« Quelques mots sur la non-intervention » : différence entre les versions

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Parmi ces cas, c'est celui du peuple en armes pour sa liberté qui est le seul qui présente quelque attrait, ou qui, au moins en théorie, soit susceptible de présenter un conflit de considérations morales. Les autres cas présentés méritent difficilement une discussion. Il est superflu qu'un écrivain d'un pays libre prenne la peine de stigmatiser l'aide au gouvernement d'un pays pour réprimer le peuple, ce qui est malheureusement le cas le plus fréquent d'intervention étrangère. Un gouvernement qui a besoin d'un soutien étranger pour obtenir l'obéissance de ses propres citoyens, ne devrait pas exister ; et l'assistance que les étrangers lui apportent n'est pratiquement rien d'autre que la sympathie qu'éprouve un despotisme pour un autre. Un cas qui requiert l'attention est celui de la guerre civile de longue durée, dans laquelle les parties en conflit sont si parfaitement équilibrées qu'une issue rapide est improbable. Ou lorsqu'en cas de victoire, la partie victorieuse ne peut espérer maintenir la partie vaincue hors d'état de reprendre les hostilités sans recourir à des pratiques dont la sévérité répugne à l'humanité et qui portent préjudice au bien être permanent du pays. Dans ce cas exceptionnel, il semble qu'il existe maintenant une doctrine admise, qui est que le pays voisin, ou que l'un des puissants voisins, avec le consentement des autres, a le droit d'exiger la cessation des hostilités et qu'une réconciliation voie le jour sur la base d'un compromis équitable. Ce type d'intervention a été pratiqué de façon répétée durant cette génération, avec une approbation si générale que sa légitimité pourrait être considérée comme ayant été élevée au rang de maxime de ce que l'on appelle le droit international. Les ingérences des Puissances Européennes entre la Grèce et la Turquie, et entre la Turquie et l'Égypte étaient des cas exemplaires. Celle entre la Hollande et la Belgique l'était encore plus. L'intervention de l'Angleterre au Portugal, il y a quelques années, dont on se souvient probablement moins que d'autres, car elle obtint des résultats sans l'emploi concret de la force, appartient à cette même catégorie. À l'époque, cette interposition avait l'apparence d'un mauvais et malhonnête soutien du gouvernement contre le peuple, chronométré pour frapper le moment exact où le parti populaire avait obtenu un avantage notable et semblait en passe de renverser le gouvernement ou de le réduire à l'impuissance. Mais si jamais un acte politique qui semblait mal en point au départ a pu être justifié par les événements, ce fut le cas de cette intervention, car, ainsi que se déroulèrent les faits, au lieu de donner l'avantage à l'une des partie du conflit, elle s'avéra être une mesure curative ; et les chefs de ce qu'on appelle la rébellion devinrent en quelques années les ministres honorés et couronnés de succès du trône qu'ils avaient combattu si longtemps.
 
Eu égard à la question de savoir si un pays a le droit d'aider le peuple d'un autre dans un combat contre leur gouvernement pour des institutions libres, la réponse sera différente, selon que le joug dont le peuple tente de se débarrasser est celui d'un gouvernement purement indigène ou étranger, étant assimilé à un gouvernement étranger tout gouvernement qui se maintient par un soutien étranger. Lorsque la contestation vise seulement des gouvernants indigènes, disposant d'une force indigène qu'ils peuvent mobiliser pour leur défense, la réponse que je devrais donner quant à la légitimité de l'intervention est, en règle générale, « non ». La raison en est qu'il peut rarement se trouver quelque chose approchant la certitude que l'intervention, même couronnée de succès, serait pour le bien du peuple lui-même. Le seul test ayant quelque valeur réelle pour déterminer si un peuple est devenu capable de se gouverner par des institutions populaires, est qu'ils, ou qu'une partie d'entre-eux suffisamment grande pour vaincre consentent à braver la dureté de la tâche et le danger pour leur libération. Je sais tout ce que l'on peut dire, je sais que l'on peut avertir que les qualités des hommes libres ne peuvent s'apprendre à l'école de l'esclavage, et que si un peuple n'est pas en état de jouir de la liberté, pour obtenir une chance d'y parvenir, il doit commencer par être libre. Ceci serait concluant, si l'intervention recommandée leur donnait réellement la liberté. Mais là où le bât blesse c'est que s'ils n'ont pas assez d'amour de la liberté pour l'arracher à de simples oppresseurs domestiques, alors la liberté qui leur est remise par d'autres mains que les leurs n'aura rien de réel, rien de permanent. Aucun peuple n'a jamais été et n'est jamais resté libre que parce qu'il était déterminé à l'être ; parce que ni ses gouvernants ni aucun parti au sein de la nation n'a pu le contraindre à être autrement. Si un peuple - spécialement un dont la liberté n'est pas encore devenue la norme - ne la valorise pas assez pour se battre pour elle, et la maintenir contre toute force qui peut être réunie ''dans'' le pays, y compris par ceux qui ont le commandement des revenus publics, alors ce n'est qu'une question de quelques années ou mois pour que ce peuple soit réduit à l'esclavage. Soit le gouvernement qu'il s'est donné, soit un chef militaire ou une association de conspirateurs qui s'efforcent de subvertir le gouvernement, mettront rapidement un terme à toutes les institutions populaires : à moins qu'il ne leur convienne mieux de les laisser en place, en se contentant de les réduire à des dispositifs de pure forme ; car, à moins que l'esprit de liberté soit fort parmi le peuple, ceux qui ont l'exécutif entre leurs mains manipulent facilement toute institution pour la mettre au service du despotisme. Il n'existe aucune garantie fiable contre cette issue déplorable, même dans un pays qui a réussi à gagner sa liberté par lui-même ; comme on peut le voir à travers des exemples frappants au Nouveau comme dans l'Ancien Monde : mais lorsque la liberté a été gagnée ''pour'' eux, ils ont effectivement très peu de chances d'échapper à ce destin. Lorsqu'un peuple a eu le malheur d'être gouverné par un gouvernement sous lequel les sentiments et les qualités nécessaires pour maintenir la liberté ne pouvaient pas se développer, c'est pendant un combat ardu pour devenir libre par ses propres forces que ces sentiments et qualités ont les meilleursmeilleures chances de surgir. Les hommes s'attachent à ce pour quoi ils ont longtemps combattu et fait des sacrifices, ils apprennent à apprécier ce que leurs pensées ont tellement caressé ; et une confrontation dans laquelle des hommes ont été appelés en nombre à se dévouer pour leur pays est une école où ils peuvent apprendre à placer l’intérêt du pays au dessus du leur.
 
Il est donc rarement - je ne vais pas aller jusqu'à dire « jamais » - judicieux ou juste, dans un pays doté d'un gouvernement libre, d'assister un autre peuple dans ses tentatives pour arracher la même bénédiction de ses gouvernants indigènes, autrement que par le soutien moral de son opinion. Il faut excepter tout cas, bien sûr, où une telle assistance constitue une mesure de légitime défense. Si (une éventualité qui est loin d'être improbable) l'Angleterre, parce qu'on lui tient rigueur de sa liberté, qui est partout un reproche tenant tête au despotisme, et un encouragement à le rejeter, devait se trouver menacée d'une attaque par une coalition de despotes continentaux, elle devrait considérer le parti populaire de chaque nation du continent comme son allié naturel, les libéraux devant être à cet égard ce que les protestants d'Europe étaient pour le gouvernement de la reine Élisabeth. Ainsi, encore, lorsqu'une nation, pour sa propre défense, est entrée en guerre contre un despote, et a la rare et bonne fortune non seulement de réussir dans sa résistance, mais de tenir entre ses mains les conditions de la paix, elle a le droit de dire qu'elle ne conclura aucun traité, à moins que ce ne soit avec un autre dirigeant que celui dont l'existence en tant que tel pourrait constituer une menace perpétuelle à l'encontre de sa sécurité et de sa liberté. Ces exceptions ne font qu'éclairer sous un jour plus vif les raisons de cette règle ; parce qu'elles ne dépendent pas d'un défaut de ces raisons, mais de conditions qui leurs sont supérieures, et qui découlent d'un principe différent.