« Les Prolégomènes » : différence entre les versions

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Il y a certains hommes auxquels Dieu communique des révélations. — Comment on les reconnaît. — Parole du Prophète au sujet de la révélation. — Signes qui caracté­risent les personnages inspirés. — Les miracles. — Comment ils se produisent. — L’annonce préalable (tahaddi) du miracle. — Nature des prodiges opérés par un homme qui est favorisé de Dieu sans être prophète. — Le Coran est le miracle le plus grand. — De la divination. — Une ordonnance parfaite règne entre tous les êtres du monde sensible. — L’âme et la faculté perceptive. — Les âmes qui sont capables de s’exalter jusqu’à la perception des choses du monde invisible. — Il y en a de di­verses classes. — La révélation. — Comment elle arrive. — Les effets qu’elle produit sur celui qui la reçoit. — La divination. — Les diverses catégories de devins. — Opi­nion de certains philosophes relativement à la faculté divinatoire. — Les songes et leurs divers genres. — Elles font une partie du prophétisme. — Comment l’âme se dégage du voile des sens au moyen du sommeil. — Charme employé pour se procurer des songes. — Les sachants. — Les aruspices. — Les augures. — Comment l’âme acquiert la disposition de recueillir des perceptions dans le monde invisible. — Les divers genres de divination. — Les devins. — Les augures. — Les insensés. — Les sachants. — Des paroles qui échappent à l’homme qui est sur le point de s’endormir ou de mourir. — Des exercices magiques. — Des djoguis. — Des soufis. — Des ins­pirés (mohaddeth). — Anecdotes d’Omar et d’Abou‑Bekr. — Les idiots. — Les astro­logues. — Les géomanciens et leur manière d’opérer. — Le calcul nommé Hiçab en­-nîm. — La zaïrdja d’Es‑Sibti. — Problèmes d’arithmétique assez curieux.
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=Premier discours préliminaire.=
 
Ce discours préliminaire servira à démontrer que la réunion des hommes en société est une chose nécessaire. C’est ce que les philo­sophes ont exprimé par cette maxime : « L’homme, de sa nature, est citadin. » Ils veulent dire, par ces mots, que l’homme ne saurait se passer de société, terme que, dans leur langage, ils remplacent par celui de cité. Le mot civilisation exprime la même idée. Voici la preuve de leur maxime : Dieu le tout‑puissant a créé l’homme et lui a donné une forme qui ne peut exister sans nourriture. Il a voulu que l’homme fût conduit à chercher cette nourriture par une impulsion innée et par le pouvoir qu’il lui a donné de se la procurer. Mais la force d’un individu isolé serait insuffisante pour obtenir la quantité d’aliments dont il a besoin, et ne saurait lui procurer ce qu’il faut pour soutenir sa vie. Admettons, par la supposition la plus modérée, que l’homme obtienne assez de blé pour se nourrir pendant un jour ; il ne pourrait s’en servir qu’à la suite de plusieurs manipu­lations, le grain devant subir la mouture, le pétrissage et la cuisson Chacune de ces opérations exige des ustensiles, des instruments, qui ne sauraient être confectionnés sans le concours de divers arts, tels que ceux du forgeron, du menuisier et du potier. Supposons même que l’homme mange le grain en nature, sans lui faire subir aucune préparation ; eh bien ! pour s’en procurer il doit se livrer à des travaux encore plus nombreux, tels que l’ensemencement, la moisson et le foulage, qui fait sortir le blé de l’épi qui le renferme. Chacune de ces opérations exige encore des instruments et des procédés d’art beau­coup plus nombreux que ceux qui, dans le premier cas, doivent être mis en usage. Or il est impossible qu’un seul individu puisse exécuter cela en totalité, ou même en partie. Il lui faut absolument les forces d’un grand nombre de ses semblables afin de se procurer la nourri­ture qui est nécessaire pour lui et pour eux, et cette aide mutuelle as­sure ainsi la subsistance d’un nombre d’individus beaucoup plus con­sidérable. Il en est de même pour la défense de la vie : chaque homme a besoin d’être soutenu par des individus de son espèce. En effet, Dieu le très haut, lorsqu’il organisa les animaux et leur distribua des forces, assigna à un grand nombre d’entre eux une part supérieure à celle de l’homme. Le cheval, par exemple, est beaucoup plus fort que l’homme ; il en est de même de l’âne et du taureau. Quant au lion et à l’éléphant, leur force surpasse prodigieusement celle de l’homme.
Comme il est dans la nature des animaux d’être toujours en guerre les uns avec les autres, Dieu a fourni à chacun un membre destiné spécialement à repousser ses ennemis. Quant à l’homme, il lui a donné, au lieu de cela, l’intelligence et la main. La main, soumise à l’intelligence, est toujours prête à travailler aux arts, et les arts four­nissent à l’homme les instruments qui remplacent, pour lui, les membres départis aux autres animaux pour leur défense. Ainsi les lances suppléent aux cornes, destinées à frapper ; les épées remplacent les griffes, qui servent à faire des blessures ; les boucliers tiennent lieu de peaux dures et épaisses, sans parler d’autres objets dont on peut voir l’énumération dans le traité de Galien sur l’usage des membres 2. Un homme isolé ne saurait résister à la force d’un seul animal, surtout de la classe des carnassiers, et il serait absolument incapable de le repousser. D’un autre côté, il n’a pas assez de moyens pour fabriquer les diverses armes offensives, tant elles sont nom­breuses, et tant il faut d’art et d’ustensiles pour les confectionner Dans toutes ces circonstances, l’homme doit nécessairement recourir p.88 à l’aide de ses semblables, et tant que leur concours lui manque, il ne saurait se procurer la nourriture ni soutenir sa vie. Dieu l’a ainsi décidé, ayant imposé à l’homme la nécessité de manger afin de vivre. Les hommes ne sauraient non plus se défendre s’ils étaient dépourvus d’armes ; ils deviendraient la proie des bêtes féroces ; une mort prématurée mettrait un terme à leur existence, et l’espèce hu­maine serait anéantie. Tant qu’existera chez les hommes la dispo­sition de s’entr’aider, la nourriture et les armes ne leur manqueront pas : c’est le moyen par lequel Dieu accomplit sa volonté en ce qui regarde la conservation et la durée de la race humaine. Les hommes sont donc obligés de vivre en société ; sans elle, ils ne pourraient pas assurer leur existence ni accomplir la volonté de Dieu, qui les a placés dans le monde pour le peupler et pour être ses lieutenants 3. Voilà ce qui constitue la civilisation, objet de la science qui nous occupe.
Dans ce qui précède nous avons établi, pour ainsi dire, que la civilisation est réellement l’objet de la branche de science que nous allons traiter. Cela n’est cependant pas une obligation pour celui qui traite d’une branche des connaissances quelconque, attendu que, d’après les règles de la logique, celui qui traite d’une science n’est pas tenu d’établir que ce qu’il pose comme étant l’objet de cette science l’est en effet 4. La chose n’est cependant pas défendue, et elle p.89 entre dans la classe des actes purement facultatifs. Dieu est celui qui seconde les hommes par sa grâce.
La réunion des hommes en société étant accomplie, ainsi que nous l’avons indiqué, et l’espèce humaine ayant peuplé le monde, un nouveau besoin se fait sentir, celui d’un contrôle puissant qui les protège les uns contre les autres ; car l’homme, en tant qu’animal, est porté par sa nature à l’hostilité et à la violence. Les armes dont il se sert pour repousser les attaques des animaux brutes ne suffisent pas à le défendre contre ses semblables, attendu qu’ils ont tous ces armes à leur disposition. Il faut donc absolument un autre moyen qui puisse empêcher ces agressions mutuelles. On ne saurait trou­ver ce modérateur parmi les autres espèces d’animaux, parce que ceux‑ci sont loin d’avoir autant de perceptions et d’inspirations que l’homme ; aussi faut‑il que le modérateur appartienne à l’espèce humaine et qu’il ait une main assez ferme, une puissance et une autorité assez fortes pour empêcher les uns d’attaquer les autres. Voilà ce qui constitue la souveraineté. On voit, d’après ces observa­tions, que la souveraineté est une institution particulière à l’homme, conforme à sa nature, et dont il ne saurait se passer. On la retrouve, s’il faut en croire les philosophes, chez certaines espèces d’animaux tels que les abeilles et les sauterelles, parmi lesquelles on a re­connu l’existence d’une autorité supérieure, de l’obéissance et de l’attachement à un chef appartenant à leur espèce, mais qui se dis­tingue par la forme et la grandeur du corps. Mais, chez les êtres qui diffèrent de l’homme, la chose existe par suite de leur organisation primitive et de la direction divine, et ne provient pas d’un effet de la réflexion ni par l’intention de se procurer une administration ré­gulière. Dieu a donné à tous les êtres une nature spéciale, puis il les a dirigés. (Coran, sour. XX, vers. 52.)
Les philosophes enchérissent sur cet argument, lorsqu’ils veulent établir, au moyen de preuves fournies uniquement par la raison, l’existence de la faculté prophétique, et démontrer qu’elle appar­tient à l’homme, comme inhérent à sa nature. Ils poussent cet p.90 argument jusqu’à sa dernière limite, en démontrant qu’il faut aux hommes une autorité capable de les contrôler, que cette autorité ne saurait exister qu’en vertu d’une loi émanant de Dieu, et conférée à un indi­vidu de l’espèce humaine favorisé spécialement de la direction divine, et que l’homme ainsi distingué a le droit d’exiger de tous les autres la soumission et la foi à sa parole, jusqu’à ce que l’autorité qu’il doit exercer parmi eux et sur eux ne trouve plus d’opposition.
Cette conclusion n’est pas régulièrement déduite, ainsi qu’il est facile de le voir ; car, avant le prophétisme, l’existence de l’espèce humaine était déjà assurée. Elle se maintenait par l’influence d’une autorité supérieure, qui, tenant sa puissance d’elle‑même ou d’un parti qui la soutenait, avait les moyens de contraindre les hommes à lui obéir et à marcher dans la voie qu’elle leur avait tracée.
Les hommes qui possèdent des livres révélés, et ceux qui suivent les enseignements des prophètes sont peu nombreux, en comparaison des païens. Ceux‑ci n’ont pas de révélation écrite ; ils forment la plus grande partie de la population du monde, et cependant ils ont eu leurs dynasties, ils ont laissé des monuments de leur puissance et, à plus forte raison, ont existé. Encore de nos jours ils possèdent des empires dans les régions reculées du nord et du midi ; leur état n’est donc pas celui des hommes laissés à eux‑mêmes et n’ayant aucun chef pour les contenir, état qui, du reste, ne saurait exister. On voit par là combien on a tort de vouloir prouver la nécessité de la fa­culté prophétique par des preuves fournies par la raison. Les fonc­tions d’un prophète se bornent à prescrire des lois, ainsi que les an­ciens (docteurs de l’islamisme) l’ont reconnu. Un concours efficace, une bonne direction ne se trouvent qu’auprès de Dieu.</div>
 
[[ar:مقدمة ابن خلدون]]