. Ils étaient en grand nombre, et la salle était tellement remplie, qu’on avait été obligé d’en placer une partie sur le théâtre de manière à ne pas gêner la scène. La plupart d’entre eux ne se doutaient pas de ce que c’était qu’une représentation théâtrale, et n’y avaient jamais assisté. Aussi portaient-ils une grande attention à la pièce. Bayard était joué par un nommé Valois, acteur de province, qui n’était pas sans mérite[48].
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« Nos Fédérés s’étaient tellement identifiés avec l’action, qu’ils ne pensaient plus qu’ils étaient sur la scène. Au moment où Bayard, blessé, étendu sur un brancard et couvert de trophées, est surpris par Avogard et les siens qui viennent pour l’assassiner, sur ce vers,
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Les artistes ne sont vraiment aimables que lorsqu’ils n’ont d’autre fortune que celle que put leur procurer leur talent. Du moment qu’ils deviennent spéculateurs, qu’ils acquièrent
=== no match ===
des propriétés, semblables au savetier financier, ils n’ont plus de joyeux flon-flon.
 
Avant 1790, le traitement des acteurs était loin d’être aussi considérable qu’il l’est maintenant. Six, huit, dix mille francs, c’étaient des appointements qu’on n’accordait qu’aux grandes réputations. Celui qui n’avait d’autre patrimoine que son talent, dépensait son revenu et souvent au-delà : ce fut bien autre chose lorsqu’arrivèrent les assignats !