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comme un René, à un désespoir complaisant. Il lutte, il essaye de se reprendre à quelque vérité, sans y réussir quand fort à propos, en janvier 1795, il lui arrive deux événemens heureux, qui vont le mettre sur le chemin de la guérison : il trouve, grâce à un legs modeste, l’indépendance ; et il se réunit à sa sœur.

Dorothée Wordsworth a été l’une des deux Providences du poète : l’autre a été Coleridge. Vive, ardente, un peu masculine d’allures, d’esprit remarquablement ouvert, elle dégageait dans toute sa personne, au dire de Thomas de Quincey, « une subtile flamme d’intelligence passionnée. » Elle fut pour son frère, qu’elle ne devait plus quitter, mieux qu’une compagne dévouée : elle fut une conseillère, une façon de muse domestique, d’ange du foyer. Son premier mérite fut de décider que ce frère serait un grand poète, — et il le devint.

Elle commence par le réconcilier avec la Nature. A Racedown, où ils s’installent d’abord, puis à Alfoxden, elle le rapproche de cette source d’apaisement. Elle lui rapprend, — ce qu’il a oublié dans le commerce des hommes, — à ouvrir les yeux : « L’univers visible, dit-il, était tombé sous la domination d’un goût moins spirituel ; je l’examinais au microscope comme le monde moral. » Grave erreur, que de se poser en critique et en juge : « Même quand j’en jouissais, j’en jouissais mal, approuvant ici et désapprouvant là ; appliquant les règles de l’art d’imitation à des choses qui sont au-dessus de l’art… insensible au caractère de l’heure et de la saison, au pouvoir moral, aux affections et à l’esprit des lieux. » Maintenant il s’applique, comme à une tâche sainte, à « endormir ses facultés intérieures ». Il renonce aux vaines curiosités. Il mène avec Dorothée une vie toute pastorale, se nourrissant de laitage et de verdure, et faisant à pied jusqu’à seize lieues par jour. C’est une véritable cure morale, poursuivie avec méthode et esprit de suite, à l’anglaise. « Sa vie baigne dans la nature », dit très bien M. Legouis : ce bain merveilleux a toujours purifié Wordsworth de toutes les souillures. Mais à combien d’autres eût-il réussi de même ?

Nous avons un curieux journal, tenu par Dorothée, de cette existence presque végétative, qui a produit la sève nourricière de la poésie de Wordsworth ! Cela est tout en impressions, en notations précises de phénomènes naturels. — Impressions du 3 février 1798 : « Allée sur les collines. La mer d’abord obscurcie par une vapeur ; cette vapeur glissa ensuite en une seule masse peu haute le long du rivage de la mer ; les îles et une pointe de terre distinctement aperçues au-delà de cette vapeur. Le lointain du paysage (qui était pourpre dans la terne clarté de l’air), surplombé de nuages épars