« L’Image de neige » : différence entre les versions

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au point de vue du prosaïque bon sens toutes les questions qui se présentaient à son esprit. Avec un cœur aussi bon que celui d’aucun autre, il était possesseur d’une tête aussi dure, aussi impénétrable et, j’imagine, aussi vide que ces vases en fonte qui garnissaient ses magasins. En revanche, la mère se faisait remarquer par un penchant naturel à la poésie, et ses traits étaient d’une beauté idéale ; fleur tendre et délicate, elle avait conservé le velouté de la jeunesse, malgré les réalités du ménage et les soucis de la maternité.
 
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— Oui, Violette ; oui, mon petit Pivoine, répondit leur maman, vous pouvez, si bon vous semble, aller jouer sur la neige.
 
Cela dit, la charmante mère revêtit ses deux bien-aimés enfants de chaudes jaquettes, les emmitoufla de bons cache-nez, introduisit leurs menottes dans des mitaines épaisses et leurs petites jambes sous de grandes guêtres montantes.
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Elle leur donna à chacun un doux baiser, et les deux enfants se précipitèrent dehors, courant, dansant, sautant à cloche-pied. Heureux temps ! heureux âge ! On eut dit que la tempête de la veille, en tordant et brisant les arbres les plus robustes, n’avait lancé une telle quantité de neige que pour faire un tapis à ces marmots, semblables à des oiseaux d’hiver, qui jouent avec délices sur la blanche parure de la terre.
 
Après s’être jeté mutuellement de la neige à la figure, ils s’arrêtèrent pour reprendre haleine, et Violette se mit à rire en voyant Pivoine couvert de frimas. L’idée d’un autre jeu jaillit de son petit cerveau.
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— Oui, répondit Violette, maman verra sa nouvelle petite fille ; mais il ne faudra pas la faire entrer dans le parloir, car tu sais que notre petite sœur de neige ne pourra souffrir la chaleur.
 
Aussitôt dit, aussitôt fait ; nos enfants commencèrent leur statue de neige, tandis que leur mère qui les observait ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant le sérieux et l’activité qu’ils apportaient à leur besogne. Ils semblaient parfaitement convaincus que rien n’était plus facile que de tirer d’un bloc de neige une petite fille vivante. Et de fait, pensait la mère, cette
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neige qui tombe du ciel serait une matière sans pareille, si elle n’était pas si froide. Longtemps elle contempla ses deux chérubins. La fillette, élancée pour son âge, gracieuse, agile, avec sa carnation d’un rose tendre et transparent, semblait plutôt une créature immatérielle qu’une réalité physique. Pivoine, au contraire, débordant de sève et de santé, fièrement planté sur ses petites jambes trapues, avait la solidité d’un jeune éléphant. Ainsi les voyait leur mère, tout en tricotant des bas bien chauds pour les jambes de M. Pivoine. Elle faisait courir l’aiguille d’ivoire dans ses doigts agiles, et jetait de fréquents regards par la croisée pour juger des progrès de la statue de neige.
 
En vérité, rien n’était plus divertissant que de voir ces deux bambins si affairés à leur tâche. Je dirai plus, c’était chose merveilleuse que l’intelligence et l’adresse dont ils faisaient preuve en pétrissant la blanche matière. Violette avait pris la direction de l’œuvre. C’était elle qui, de ses mains fluettes, modelait les parties les plus délicates de la figure.
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— Que ces petits êtres sont intelligents ! se disait madame Lindsey en souriant avec une satisfaction toute maternelle. Quels enfants de cet âge seraient capables de former avec de la neige une figure aussi gracieuse ?… Allons, tout cela est très bien mais il faut que je finisse également la blouse de Pivoine, son grand-père vient le voir demain !
 
Son aiguille courut bientôt dans l’étoffe avec une rapidité pareille à celle dont les enfants lui donnaient l’exemple en travaillant à leur statue de neige. Tout à coup les cris joyeux
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de Violette et de Pivoine lui firent relever la tête. Bien qu’elle n’entendit qu’imparfaitement ce qu’ils disaient, leur mère jugea qu’ils avaient mené à bonne fin leur petit chef-d’œuvre, et ces mots sans suite eurent dans son cœur un délicieux écho.
 
C’est que la mère écoute plus avec le cœur qu’avec l’oreille, c’est qu’elle est ainsi souvent ravie par les accents d’une musique céleste et mystérieuse, incompréhensible pour tout autre qu’elle.
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La maman, tout en écoutant et en regardant avec ravissement cette scène enfantine, en était venue à croire qu’une fée ou qu’un ange invisible avait aidé ces chers petits êtres. Violette, non plus que Pivoine, ne se doutaient guère qu’ils eussent un si glorieux camarade, et voyant sortir de leurs mains cette œuvre, ils pensaient l’avoir faite eux-mêmes.
 
— Mes chers enfants mieux que tous les autres méritent une pareille compagne, se disait madame Lindsey souriant elle-même de son orgueil maternel ; quand, jetant de temps à autre un
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coup d’œil furtif par la croisée, il lui sembla que les boucles d’une tête d’ange se mêlaient aux blonds cheveux de Violette et de Pivoine.
 
— Pivoine, cria de nouveau Violette à son frère, apporte-moi donc quelques-unes de ces guirlandes de glaçons qui sont restées suspendues aux branches les plus basses du poirier. Elles tomberont en secouant l’arbre. Je veux m’en servir pour ajouter quelques boucles à la tête de notre petite sœur.
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— Ils font tout mieux que les autres, se dit-elle avec complaisance ; il n’y a rien d’étonnant qu’ils fassent mieux les statues de neige.
 
Elle se remit en toute hâte à l’ouvrage, car elle tenait beaucoup à finir la petite blouse de Pivoine, pour que son grand-père pût le voir, le lendemain, tout de neuf habillé.
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Elle cousait si vite, si vite, qu’à peine voyait-on courir ses doigts agiles. Pendant ce temps les deux bambins achevaient leur image de neige, et, tout en travaillant, leur mère les écoutait babiller. Elle ne pouvait s’empêcher de les regarder de temps à autre, et bientôt il lui sembla que l’image allait s’élancer pour courir avec eux.
 
— Quelle jolie compagne nous aurons cet hiver, dit Violette ; pourvu que papa n’aille pas avoir peur qu’elle ne nous fasse attraper froid. Tu l’aimeras bien, n’est-ce pas, Pivoine ?
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— Je le crois bien, dit Violette, avec le calme de la certitude, c’est la lumière du soleil qui lui a donné cette belle couleur. Je pense qu’elle est finie à présent ; mais ses lèvres sont encore bien pâles. Si tu l’embrassais un peu pour voir, Pivoine ?
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Et la maman vit le marmot déposer un franc baiser sur les lèvres de la petite statue. Mais, comme les lèvres de celle-ci n’avaient guère rougi, Violette conseilla à son frère de se faire rendre son baiser sur ses lèvres cramoisies.
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— Oh ! je t’en prie, maman, cria Violette, regarde donc, tu verras quelle jolie compagne nous avons.
 
Sa curiosité ainsi aiguillonnée par les cris pressants des deux marmots, madame Lindsey ne put s’empêcher de jeter un regard par la croisée. Le soleil avait disparu, laissant l’horizon empourpré et chargé de gros nuages frangés d’or, qui adoucissaient les derniers feux du jour. Elle put donc cette
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fois, sans être éblouie, distinguer ce qui se passait dans le jardin.
 
Que pensez-vous qu’elle vit ? Violette et Pivoine qui prenaient leurs ébats. Mais qui se tenait à leurs côtés, courant et folâtrant avec eux ? Eh bien, croyez-moi, si bon vous semble ; c’était une délicieuse enfant, habitée de blanc, aux joues rosées, aux blonds cheveux, s’en donnant à cœur joie avec les deux chérubins. La petite étrangère semblait dans les meilleurs termes avec eux.
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La jeune mère pensa tout d’abord que ce devait être une petite voisine qui, voyant Violette et Pivoine s’amuser dans le jardin, avait traversé la rue pour se mêler leurs jeux. Dans cette idée, l’excellente femme se dirigea vers la porte pour inviter la petite vagabonde à entrer dans le parloir avec ses enfants, car, depuis le coucher du soleil, l’atmosphère devenait de plus en plus froide ; mais elle s’arrêta sur le seuil, ne sachant trop de quel nom appeler ce petit être, et elle en vint à douter que ce fût réellement une enfant. Cependant il faisait froid, et l’heure était venue de faire rentrer les deux bambins. Dans tous les cas, il y avait dans la petite étrangère quelque chose de singulier, et jamais madame Lindsey n’avait remarqué chez aucun enfant du voisinage des traits aussi purs, des couleurs d’un rose aussi tendre et des cheveux aussi fins que les boucles qui flottaient sur ses épaules. D’autre part, en voyant sa petite robe blanche agitée par la bise, elle se demandait quelle mère pouvait être assez peu soigneuse pour envoyer jouer, au cœur de l’hiver, sa petite fille ainsi vêtue.
 
Tout en se livrant à ces observations, madame Lindsey s’aperçut avec stupéfaction que la pauvre petite n’avait pour chausser
Tout en se livrant à ces observations, madame Lindsey s’aperçut avec stupéfaction que la pauvre petite n’avait pour chausser ses pieds délicats que de légers souliers blancs. Et pourtant elle semblait joyeuse et paraissait se soucier fort peu de la température. Elle sautait, dansait et courait sur la neige, y laissant l’empreinte parfaitement nette d’un petit pied qui pouvait passer pour le frère de celui de Violette, mais que celui de Pivoine dépassait d’un bon tiers. Tout en jouant avec les deux enfants, l’étrange petite créature en prit un de chaque main et se mit à courir avec eux à perdre baleine ; mais, au bout d’un moment, Pivoine retira sa main gonflée par le froid, pour souffler dans ses doigts, disant qu’elle l’avait glacée. Violette, plus réservée, se contenta de faire observer qu’il n’était pas nécessaire de se tenir par la main pour courir. La blanche petite fille ne répondit rien et continuait de danser aussi joyeusement qu’auparavant ; car si Violette et Pivoine ne se souciaient plus de jouer avec elle, l’enfant de neige avait trouvé une nouvelle compagne dans la brise d’occident qui, lutinant ses légers vêtements, prenait avec elle de telles libertés qu’il était à présumer qu’ils étaient tous deux de vieilles connaissances.
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Tout en se livrant à ces observations, madame Lindsey s’aperçut avec stupéfaction que la pauvre petite n’avait pour chausser ses pieds délicats que de légers souliers blancs. Et pourtant elle semblait joyeuse et paraissait se soucier fort peu de la température. Elle sautait, dansait et courait sur la neige, y laissant l’empreinte parfaitement nette d’un petit pied qui pouvait passer pour le frère de celui de Violette, mais que celui de Pivoine dépassait d’un bon tiers. Tout en jouant avec les deux enfants, l’étrange petite créature en prit un de chaque main et se mit à courir avec eux à perdre baleine ; mais, au bout d’un moment, Pivoine retira sa main gonflée par le froid, pour souffler dans ses doigts, disant qu’elle l’avait glacée. Violette, plus réservée, se contenta de faire observer qu’il n’était pas nécessaire de se tenir par la main pour courir. La blanche petite fille ne répondit rien et continuait de danser aussi joyeusement qu’auparavant ; car si Violette et Pivoine ne se souciaient plus de jouer avec elle, l’enfant de neige avait trouvé une nouvelle compagne dans la brise d’occident qui, lutinant ses légers vêtements, prenait avec elle de telles libertés qu’il était à présumer qu’ils étaient tous deux de vieilles connaissances.
 
Pendant tout ce temps, la maman restait sur le seuil de la porte, émerveillée qu’une petite fille ressemblât tant à un flocon de neige, ou qu’un flocon de neige prit à ce point l’apparence d’une enfant.
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— Comment, chère petite mère, répondit Violette en riant, mais c’est la petite sœur de neige que nous nous sommes faite.
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— Mais oui, maman, cria Pivoine, c’est notre statue de neige. Ne fait-elle pas un beau baby à présent ?
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— Oui, maman, affirma Pivoine en gonflant gravement ses joues vermeilles, c’est une petite fille de neige. Est-ce qu’elle n’est pas belle ? Vois donc comme ses mains sont froides.
 
La pauvre dame ne savait plus que penser ni que faire, lorsque la porte de la rue s’ouvrit et son mari apparut avec son
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paletot-sac en drap pilote, son capuchon rabattu sur ses oreilles et les mains protégées par de gros gants fourrés. M. Lindsey était un homme entre les deux âges, dont le franc regard animait une bonne figure gercée par le hâle et violacée par le froid, mais où l’on pouvait lire le contentement qu’il éprouvait de rentrer à son foyer, après une longue journée de travail. Ses yeux brillèrent de satisfaction lorsqu’il aperçut sa femme et ses deux enfants, bien qu’il eût peine à s’expliquer tout d’abord pourquoi sa petite famille était en plein air par un froid si rigoureux, surtout après le coucher du soleil. Presque aussitôt il vit la blanche petite étrangère courant çà et là dans le jardin et folâtrant sur la neige, pendant que les oiseaux la poursuivaient de leurs cris joyeux.
 
— Quelle est donc cette fillette ? demanda l’excellent homme ; sa mère est folle assurément de la laisser courir aussi peu vêtue par un temps pareil.
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— C’est étrange ! murmura-t-elle interdite.
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— Qu’est-ce qui est étrange, mère ? demanda Violette. Tu ne vois pas comment cela s’est fait, papa ? C’est notre petite statue de neige que nous avons faite, mon frère et moi, parce que nous voulions avoir une petite amie ; n’est-ce pas, Pivoine ?
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— Oui, père, ajouta Pivoine, c’est notre petite sœur de neige, et elle n’aimera pas le feu.
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— Absurdes enfants ! oui, absurdes, cria le père moitié fâché, moitié riant de cette singulière obstination, rentrez vite à la maison. Il est trop tard maintenant pour jouer dehors, et il faut que je m’occupe sur-le-champ de cette petite, si vous ne voulez pas qu’elle meure de froid.
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Il est vrai qu’elle l’était un peu, la bonne mère ; elle avait conservé de l’enfance la touchante naïveté, et voyait toutes choses à travers le prisme d’une candide imagination.
 
Mais l’impitoyable M. Lindsey n’écoutait déjà plus, et il était rentré dans le jardin après s’être débarrassé des marmots, qui lui criaient encore de laisser jouer la petite fille dans la neige. Il vit, en s’approchant d’elle, les petits oiseaux fuir à tire d’aile ; la petite inconnue, tout interdite, le regardait en secouant négativement sa jolie tête comme pour lui dire : « Je vous en prie, ne me touchez pas » ; et, grâce à la nuit tombante et à la blancheur de ses vêtements, elle semblait presque se confondre avec la neige. Mais M. Lindsey s’avança résolument vers elle, malgré les rafales du vent qui couvraient son paletot de givre. Des voisins,
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qui se tenaient à leurs fenêtres et ne voyaient qu’une partie de cette scène, se demandaient quel motif pouvait avoir un homme si raisonnable pour courir ainsi dans son jardin à la poursuite des flocons de neige que le vent d’ouest faisait tourbillonner, jusqu’à ce que la petite fille se trouvât poursuivie dans un coin du jardin, où elle ne pût échapper.
 
— Voulez-vous venir, petit démon ? s’écria l’honnête marchand en lui saisissant une main. Ah ! je vous tiens, et je vais, que vous le vouliez ou non, vous mettre en un lieu sûr où vous serez assurément mieux qu’ici. Nous allons vous donner de bons chaussons et le manteau de Violette. Voyez, votre petit nez est gelé ; allons, venez avec moi.
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— Tu es folle, ma petite Violette, et toi aussi Pivoine, tu es fou ; cette enfant est glacée, et je sens ses petites mains froides à travers mes gros gants. Voulez-vous la voir mourir de froid ?
 
Cependant madame Lindsey, qui était venue sur le seuil de la porte, examinait attentivement la blancheur et la transparence des vêtements de cette petite fille, dont les traits lui rappelaient la figure sortie des mains de Violette, et
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elle ne put s’empêcher de faire part de ses impressions à son mari.
 
— Au bout du compte, lui dit-elle, revenant à sa première idée qu’un ange avait aidé ses enfants dans leur travail, c’est qu’elle ressemble terriblement à cette petite statue de neige, et, Dieu me pardonne, je finis par croire qu’elle est faite de neige.
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Sans aller plus avant et guidé par les meilleures intentions, le très bienveillant et sensé marchand de fer installa la petite fille de neige, qui semblait de plus en plus triste, dans son confortable parloir. Un poêle d’Heidelberg ronflait et pétillait, bourré jusqu’à la gueule d’une provision de charbon de terre, qui rougissait déjà sa porte de fonte et faisait bouillonner le vase d’eau placé sur la plate-forme pour donner à la chambre l’humidité nécessaire. Le thermomètre du parloir marquait déjà 18 degrés centigrades au-dessus de zéro ; la chaleur était en outre entretenue par un bon parquet de chêne qui remplaçait le carreau dans cette confortable pièce. Bref, la différence de la température avec celle du dehors était à peu près la même que celle qui existe entre la Nouvelle-Zemble et l’Inde équatoriale.
 
Dans sa sagesse, le brave M. Lindsey jugea qu’il était bon de placer l’enfant auprès du poêle, dont la chaleur et la fumée
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s’échappant par la porte, venaient droit sur elle.
 
— Maintenant, au moins, elle sera confortablement, fit-il en se frottant les mains, avec son éternel sourire de satisfaction. Faites comme si vous étiez chez vous, mon enfant.
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— Monsieur Lindsey, monsieur Lindsey, lui cria sa femme en entrouvrant la fenêtre, il n’est plus nécessaire que vous alliez chercher les parents de cette petite.
 
— Nous te l’avions bien dit, papa, pleurnichèrent Violette et
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Pivoine, nous l’avions bien dit de ne pas la faire entrer ici, heu ! heu ! Voilà, heu ! heu ! Que notre chère petite sœur, heu ! heu ! Si gentille, est dégelée, hi ! hi ! hi !
 
Et leurs jolies figures étaient inondées de larmes ; M. Lindsey, désolé du chagrin de ses enfants et au comble de l’étonnement, demanda à sa femme l’explication de ce remue-ménage. La bonne dame ne put que répondre, au milieu des sanglots de ses enfants, qu’elle n’avait plus trouvé trace de la petite fille en rentrant, bien qu’elle l’eût cependant laissée debout devant le poêle.
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Et le poêle d’Heidelberg, à travers les deux trous de sa porte de fonte, jetait sur M. Lindsey le regard d’un démon, triomphant du mal qu’il vient de faire.
 
Cette remarquable histoire de l’Image de neige doit apprendre à tous les hommes, et principalement à ces philanthropes toujours prêts à obliger leurs semblables, qu’avant de céder à leurs sentiments d’universelle bienveillance, il faudrait s’assurer que l’on comprend parfaitement la nature des êtres dont on poursuit l’amélioration, et leurs rapports de toute espèce avec l’ordre général des choses humaines car ce qui, en thèse générale, peut être regardé comme
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très bon et très salutaire, — la chaleur, par exemple, d’un excellent poêle breveté de Bruxelles, — peut, dans certains cas, être inutile ou dangereuse, surtout s’il s’agit d’un enfant de neige.
 
Après tout, il n’y pas grande leçon à donner à des sages de l’école de M. Lindsey. Ils savent tout, rien n’est plus certain, non seulement ils savent tout ce qui fut, mais tout ce qui peut, dans une hypothèse quelconque, advenir et se produire ; et dût quelque phénomène naturel, quelque mystérieux décret ou hasard, contrarier, en se manifestant, leur glorieux système, eh bien, ils en sont quittes pour nier le fait, même lorsqu’il leur passe sous le nez.