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m’imaginais voir Napoléon, dont mon père m’avait si souvent raconté l’étonnante histoire ; je me croyais dans l’île où il est mort, je voyais sa garde immobile autour de lui ; puis c’était la sainte Vierge et sainte Madeleine et notre Seigneur Jésus-Christ dans une église immense, le jour de Pâques : d’autres fois, il me semblait être isolé bien haut dans l’air et que le monde entier avait disparu ; ou bien, je sentais des chagrins horribles, comme si j’eusse perdu des êtres infiniment chers, et je m’arrachais les cheveux, je sanglotais en me roulant à terre. Je ne puis exprimer la centième partie de ce que j’éprouvais. Ce fut pendant une de ces scènes de poétique désespoir que je fus rencontré un jour par des chasseurs du pays. En voyant mes larmes, mon air égaré, les cordes de ma harpe en partie détendues, ils me crurent devenu fou et bon gré mal gré me ramenèrent chez mon père. Lui, qui depuis quelque temps s’était imaginé, d’après mes façons d’être et mon inexplicable exaltation, que je buvais de l’eau-de-vie (qu’il m’eût fallu voler alors, car je ne pouvais la payer), n’adopta point leur idée. Persuadé que j’étais allé m’enivrer quelque part, il me roua de coups et me tint enfermé au pain et à l’eau pendant deux jours. Je supportai cette injuste punition sans rien vouloir dire pour me disculper ; je sentais qu’on n’eût point cru ni compris la vérité. D’ailleurs, il me répugnait de mettre qui que ce fût dans ma confidence ; j’avais découvert un monde idéal et sacré, et je ne voulais en dévoiler le mystère à personne. M. le curé, un brave homme dont je ne vous ai rien dit encore, avait, au sujet de mes extases, une tout autre manière de voir. « Ce sont peut-être, disait-il, des visitations de l’esprit céleste. Cet enfant est sans doute destiné à devenir un grand saint. »
{{tiret2|i|maginais}} voir Napoléon, dont mon père m’avait si souvent raconté l’étonnante histoire ; je me croyais dans l’île où il est mort, je voyais sa garde immobile autour de lui ; puis c’était la sainte Vierge et sainte Madeleine et notre Seigneur Jésus-Christ dans une église immense, le jour de Pâques ; d’autres fois, il me semblait être isolé bien haut dans l’air et que le monde entier avait disparu ; ou bien, je sentais des chagrins horribles, comme si j’eusse perdu des êtres infiniment chers, et je m’arrachais les cheveux, je sanglotais en me roulant à terre. Je ne puis exprimer la centième partie de ce que j’éprouvais. Ce fut pendant une de ces scènes de poétique désespoir que je fus rencontré un jour par des chasseurs du pays. En voyant mes larmes, mon air égaré, les cordes de ma harpe en partie détendues, ils me crurent devenu fou et bon gré mal gré me ramenèrent chez mon père. Lui, qui depuis quelque temps s’était imaginé, d’après mes façons d’être et mon inexplicable exaltation, que je buvais de l’eau-de-vie (qu’il m’eût fallu voler alors, car je ne pouvais la payer), n’adopta point leur idée. Persuadé que j’étais allé m’enivrer quelque part, il me roua de coups et me tint enfermé au pain et à l’eau pendant deux jours. Je supportai cette injuste punition sans rien vouloir dire pour me disculper ; je sentais qu’on n’eût point cru ni compris la vérité. D’ailleurs, il me répugnait de mettre qui que ce fût dans ma confidence ; j’avais découvert un monde idéal et sacré, et je ne voulais en dévoiler le mystère à personne. M. le curé, un brave homme dont je ne vous ai rien dit encore, avait, au sujet de mes extases, une tout autre manière de voir. « Ce sont peut-être, disait-il, des visitations de l’esprit céleste. Cet enfant est sans doute destiné à devenir un grand saint. »


L’époque de ma première communion arriva et mes visions harmoniques devinrent plus fréquentes en augmentant d’intensité. Mon père alors commença à perdre la mauvaise opinion qu’il avait conçue de moi et à penser, lui aussi, que j’étais fou. M. le curé, au contraire, persistant dans la sienne me demanda si je n’avais jamais songé à être prêtre. « Non, monsieur, répondis-je, mais j’y songe maintenant, et il me semble que je serais bien heureux d’embrasser ce saint état. »
L’époque de ma première communion arriva et mes visions harmoniques devinrent plus fréquentes en augmentant d’intensité. Mon père alors commença à perdre la mauvaise opinion qu’il avait conçue de moi et à penser, lui aussi, que j’étais fou. M. le curé, au contraire, persistant dans la sienne, me demanda si je n’avais jamais songé à être prêtre. « Non, monsieur, répondis-je, mais j’y songe maintenant, et il me semble que je serais bien heureux d’embrasser ce saint état. »