« Critiques littéraires/Madame Bovary par Gustave Flaubert » : différence entre les versions

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Puisque j’ai béséprononcé ce mot splendide et terrible, la Justice, qu’il me soit permis, — comme aussi bien cela m’est agréable, — de remercier la magistrature française de l’éclatant exemple d’impartialité et de bon goût qu’elle a donné dans cette circonstance. Sollicitée par un zèle aveugle et trop véhément pour la morale, par un esprit qui se trompait de terrain, — placée en face d’un roman, œuvre d’un écrivain inconnu la veille, — un roman, et quel roman ! le plus impartial, le plus loyal, — un champ, banal comme tous les champs, flagellé, trempé, comme la nature elle-même, par tous les vents et tous les orages, — la magistrature, dis-je, s’est montrée loyale et impartiale comme le livre qui était poussé devant elle en holocauste. Et mieux encore, disons, s’il est permis de conjecturer d’après les considérations qui accompagnèrent le jugement, que si les magistrats avaient découvert quelque chose de vraiment reprochable dans le livre, ils l’auraient néanmoins amnistié, en faveur et en reconnaissance de la Beauté dont il est revêtu. Ce souci remarquable de la Beauté, en des hommes dont les facultés ne sont mises en réquisition que pour le Juste et le Vrai, est un symptôme des plus touchants, comparé avec les convoitises ardentes de cette société qui a définitivement abjuré tout amour spirituel, et qui, négligeant ses anciennes entrailles, n’a plus cure que de ses viscères. En somme, on peut dire que cet arrêt, par sa haute tendance poétique, fut définitif ; que gain de cause a été donné à la Muse, et que tous les écrivains, tous ceux du moins dignes de ce nom, ont été acquittés dans la personne de M. Gustave Flaubert.
 
Ne disons donc pas, comme tant d’autres l’affirment avec une légère et inconsciente mauvaise humeur, que le livre a dû son immense faveur au procès et à l’acquittement. Le livre, non tourmenté, aurait obtenu la même curiosité, il aurait créé le même étonnement, la même agitation. D’ailleurs les approbations de tous les lettrés lui appartenaient depuis longtemps. Déjà sous sa première forme, dans la Revue de Paris, où des coupures imprudentes en avaient détruit l’harmonie, il avait excité un ardent intérêt. La situation de Gustave Flaubert, brusquement illustre, était à la fois excellente et mauvaise ; et de cette situation équivoque, dont son loyal et merveilleux talent a su triompher, je vais donner, tant bien que mal, les raisons diverses.