« Lord Palmerston » : différence entre les versions

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{{TextQuality|100%}}{{Titre|Lord Palmerston|[[Fulgence Girard]]|''[[Le Monde illustré]]'', n°6, 23/05/1857}}
 
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[[Image:No06p13_lord_palmerston-e02-lord_palmerston_portrait.jpg|thumb|600px|Lord Palmerston]]
Que n&#x2019;a-t-on pas dit, que n&#x2019;a-t-on pas écrit
sur lord Palmerston&nbsp;? Il est cependant un
des aspects de cette intéressante individualité que la critique semble avoir laissé
dans l&#x2019;ombre&nbsp;: on a loué, on a blâmé
l&#x2019;homme d&#x2019;État, on a discuté l&#x2019;orateur&nbsp;; ce
qu&#x2019;on a oublié dans lui, c&#x2019;est le gentleman.
C&#x2019;est pourtant dans les qualités et les défauts,
rayonnant de ce mot, que cette individualité
se révèle toujours la même. Les contrastes
des faits s&#x2019;effacent dans l&#x2019;unité des sentiments. Ce qu&#x2019;on le voit apparaitre dans l&#x2019;ardente spontanéité du premier âge, alors que
par les qualités prestigieuses d&#x2019;une nature
d&#x2019;élite, fier gentilhomme s&#x2019;enorgueilissant
d&#x2019;une origine honorable, sinon glorieuse,
élégant cavalier, esprit souple et brilant, il
débute en lion sur le <i>turf</i>, en dandy dans
les salons, on le retrouve à l&#x2019;apogée de sa carrière, sous les cheveux blancs de sa vigoureuse et verte veilesse. C&#x2019;est toujours la
même nature fière et bienveilante qui ce cabre sous un regard, ou se calme, sous un sourire. C&#x2019;est ce caractère superbe et courtois
qui établit la constance et constitue l&#x2019;harmonie de cette vie ondoyante et diverse. Aussi,
disons-le, c&#x2019;est là son principal et son vrai
côté, celui d&#x2019;où part la lumiére qui peut
seule éclairer les autres&nbsp;; c&#x2019;est aussi celui que
nous voulons choisir. Sauf l&#x2019;époque, sauf
aussi le milieu, il y a quelque chose de notre duc
de Richelieu dans ce <i>right honorable lord</i> qui a pris
plus d&#x2019;une fois les décisions les plus graves dans un
boudoir, qui a griffonné plus d&#x2019;un projet de protocole
sur le papier rose et parfumé d&#x2019;un poulet. Voyons sa
vie&nbsp;:
<p>
Henry John Temple, vicomte Palmerston, est né le 20&nbsp;octobre&nbsp;1784. Il n&#x2019;appartient point à la haute aristocratie britannique. On chercherait vainement son nom dans
le <i>Domesday-Book</i>. On ne trouverait pas plus son origine
sur les cimes anglo-normandes que sur les sommets anglo-saxons&nbsp;; sa source jailit d&#x2019;une zone inférieure. Sa
famile, originaire du Buckinghamshire, ne passa en Irlande
que vers le milieu du dix-septième siècle. Ele
donna à l&#x2019;Angleterre un habile diplomate le siècle suivant&nbsp;: un de ses membres, sir Wiliam Temple, signa
avec Jean de Witt, dont un descendant a
épousé une des files de notre célébre historien
M. Guizot, le traité conclu entre l&#x2019;Angleterre,
la Holande et la Suède, pour forcer la
France à restituer ses conquètes septentrionales.
On voit que ce ne fut pas absolument
l&#x2019;amour de notre pays dont, enfant, il suça le
lait dans les traditions de sa famile.
<P> Son père, d&#x2019;un caractère orgueileux et sévère,
remplissait la charge d&#x2019;<i>attorney</i> général
pour l&#x2019;Irlande&nbsp;; le jeune Henry John trouva
cependant le c&oelig;ur le plus tendre et le plus
complaisant dans ce père rigide. Nule enfance
ne fut entourée de plus de soins, de
plus de solicitudes, d&#x2019;une plus aveugle indulgence.
D&#x2019;abord il était l&#x2019;ainé de la famile,
question grave dans les maisons anglaises&nbsp;;
de plus, jamais la nature n&#x2019;avait comblé un
enfant de dons plus nombreux&nbsp;: ses grand
yeux bleus, sa jolie tête blonde toute rutilante
de boucles soyeuses lui avaient mérité
le doux non d&#x2019;<i>Ariel</i>&nbsp;; ce nom devait être
remplacé plus tard par celui de <i>Cupido</i>, que
lui méritèrent ses prouesses mondaines. Le
bel enfant, volontaire, pétulant, espiègle,
fut avant un enfant tout gâté.
<p> Il falut qu&#x2019;il quittât ces doux loisirs de la
famile pour les ennuis de la vie scolaire&nbsp;; ce
fut sur les bancs du colège aristocratique
de Harrow qu&#x2019;il vint s&#x2019;asseoir. Il eut pour
condisciples lord Byron, Hobhouse, sir Robert
Peel et plusieurs, autres écoliers qui, selon
les expressions de Thomas Moore, dans
une note des mémoires de Byron, parlèrent
beaucoup et firent beaucoup parler d&#x2019;eux.
Quoique ses aspirations se portassent moins
vers les palmes académiques que vers les
myrtes de la fashion, ses travaux n&#x2019;y restèrent
pas sans succès&nbsp;; il y fit ce l&#x2019;on
appele vulgairement d&#x2019;assez bonnes études.
Il en rapporta toutefois quelques rudes souvenirs.
Byron et lui étaient peu sympathiques. Byron,
qui avait déjà le caractère des poètes, <i>genus irritabile</i>,
et qui pratiquait la boxe comme plus tard il façonna
les vers, eut avec lui plusieurs colisions. Le futur ministre
de la guerre, <i>secretary of war</i>, sortit moins fier
que meurtri de ces premiers combats.
<P> Il quitta le colège d&#x2019;Harrow pour l&#x2019;université d&#x2019;Édimbourg
et plus tard l&#x2019;université d&#x2019;Édimbourg pour cele de
Cambridge. Ses tendances et ses goûts, jusque-là comprimés,
prirent alors leur plein essor. Il devint dans ces deux
viles le héros des chroniques secrètes et la fleur des pois
du dandysme. Tele fut la turbulence de sa vie de plaisirs,
que l&#x2019;on dut songer à l&#x2019;en arracher par un moyen héroïque.
On plongea cette nature ardente dans le bassin réfrigérant
de la vie publique. Sa famile lui trouva un
bourg fermé, <i>close boroughs</i>, qui l&#x2019;envoya en 1805 à la
Chambre des communes. Cet empirisme ne put rien sur
cette fougue effervescente. S&#x2019;il devint célèbre au Parlement,
ce fut par les n&oelig;uds de sa cravate et la coupe
de ses habits&nbsp;; la scène de ses intrigues fut le bal d&#x2019;Almack
et le Parquet des raouts, sa tribune fut cele de
New-Market ou d&#x2019;Epsom. Il fut connu dans tout Londres
pour ses galantes <i>apprises</i>, dans l&#x2019;Angleterre entière pour
l&#x2019;excelence de ses chevaux. Ce ne fut que plus tard que
cette brilante banderole se laissa emporter par les souffles
divers de la politique&nbsp;; mais là ele nous échappe de
nouveau&nbsp;: nous n&#x2019;avons pas à rechercher si le secret de
la hauteur où ele flotte se trouve dans des qualités spéciales,
ou uniquement dans sa légèreté. Ce que nous
pouvons dire, c&#x2019;est que, acception faite des changements
qu&#x2019;opère inévitablement l&#x2019;âge, on retrouve sous les cheveux
blancs du <i>leader</i> le gentleman raide et un peu débrailé
de ses blondes années, l&#x2019;esprit souple et courtois
de ses beaux jours. Que l&#x2019;on contemple dans notre gravure
les traits fiers, gracieux et inteligents de cette bele
tête photographiée expressément pour le <i>Monde ilustré</i>,
il y a quelques jours, et l&#x2019;on connaîtra lord Palmerston
mieux que par une longue étude psychologique, car c&#x2019;est
pour ce caractère d&#x2019;ardente spontanéité et d&#x2019;ostentation
que l&#x2019;on peut dire avec Lavater&nbsp;: Le visage, c&#x2019;est l&#x2019;homme.
<P> Lord Palmerston, qui a toujours eu des prétentions
littéraires, est devenu depuis une quinzaine d&#x2019;années un
de ces grands seigneurs-Mécènes qui sont en Angleterre
les protecteurs des beaux-arts. Son hôtel a sa galerie,
comme doit l&#x2019;avoir outre-Manche toute noble et grande
maison. C&#x2019;est que l&#x2019;ilustre lord, dont la fortune était relativement
assez modeste, a donné en 1840 une large base
à sa vie en épousant la s&oelig;ur de lord Melbourne, la veuve
du comte Cowper&nbsp;; lady Cowper joignait en effet une
puissante fortune à ce qu&#x2019;ele conservait d&#x2019;une beauté
qui a été jadis une des sensations et des célébrités des
salons anglais.
<div align=right><B>Fulgence Girard</B></DIV>
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[[catégorie:1857]]
[[Catégorie:Le Monde illustré]]