« La Main gauche (Ollendorff, 1899)/Le Lapin » : différence entre les versions

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{{indentation}}Maître Lecacheur apparut sur la porte de sa maison, à l’heure ordinaire, entre cinq heures et cinq heures un quart du matin, pour surveiller ses gens qui se mettaient au travail.
 
Rouge, mal éveillé, l’œil droit ouvert, l’œil gauche presque fermé, il boutonnait avec peine ses bretelles sur son gros ventre, tout en surveillant, d’un regard entendu et circulaire, tous les coins connus de sa
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ferme. Le soleil coulait ses rayons obliques à travers les hêtres du fossé et les pommiers ronds de la cour, faisait chanter les coqs sur le fumier et roucouler les pigeons sur le toit. La senteur de l’étable s’envolait par la porte ouverte et se mêlait, dans l’air frais du matin, à l’odeur âcre de l’écurie où hennissaient les chevaux, la tête tournée vers la lumière.
 
Dès que son pantalon fut soutenu solidement, maître Lecacheur se mit en route, allant d’abord vers le poulailler, pour compter les œufs du matin, car il craignait des maraudes depuis quelque temps.
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– Un lapin ?
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– Oui, maît’Cacheux, l’gros gris, celui de la cage à draite.
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Maître Lecacheur était maire de sa commune, Pavigny-le-Gras, et commandait en maître, vu son argent et sa position.
 
Dès que la bonne eut disparu, en courant vers le village, distant d’un {{tiret|demi|-kilomètre,}}
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{{tiret2|demi-|kilomètre,}} le paysan rentra chez lui, pour boire son café et causer de la chose avec sa femme.
 
Il la trouva soufflant le feu avec sa bouche, à genoux devant le foyer.
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C’était une petite femme maigre et vive, propre, entendue à tous les soins de l’exploitation.
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Lecacheur avait son idée.
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– J’ai envéyé quéri les gendarmes.
 
Ce Polyte était un homme de peine employé pendant quelques jours dans la ferme et congédié par Lecacheur après une réponse insolente. Ancien soldat, il passait pour avoir gardé de ses campagnes
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en Afrique des habitudes de maraude et de libertinage. Il faisait, pour vivre, tous les métiers. Maçon, terrassier, charretier, faucheur, casseur de pierres, ébrancheur, il était surtout fainéant ; aussi ne le gardait-on nulle part et devait-il par moments changer de canton pour trouver encore du travail.
 
Dès le premier jour de son entrée à la ferme, la femme de Lecacheur l’avait détesté ; et maintenant elle était sûre que le vol avait été commis par lui.
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Au bout d’une demi-heure environ, les deux gendarmes arrivèrent. Le brigadier Sénateur était très haut et maigre, le gendarme Lenient, gros et court.
 
Lecacheur les fit asseoir, et leur raconta la chose. Puis on alla voir le lieu du méfait afin de constater le bris de la cabine et de recueillir toutes les preuves. Lorsqu’on
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fut rentré dans la cuisine, la maîtresse apporta du vin, emplit les verres et demanda avec un défi dans l’œil :
 
– L’prendrez-vous, c’ti-là ?
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– Pour l’connaître, non, je l’connais point, vu que j’l’ai pas vu vôler. Si j’l’avais vu, j’y aurais fait manger tout cru, poil et chair, sans un coup d’cidre pour l’faire passer. Pour lors, pour dire qui c’est, je l’dirai point, nonobstant, que j’crais qu’c’est çu propre à rien de Polyte.
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Alors il expliqua longuement ses histoires avec Polyte, le départ de ce valet, son mauvais regard, des propos rapportés, accumulant des preuves insignifiantes et minutieuses.
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Le gendarme sourit et répondit par trois signes de tête.
 
Alors, Mme Lecacheur se rapprocha, et tout doucement, avec des ruses de paysanne, interrogea à son tour le brigadier. Ce berger, Severin, un simple, une sorte de brute, élevé, dans un parc à moutons, ayant grandi sur les côtes au milieu
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de ses bêtes trottantes et bêlantes, ne connaissant guère qu’elles au monde, avait cependant conservé au fond de l’âme l’instinct d’épargne du paysan. Certes, il avait dû cacher, pendant des années et des années, dans des creux d’arbre ou des trous de rocher tout ce qu’il gagnait d’argent, soit en gardant les troupeaux, soit en guérissant, par des attouchements et des paroles, les entorses des animaux (car le secret des rebouteux lui avait été transmis par un vieux berger qu’il avait remplacé). Or, un jour, il acheta, en vente publique, un petit bien, masure et champ, d’une valeur de trois mille francs.
 
Quelques mois plus tard, on apprit qu’il se mariait. Il épousait une servante connue pour ses mauvaises mœurs, la bonne du cabaretier. Les gars racontaient que cette fille, le sachant aisé, l’avait été trouver{{tiret|trou|ver}}
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{{tiret2|trou|ver}} chaque nuit, dans sa hutte, et l’avait pris, l’avait conquis, l’avait conduit au mariage, peu à peu, de soir en soir.
 
Puis, ayant passé par la mairie et par l’église, elle habitait maintenant la maison achetée par son homme, tandis qu’il continuait à garder ses troupeaux, nuit et jour, à travers les plaines.
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– C’est elle, j’en suis sûre. Allez-y. Ah ! les bougres de voleux !
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Mais le brigadier ne s’émut pas :
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Midi venait de sonner, quand le brigadier Sénateur, suivi de son homme, frappa trois coups légers à la porte d’une petite maison isolée, plantée au coin d’un bois, à cinq cents mètres du village.
 
Ils s’étaient collés contre le mur afin de n’être pas vus du dedans ; et ils attendirent. Au bout d’une minute ou deux, comme personne ne répondait, le brigadier frappa de nouveau. Le logis semblait
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inhabité tant il était silencieux, mais le gendarme Lenient, qui avait l’oreille fine, annonça qu’on remuait à l’intérieur.
 
Alors Sénateur se fâcha. Il n’admettait point qu’on résistât une seconde à l’autorité et, heurtant le mur du pommeau de son sabre, il cria :
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Il entra.
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– Je viens vous rendre visite, rapport à une petite enquête, dit-il.
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Le brigadier s’était assis et s’essuyait le front avec sérénité.
 
– Allons, allons, la patronne, vous ne
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nous ferez pas accroire que vous vous nourrissiez de chiendent. Que mangiez-vous, là, toute seule, pour votre dîner ?
 
– Mé, rien de rien, j’vous jure. Un p’tieu d’beurre su l’pain.
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– Ous’qu’il est vot’beurre ?
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– Mon beurre ?
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– C’est pas l’même. Il me faut l’beurre qui sent le lapin sauté. Allons, Lenient, ouvrons l’œil ; vois su l’buffet, mon garçon ; mé j’vas guetter sous le lit.
 
Ayant donc fermé la porte, il s’approcha du lit et le voulut tirer ; mais le lit tenait au mur, n’ayant pas été déplacé depuis plus d’un demi-siècle apparemment. Alors
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le brigadier se pencha, et fit craquer son uniforme. Un bouton venait de sauter.
 
– Lenient, dit-il ?
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– L’voleux ! Amène, amène !
 
Les deux bras du gendarme allongés
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sous le lit avaient appréhendé quelque chose, et il tirait de toute sa force. Un pied, chaussé d’un gros soulier, parut enfin, qu’il tenait de sa main droite.
 
Le brigadier le saisit : « Hardi ! hardi ! tire ! »
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– Tire ! criait toujours le brigadier.
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Alors un bruit bizarre se fit entendre ; et, comme les bras s’en venaient à la suite des épaules, les mains se montrèrent à la suite des bras et, dans les mains, la queue d’une casserole, et, au bout de la queue, la casserole elle-même, qui contenait un lapin sauté.
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Alors les gendarmes rentrèrent en triomphe au village avec le prisonnier et leurs trouvailles.
 
Huit jours plus tard, la chose ayant fait grand bruit, maître Lecacheur, en entrant à la mairie pour y conférer avec le maître
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d’école, apprit que le berger Severin l’y attendait depuis une heure.
 
L’homme était assis sur une chaise, dans un coin, son bâton entre les jambes. En apercevant le maire, il se leva, ôta son bonnet, salua d’un :
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– Ben, ben. C’est-i véridique itou qu’on l’a trouvé sous mon lit ?
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– Qui ça, le lapin ?
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– Comment, de coucher avec Polyte ?
 
– Oui, c’est-i son drait, vu la loi, et pi vu qu’alle est ma femme, de coucher avec Polyte ?
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pi vu qu’alle est ma femme, de coucher avec Polyte ?
 
– Mais non, mais non, c’est pas son droit.
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– C’est ben, pour lors. J’vas vous dire. Eune nuit, vu qu’j’avais d’z’idées, j’rentrai, l’aute semaine, et j’les y trouvai, qu’i n’étaient point dos à dos. J’foutis Polyte coucher dehors ; mais c’est tout, vu que je savais point mon drait. C’te fois-ci, j’les vis point. Je l’sais par l’s autres. C’est fini, n’en parlons pu. Mais si j’les r’pince… nom d’un nom, si j’les r’pince. Je leur ferai passer l’goût d’la rigolade, maît’Cacheux, aussi vrai que je m’nomme Severin…
 
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