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avait été envahie inopinément le 30 janvier par plusieurs divisions en désordre qui l’encombrèrent de malades et de mourans. Pontarlier manquait de tout ; il n’y avait ni pain, ni fourrages. Cependant les Prussiens, quatre ou cinq jours après, pour remercier les habitans qui les avaient accueillis en amis, requirent 15,000 kilogrammes de pain et 40,000 kilogrammes d’avoine pour chaque jour, plus 30,000 kilogrammes de café et 20,000 kilogrammes de sel, plus 10,000 francs en argent le premier jour, et le lendemain 80,000. Ils requirent tout cela, et ils l’eurent, là où les Français qui étaient venus les premiers n’avaient rien trouvé <ref> Il n’est pas sans utilité de marquer les traits pareils. Dans plusieurs endroits de France, les paysans furent très durs pour nos troupes. Nous avons vu passer entre le Jura et la frontière suisse quelques débris sauvés de l’armée de l’est. On leur envoyait des cantons voisins des secours de toute espèce ; mais le pays même, un pays français, refusait tout. Des soldats affamés prièrent l’aubergiste d’un hameau de leur prêter une marmite pour faire leur soupe ; l’aubergiste leur demanda cinq sous ! Un officier interné nous disait : « On nous a fait payer 3 francs chez nous 10 kilogrammes de paille, et nous étions dans la neige par 15 degrés de froid depuis trois jours : 1,500 hommes de notre division avaient eu un ou plusieurs membres gelés dans une seule nuit ! »</ref>. À Pontarlier, le 30 janvier on croyait à l’armistice ; on y croyait même en Suisse. Aussi le général Herzog avait-il donné l’ordre de ne laisser entrer pendant la trêve aucun soldat français, même désarmé, et il songeait à licencier la plus grande partie de ses troupes, quand tout à coup le bruit du canon, tonnant à la frontière, lui apprit que les hostilités duraient toujours. En effet, les Prussiens arrivaient en nombre, comme de coutume, serrant toujours plus leur cercle de canons. Pour mettre à profit le malentendu, ils refusèrent même une suspension d’armes de trente-six heures. Ce fut alors que le général Clinchant, ne voulant « livrer à l’ennemi ni un homme, ni un canon, » annonça sa résolution de demander asile à la neutralité suisse. On peut se figurer l’embarras du général Herzog, qui, pris au dépourvu par cette invasion imminente, n’avait pas assez de forces pour endiguer le torrent. Il courut en toute hâte à Verrières, l’extrême village suisse du côté de Pontarlier, et il y arriva dans la nuit du 31, deux ou trois heures avant l’officier envoyé par le général français pour négocier les conditions du passage de l’armée en Suisse ; cet officier, enfiévré d’impatience, suppliait de faire vite, car les Prussiens arrivaient. La convention fut conclue, écrite à trois exemplaires, signée séance tenante, aux chandelles, vers quatre heures et demie du matin. Il fut stipulé que l’armée française déposerait en entrant ses armes, équipemens et munitions, qui seraient restitués après la paix et le remboursement des dépenses, — que les chevaux, armes et effets des officiers seraient laissés à leur disposition, — que des instructions ultérieures seraient données
avait été envahie inopinément le 30 janvier par plusieurs divisions
en désordre qui l’encombrèrent de malades et de mourans. Pontarlier
manquait de tout ; il n’y avait ni pain, ni fourrages. Cependant
les Prussiens, quatre ou cinq jours après, pour remercier les
habitans qui les avaient accueillis en amis, requirent 15,000 kilogrammes
de pain et 40,000 kilogrammes d’avoine pour chaque jour,
plus 30,000 kilogrammes de café et 20,000 kilogrammes de sel,
plus 10,000 francs en argent le premier jour, et le lendemain
80,000. Ils requirent tout cela, et ils l’eurent, là où les Français
qui étaient venus les premiers n’avaient rien trouvé <ref> Il n’est pas sans utilité de marquer les traits pareils. Dans plusieurs endroits de France, les paysans furent très durs pour nos troupes. Nous avons vu passer entre le Jura et la frontière suisse quelques débris sauvés de l’armée de l’est. On leur envoyait des cantons voisins des secours de toute espèce ; mais le pays même, un pays français, refusait tout. Des soldats affamés prièrent l’aubergiste d’un hameau do leur prêter une marmite pour faire leur soupe ; l’aubergiste leur demanda cinq sous ! Un officier interné nous disait : « On nous a fait payer 3 francs chez nous 10 kilogrammes de paille, et nous étions dans la neige par 15 degrés de froid depuis trois jours : 1,500 hommes de notre division avaient eu un ou plusieurs membres gelés dans une seule nuit ! »</ref>. À Pontarlier,
le 30 janvier on croyait à l’armistice ; on y croyait même en
Suisse. Aussi le général Herzog avait-il donné l’ordre de ne laisser
entrer pendant la trêve aucun soldat français, même désarmé,
et il songeait à licencier la plus grande partie de ses troupes, quand
tout à coup le bruit du canon, tonnant à la frontière, lui apprit que
les hostilités duraient toujours. En effet, les Prussiens arrivaient en
nombre, comme de coutume, serrant toujours plus leur cercle de
canons. Pour mettre à profit le malentendu, ils refusèrent même une
suspension d’armes de trente-six heures. Ce fut alors que le général
Clinchant, ne voulant « livrer à l’ennemi ni un homme, ni un canon, »
annonça sa résolution de demander asile à la neutralité suisse. On
peut se figurer l’embarras du général Herzog, qui, pris au dépourvu
par cette invasion imminente, n’avait pas assez de forces pour endiguer
le torrent. Il courut en toute hâte à Verrières, l’extrême
village suisse du côté de Pontarlier, et il y arriva dans la nuit du
31, deux ou trois heures avant l’officier envoyé par le général
français pour négocier les conditions du passage de l’armée en
Suisse ; cet officier, enfiévré d’impatience, suppliait de faire vite,
car les Prussiens arrivaient. La convention fut conclue, écrite à trois
exemplaires, signée séance tenante, aux chandelles, vers quatre
heures et demie du matin. Il fut stipulé que l’armée française
déposerait en entrant ses armes, équipemens et munitions, qui
seraient restitués après la paix et le remboursement des dépenses,
— que les chevaux, armes et effets des officiers seraient laissés
à leur disposition, — que des instructions ultérieures seraient données