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pu aller à l’encontre. » Il perd sa place, ainsi qu’il s’y attendait, et ne se repent de rien, car il a agi selon sa notion, juste ou fausse, du bien et du mal.

Cependant Jude et Phillotson divorcèrent. Le mal causé par des arrangemens sociaux fautifs se trouva défait. Leur sort à tous était remis à nouveau entre leurs mains, en face d’une société qui se montrait, en somme, débonnaire. Riches d’expérience, il dépendait d’eux de se refaire une vie en accord avec leurs principes. Pour Phillotson et Arabelle, ce fut très simple, car ils ne s’étaient pas détachés sincèrement du passé. L’un avait été faible, l’autre débauchée, mais ni l’un ni l’autre ne s’admiraient d’en être arrivés où ils en étaient. Phillotson se cacha dans un coin, résolu à ne plus jamais avoir affaire aux femmes, autant qu’il dépendrait de lui. Arabelle, toujours plus convaincue que les hommes ont besoin d’être liés, travailla de tout son cœur à rentrer dans la correction par un second mariage.

Restaient Jude et Sue. Jude aurait volontiers tiré sa révérence à « l’esprit nouveau » et épousé sa cousine. Le vieux mariage légal lui paraissait très acceptable avec elle. Mais Sue : « Je n’ai pas changé, moi. J’ai toujours la même terreur qu’un contrat rigide ne tue votre tendresse pour moi, et la mienne pour vous… J’aimerais bien mieux rester comme nous sommes… Je sens, Jude, que je commencerais à avoir peur de vous à la minute même où un papier officiel vous ferait une obligation de me chérir et m autoriserait en bonnes formes à me laisser aimer ! — Quelle horreur ! que c’est vilain ! — Il est contraire à la nature humaine de continuer à aimer quelqu’un par ordre. »

Ils s’en tiennent donc à l’union libre par dignité, parce qu’il y a désormais, dans notre société renouvelée, un devoir qui prime tous les autres : le respect de notre individualité, poussé jusqu’au point où il devient le respect de tous les instincts. Le monde les méconnut, ainsi qu’il fallait s’y attendre. Ils furent mal jugés, mis plus ou moins en quarantaine, et la misère entra dans la maison avec les enfans. Mais ils avaient la satisfaction d’être des « pionniers », et de préparer les voies à l’émancipation de l’amour.

C’est ici que se place la grosse péripétie du roman, ce qui en fait la grande originalité, en même temps que le livre tout entier en devient d’un pessimisme amer. L’auteur n’a pas dissimulé un instant qu’il partageait le mépris et le dégoût de Sue pour les anciennes conventions sociales et morales sur l’union conjugale. Le mariage sous sa forme actuelle est évidemment, à ses yeux, une institution condamnée. Mais, tandis que les féministes avancées de l’autre sexe envisagent l’avenir avec une