« Lénore (Bürger) » : différence entre les versions
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{{titrePoeme|[[Poésies allemandes]]|Gottfried August Bürger|Lénore / ''Lénore''<br /><br><small>traduit par [[Gérard de Nerval]]</small>}}
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{{sc|Lénore}} se lève au point du jour
échappe à de tristes rêves : « Wilhelm, mon
époux ! es-tu mort ? es-tu parjure ? Tarderas-tu
long-temps encore ? » Le soir même
n’avait depuis donné aucune nouvelle de
sa santé.
Mais le roi et l’impératrice, las de leurs
querelles sanglantes, s’apaisant peu à peu,
conclurent enfin la paix ; et cling ! et
clang ! au son des fanfares et des timbales,
chaque armée, se couronnant de
joyeux feuillages, retourna dans ses foyers.
sur les ponts, jeunes et vieux, fourmillaient
à leur rencontre. « Dieu soit
loué ! » s’écriaient maint enfant, mainte
épouse. « Sois le bien venu ! » s’écriait
mainte fiancée. Mais, hélas ! Lénore seule
attendait en vain le baiser du retour.
Elle parcourt les rangs dans tous les
sens ; partout elle interroge. De tous ceux
qui sont revenus, aucun ne peut lui donner
de nouvelles de son époux bien aimé.
Les voilà déjà loin : alors, arrachant ses
cheveux , elle se jette à terre et s’y roule
avec délire.
Sa mère accourt : « Ah ! Dieu t’assiste !
elle la serre dans ses bras. « Oh ! ma mère,
ma mère, il est mort ! mort ! que périsse
Malheur ! malheur à moi !
Ma fille, implore notre père : ce qu’il fait
est bien fait, et jamais il ne nous refuse
son secours. — Oh ! ma mère, ma mère !
vous vous trompez Dieu m’a abandonnée :
à quoi m’ont servi mes prières ? à
quoi me serviront-elles ?
— » Mon Dieu ! ayez pitié de nous ! Celui
qui connait le père sait bien qu’il n’abandonne
pas ses enfants : le Très-Saint-Sacrement
calmera toutes tes peines! —
ne peut rendre la vie aux morts !…..
— » Mon Dieu ! ayez pitié de nous.
N’entrez point en jugement avec ma pauvre
ses paroles….. ne les lui comptez pas pour
des péchés ! Ma fille, oublie les chagrins
de la terre ; pense à Dieu et au bonheur
céleste ; car il te reste un époux dans le
ciel !
— » Oh ! ma mère , qu’est-ce que le
bonheur ? Ma mère
Le bonheur est avec Wilhelm, et
ma vie, éteins-toi dans l’horreur des ténèbres !
Dieu n’a point de pitié…. Oh ! malheureuse
que je suis ! »
Ainsi le fougueux désespoir déchirait
son cœur et son âme, et lui faisait insulter
à la providence de Dieu. Elle se meurtrit
le sein, elle se tordit les bras jusqu’au
coucher du soleil, jusqu’à l’heure où les
étoiles dorées glissent sur la voûte des
cieux.
Mais au dehors quel bruit se fait entendre ?
Trap ! trap ! trap !….. C’est comme le
pas d’un cheval. Et puis il semble qu’un
cavalier en descende avec un cliquetis
d’armures ; il monte les degrés…. Écoutez !
Klinglingling ! et, à travers la porte, une
douce voix parle ainsi :
Veilles-tu
la joie ou dans les pleurs ? — Ah ! Wilhelm ! c’est donc toi ! si tard dans la nuit !…
Je veillais et je pleurais….. Hélas ! j’ai
cruellement souffert…. D’où viens-tu donc
sur ton cheval ?
— » Nous ne montons à cheval qu’à minuit;
et j’arrive du fond de la Bohême :
c’est pourquoi je suis venu tard, pour te
remmener avec moi. — Ah! Wilhelm, entre
dans la forêt…..
enfant ; qu’importe que le vent siffle. Le
chausse-toi, saute en croupe sur
mon cheval ; car nous avons cent lieues à
faire pour atteindre à notre demeure.
— » Hélas ! comment veux-tu que nous
fassions aujourd’hui cent lieues, pour atteindre
à notre demeure ? Écoute ! la cloche
de minuit vibre encore. — Tiens !
morts, nous allons vite ; je gage que je t’y
conduirai aujourd’hui même.
— Dis-moi donc où est ta demeure ?
Y a-t-il place pour moi ? — Pour nous
deux. Viens, Lénore, saute en croupe :
le banquet de noces est préparé, et les
conviés nous attendent. »
La jeune fille se chausse, s’élance, saute
en croupe sur le cheval ; et puis en avant ;
hop ! hop ! hop ! Ainsi retentit le galop….
Cheval et cavalier respiraient à peine ; et,
sous leurs pas, les cailloux étincelaient.
Oh ! comme à droite, à gauche, s’envolaient
à leur passage, les prés, les bois et
les campagnes ; comme sous eux les ponts
retentissaient ! « — A-t-elle peur, ma mie ?
La lune brille….. Hurra ! les morts vont
vite. A-t-elle peur des morts ? — Non…..
Mais laisse les morts en paix !
» Qu’est-ce donc là-bas que ce bruit et
ces chants ? Où volent ces nuées de corbeaux ?
Écoute….. c’est le bruit d’une
cloche ; ce sont les chants des funérailles :
« Nous avons un mort à ensevelir. » Et le
convoi s’approche accompagné de chants
qui semblent les rauques accents des hôtes
des marécages.
― » Après minuit vous ensevelirez ce
corps avec tout votre concert de plaintes et
de chants sinistres : moi, je conduis mon
épousée, et je vous invite au banquet de
mes noces. Viens, chantre, avance avec le
chœur, et nous entonne l’hymne du mariage.
Viens, prêtre, tu nous béniras.
Plaintes et chants , tout a cessé….. la
bière a disparu….. Sensible à son invitation ,
voilà le convoi qui les suit….. Hurra !
hurra ! Il serre le cheval de près, et puis
en avant ! Hop ! hop ! hop ! ainsi retentit le
galop….. Cheval et cavalier respiraient à
peine, et sous leurs pas les cailloux étin-
celaient.
Oh! comme à droite, à gauche s’envolaient
à leur passage les prés, les bois et
les campagnes. Et comme à gauche, à
droite, s’envolaient les villages, les bourgs
et les villes. — « A-t-elle peur, ma mie ?
La lune brille Hurra! les morts vont
vite….. A-t-elle peur des morts ? — Ah !
laisse donc les morts en paix.
― » Tiens ! tiens ! vois-tu s’agiter, auprès
de ces potences, des fantômes aériens,
que la lune argente et rend visibles ? Ils
dansent autour de la roue. Çà ! coquins,
approchez ; qu’on me suive et qu’on danse
le bal des noces….. Nous allons au banquet
joyeux. »
Husch ! husch ! husch ! toute la bande
s’élance après eux, avec le bruit du vent,
parmi les feuilles desséchées : et puis en
avant ! Hop ! hop ! hop ! ainsi retentit le
galop. Cheval et cavalier respiraient à
peine, et sous leurs pas les cailloux étincelaient.
Oh ! comme s’envolait, comme s’envolait
au loin tout ce que la lune éclairait
autour d’eux !…. Comme le ciel et les
étoiles fuyaient au-dessus de leurs têtes! »
— A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille….
Hurra ! les morts vont vite….. — Oh mon
Dieu ! laisse en paix les morts.
— » Courage, mon cheval noir. Je crois
que le coq chante : le sablier bientôt sera
tout écoulé….. Je sens l’air du matin
Mon cheval , hâte-toi….. Finie , finie est
notre course ! J’aperçois notre demeure….
Les morts vont vite….. Nous voici ! »
Il s’élance à bride abattue contre une
grille en fer, la frappe légèrement d’un
coup de cravache….. Les verroux se brisent,
les deux battants se retirent en gémissant.
L’élan du cheval l’emporte parmi
des tombes qui, à l’éclat de la lune, apparaissent de tous côtés.
Ah ! voyez !… au même instant s’opère
un effrayant prodige : hou ! hou ! le manteau
du cavalier tombe pièce à pièce
comme de l’amadou brûlée ; sa tête n’est
plus qu’une tête de mort décharnée, et
son corps devient un squelette qui tient
une faux et un sablier.
Le cheval noir se cabre furieux, vomit
des étincelles, et soudain….. hui ! s’abîme
et disparaît dans les profondeurs de la
terre : des hurlements , des hurlements
descendent des espaces de l’air, des gémissements
s’élèvent des tombes souterraines…..
Et le cœur de Lénore palpitait
de la vie à la mort.
Et les esprits, à la clarté de la lune, se
formèrent en rond autour d’elle, et dansèrent
chantant ainsi : « Patience ! patience !
quand la peine brise ton cœur, ne blasphème<ref>WS : blasphême -> blasphème</ref>
jamais le Dieu du ciel ! Voici ton
corps délivré….. que Dieu fasse grâce à
ton âme ! »
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