« Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/53 » : différence entre les versions

ThomasBot (discussion | contributions)
m Maltaper: split
 
Lupo2 (discussion | contributions)
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page non corrigée
+
Page corrigée
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr||{{sc|deuxième soirée.}}|41}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
d’échapper à la justice que je croyais déjà voir à mes trousses ; car nous nous étions battus sans témoins, et je pouvais aisément passer pour un assassin. Je détalai donc dans la montagne au plus vite, sans m’inquiéter d’Annette ni d’Agathe. Je fus guéri à l’instant même de ma passion pour elles, comme elles m’avaient guéri de ma vocation pour la théologie. Ce qui me démontra clairement que, pour moi, l’amour des femmes est à l’amour de Dieu comme l’amour de la vie est à celui des femmes, et que le meilleur parti à prendre pour oublier deux maîtresses, c’est d’envoyer une balle dans l’œil gauche du premier venu de leurs amants. Si jamais vous avez un double amour comme le mien, et qu’il vous incommode, je vous recommande mon procédé. »
{{tiret2|é|chapper}} à la justice que je croyais déjà voir à mes trousses ; car nous nous étions battus sans témoins, et je pouvais aisément passer pour un assassin. Je détalai donc dans la montagne au plus vite, sans m’inquiéter d’Annette ni d’Agathe. Je fus guéri à l’instant même de ma passion pour elles, comme elles m’avaient guéri de ma vocation pour la théologie. Ce qui me démontra clairement que, pour moi, l’amour des femmes est à l’amour de Dieu comme l’amour de la vie est à celui des femmes, et que le meilleur parti à prendre pour oublier deux maîtresses, c’est d’envoyer une balle dans l’œil gauche du premier venu de leurs amants. Si jamais vous avez un double amour comme le mien, et qu’il vous incommode, je vous recommande mon procédé. »


Je vis que mon homme commençait à s’exalter, il mordait sa lèvre inférieure en parlant, et riait sans bruit d’une façon étrange. « Vous êtes fatigué, lui dis-je, si nous allions dehors fumer un cigare, vous pourriez plus aisément tout à l’heure reprendre et achever votre récit. — Volontiers, dit-il. » Alors s’approchant de sa harpe, il joua d’une main le thème entier de la Fée Mab, qui parut lui rendre sa bonne humeur, et nous sortîmes, moi, grommelant à part : Quel drôle d’homme ! et lui : Quel drôle de morceau !…
Je vis que mon homme commençait à s’exalter, il mordait sa lèvre inférieure en parlant, et riait sans bruit d’une façon étrange. « Vous êtes fatigué, lui dis-je, si nous allions dehors fumer un cigare, vous pourriez plus aisément tout à l’heure reprendre et achever votre récit. — Volontiers, dit-il. » Alors s’approchant de sa harpe, il joua d’une main le thème entier de ''la Fée Mab,'' qui parut lui rendre sa bonne humeur, et nous sortîmes, moi, grommelant à part : Quel drôle d’homme ! et lui : Quel drôle de morceau !…


« Je vécus pendant quelques jours dans les montagnes, reprit en rentrant mon original ; le produit de ma chasse me suffisait ordinairement, et les paysans, d’ailleurs, ne refusent jamais au chasseur un morceau de pain. J’arrivai enfin à Vienne, où je vendis, bien à contre-cœur, ma fidèle carabine pour acheter cette harpe dont j’avais besoin pour gagner ma vie. A partir de ce jour, j’embrassai l’état de mon père, je fus musicien ambulant. J’allais sur les places publiques, dans les rues, sous les fenêtres surtout des gens que je connaissais pour n’avoir point le sentiment de la musique ; je les obsédais avec mes mélodies sauvages, et ils me jetaient toujours quelque monnaie pour se débarrasser de moi. J’ai reçu ainsi bien de l’argent de M. le conseiller K***, de madame la baronne C***, du baron S***, et de vingt autres Midas habitués de l’Opéra italien. Un artiste viennois, avec qui je m’étais lié,
« Je vécus pendant quelques jours dans les montagnes, reprit en rentrant mon original ; le produit de ma chasse me suffisait ordinairement, et les paysans, d’ailleurs, ne refusent jamais au chasseur un morceau de pain. J’arrivai enfin à Vienne, où je vendis, bien à contre-cœur, ma fidèle carabine pour acheter cette harpe dont j’avais besoin pour gagner ma vie. À partir de ce jour, j’embrassai l’état de mon père, je fus musicien ambulant. J’allais sur les places publiques, dans les rues, sous les fenêtres surtout des gens que je connaissais pour n’avoir point le sentiment de la musique ; je les obsédais avec mes mélodies sauvages, et ils me jetaient toujours quelque monnaie pour se débarrasser de moi. J’ai reçu ainsi bien de l’argent de M. le conseiller K***, de madame la baronne C***, du baron S***, et de vingt autres Midas habitués de l’Opéra italien. Un artiste viennois, avec qui je m’étais lié, m’{{tiret|a|vait}}