« Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/30 » : différence entre les versions

ThomasBot (discussion | contributions)
m Maltaper: split
 
Lupo2 (discussion | contributions)
Aucun résumé des modifications
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{nr|18|{{sc|les soirées de l’orchestre.}}|}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
aboyer sur ma trace, que, sans un grand ouvrage récemment entrepris, dont j’espère plus d’honneur que de tous mes précédents travaux, je serais déjà sur la route d’Italie.
aboyer sur ma trace, que, sans un grand ouvrage récemment entrepris, dont j’espère plus d’honneur que de tous mes précédents travaux, je serais déjà sur la route d’Italie.


Va, va, j’ai connu tous les genres de maux que le sort puisse infliger à l’artiste. Et je vis encore, cependant. Et ma vie glorieuse fait le tourment de mes ennemis. Et je l’avais prévu. Et maintenant je puis les abîmer dans mon mépris. Cette vengeance marche à pas lents, il est vrai, mais pour l’homme inspiré, sûr de lui-même, patient et fort, elle est certaine. Songe, Alfonso, que j’ai été insulté plus de mille fois, et que je n’ai tué que sept ou huit hommes ; et quels hommes ! je rougis d’y penser. La vengeance directe et personnelle est un fruit rare, qu’il n’est pas donné à tous de cueillir. Je n’ai eu raison ni de Clément VII, ni de Paul III, ni de Cornaro, ni de Côme, ni de madame d’Étampes, ni de cent autres lâches puissants ; comment donc te vengerais-tu, toi, de ce même Côme, de ce grand-duc, de ce Mécène ridicule qui ne comprend pas plus ta musique que ma sculpture, et qui nous a si platement offensés tous les deux ? Ne pense pas à le tuer, au moins ; ce serait une insigne folie, dont les conséquences ne sont pas douteuses. Deviens un grand musicien, que ton nom soit illustre, et si quelque jour sa sotte vanité le portait à t’offrir ses faveurs, repousse-les, n’accepte jamais rien de lui et ne fais jamais rien pour lui. C’est le conseil que je te donne ; c’est la promesse que j’exige de toi ; et, crois-en mon expérience, c’est aussi, cette fois, l’unique vengeance qui soit à ta portée.
Va, va, j’ai connu tous les genres de maux que le sort puisse infliger à l’artiste. Et je vis encore, cependant. Et ma vie glorieuse fait le tourment de mes ennemis. Et je l’avais prévu. Et maintenant je puis les abîmer dans mon mépris. Cette vengeance marche à pas lents, il est vrai, mais pour l’homme inspiré, sûr de lui-même, patient et fort, elle est certaine. Songe, Alfonso, que j’ai été insulté plus de mille fois, et que je n’ai tué que sept ou huit hommes ; et quels hommes ! je rougis d’y penser. La vengeance directe et personnelle est un fruit rare, qu’il n’est pas donné à tous de cueillir. Je n’ai eu raison ni de Clément {{rom|VII}}, ni de Paul {{rom|III}}, ni de Cornaro, ni de Côme, ni de madame d’Étampes, ni de cent autres lâches puissants ; comment donc te vengerais-tu, toi, de ce même Côme, de ce grand-duc, de ce Mécène ridicule qui ne comprend pas plus ta musique que ma sculpture, et qui nous a si platement offensés tous les deux ? Ne pense pas à le tuer, au moins ; ce serait une insigne folie, dont les conséquences ne sont pas douteuses. Deviens un grand musicien, que ton nom soit illustre, et si quelque jour sa sotte vanité le portait à t’offrir ses faveurs, repousse-les, n’accepte jamais rien de lui et ne fais jamais rien pour lui. C’est le conseil que je te donne ; c’est la promesse que j’exige de toi ; et, crois-en mon expérience, c’est aussi, cette fois, l’unique vengeance qui soit à ta portée.


Je t’ai dit tout à l’heure que le roi de France, plus généreux et plus noble que nos souverains italiens, m’avait enrichi ; c’est donc à moi, artiste, qui t’aime, te comprends et t’admire, à tenir la parole du prince sans esprit et sans cœur qui te méconnaît. Je t’envoie dix mille écus. Avec cette somme tu pourras, je pense, parvenir à monter dignement ton drame en musique ; ne perds pas un instant. Que ce soit à Rome, à Naples, à Milan, à Ferrare, partout, excepté à Florence ; il ne faut pas qu’un seul rayon de ta gloire puisse se refléter sur le grand-duc. Adieu, cher enfant, la vengeance
Je t’ai dit tout à l’heure que le roi de France, plus généreux et plus noble que nos souverains italiens, m’avait enrichi ; c’est donc à moi, artiste, qui t’aime, te comprends et t’admire, à tenir la parole du prince sans esprit et sans cœur qui te méconnaît. Je t’envoie dix mille écus. Avec cette somme tu pourras, je pense, parvenir à monter dignement ton drame en musique ; ne perds pas un instant. Que ce soit à Rome, à Naples, à Milan, à Ferrare, partout, excepté à Florence ; il ne faut pas qu’un seul rayon de ta gloire puisse se refléter sur le grand-duc. Adieu, cher enfant, la vengeance