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par le plus âpre des hivers. Ce n’était pas tout, et sa neutralité lui
par le plus âpre des hivers. Ce n’était pas tout, et sa neutralité lui imposait des devoirs plus difficiles, plus délicats que les obligations militaires : entre les puissans voisins qui s’étaient rués l’un sur l’autre, elle devait tenir la balance égale et rester la fidèle amie de tous les deux.
imposait des devoirs plus difficiles, plus délicats que les obligations
militaires : entre les puissans voisins qui s’étaient rués l’un
sur l’autre, elle devait tenir la balance égale et rester la fidèle
amie de tous les deux.


C’était une rude besogne. Chacun des deux ennemis se disait lésé par le bien qu’on faisait à l’autre, et s’en plaignait avec une certaine aigreur. Les deux diplomaties multipliaient leurs visites au palais fédéral, et chaque visite était une réclamation polie, faite avec un sourire mince. Puis la guerre s’exaspérait, dynastique d’abord, bientôt politique, nationale, religieuse, une guerre de race, de sang. Or la confédération helvétique, pays mixte s’il en fut, parlant les deux langues et professant les deux religions, devait être particulièrement agitée par ces tempêtes. Un simple conflit entre deux souverains l’aurait médiocrement intéressée ; mais lorsqu’on découvrit sous cette querelle d’Allemand des haines séculaires, des vengeances longuement préparées, des ambitions patiemment contenues, et qui éclataient tout à coup avec une insatiable férocité, quand on s’aperçut que c’étaient bien deux nations aux prises, deux civilisations, deux providences, et que surtout on vit d’un côté la république, de l’autre le saint-empire romain, alors tous les citoyens des vingt-deux cantons prirent parti dans la lutte. Il y eut dans toutes les maisons des discussions violentes qui divisèrent souvent les familles : seulement les belligérant ne furent point soutenus par ceux qui semblaient devoir être leurs alliés naturels. Les cantons allemands en général montrèrent plus de sympathie pour la France, tandis que le roi Guillaume était porté aux nues dans certains cantons français. C’est qu’en un temps où la politique est devenue une question de philologie, les gros voisins sont toujours un peu suspects aux petits dont ils parlent la langue, et Bâle a peur de Berlin comme Genève a peur de Paris. Ces discussions agitèrent naturellement les journaux, qui se firent français ou prussiens selon leur paroisse, et soulevèrent bien des récriminations contre eux et contre leur pays parmi les combattans. Nos républicains s’étonnaient que la Suisse ne volât pas au secours de la France ; les Allemands ne comprenaient pas que leurs triomphes ne fissent aucun plaisir aux enfans de Guillaume Tell. La presse badoise fut particulièrement désagréable ; il est vrai que les Badois n’étaient pas plus aimés à Bâle qu’à Strasbourg et servaient trop souvent de plastron aux beaux esprits des frontières, si bien qu’un jour, quand ce voisin, dont on s’était exagéré la bonhomie, se trouva par aventure non plus du côté qui recevait les coups, mais du côté qui les donnait, il devint terrible. Dans ses journaux, il demanda la Suisse, ou tout au moins Schaffhouse, « pour sa sécurité. » On le releva vertement.
C’était une rude besogne. Chacun des deux ennemis se disait
lésé par le bien qu’on faisait à l’autre, et s’en plaignait avec une
certaine aigreur. Les deux diplomaties multipliaient leurs visites
au palais fédéral, et chaque visite était une réclamation polie, faite
avec un sourire mince. Puis la guerre s’exaspérait, dynastique
d’abord, bientôt politique, nationale, religieuse, une guerre de race,
de sang. Or la confédération helvétique, pays mixte s’il en fut, parlant
les deux langues et professant les deux religions, devait être
particulièrement agitée par ces tempêtes. Un simple conflit entre
deux souverains l’aurait médiocrement intéressée ; mais lorsqu’on
découvrit sous cette querelle d’Allemand des haines séculaires, des
vengeances longuement préparées, des ambitions patiemment contenues,
et qui éclataient tout à coup avec une insatiable férocité,
quand on s’aperçut que c’étaient bien deux nations aux prises, deux
civilisations, deux providences, et que surtout on vit d’un côté la
république, de l’autre le saint-empire romain, alors tous les citoyens
des vingt-deux cantons prirent parti dans la lutte. Il y eut
dans toutes les maisons des discussions violentes qui divisèrent
souvent les familles : seulement les belligérant ne furent point soutenus
par ceux qui semblaient devoir être leurs alliés naturels. Les
cantons allemands en général montrèrent plus de sympathie pour
la France, tandis que le roi Guillaume était porté aux nues dans
certains cantons français. C’est qu’en un temps où la politique est
devenue une question de philologie, les gros voisins sont toujours
un peu suspects aux petits dont ils parlent la langue, et Bâle a peur
de Berlin comme Genève a peur de Paris. Ces discussions agitèrent
naturellement les journaux, qui se firent français ou prussiens selon
leur paroisse, et soulevèrent bien des récriminations contre eux et
contre leur pays parmi les combattans. Nos républicains s’étonnaient
que la Suisse ne volât pas au secours de la France ; les Allemands
ne comprenaient pas que leurs triomphes ne fissent aucun
plaisir aux enfans de Guillaume Tell. La presse badoise fut particulièrement
désagréable ; il est vrai que les Badois n’étaient pas plus
aimés à Bâle qu’à Strasbourg et servaient trop souvent de plastron
aux beaux esprits des frontières, si bien qu’un jour, quand ce voisin,
dont on s’était exagéré la bonhomie, se trouva par aventure non
plus du côté qui recevait les coups, mais du côté qui les donnait,
il devint terrible. Dans ses journaux, il demanda la Suisse, ou tout
au moins Schaffhouse, « pour sa sécurité. » On le releva vertement.