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quelque liberté. Nous courons à peu pres mesme fortune. Ils sont trop extremes en contrainte, nous en licence. C'est un bel usage de nostre nation que, aux bonnes maisons, nos enfans soyent receuz pour y estre nourris et eslevez pages comme en une escole de noblesse. Et est discourtoisie, dict-on, et injure d'en refuser un gentil'homme. J'ay aperçeu (car autant de maisons, autant de divers stiles et formes) que les dames qui ont voulu donner aux filles de leur suite les reigles plus austeres, n'y ont pas eu meilleure advanture. Il y faut de la moderation; il faut laisser bonne partye de leur conduite à leur propre discretion: car, ainsi comme ainsi, n'y a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts. Mais il est bien vray que celle qui est eschappée, bagues sauves, d'un escolage libre, aporte bien plus de fiance de soy que celle qui sort saine d'une escole severe et prisonniere. Nos peres dressoyent la contenance de leurs filles à la honte et à la crainte (les courages et les desirs estoyent pareils); nous, à l'asseurance: nous n'y entendons rien. C'est aux Sauromates, qui n'ont loy de coucher avec homme, que, de leurs mains, elles n'en ayent tué un autre en guerre. A moy, qui n'y ay droit que par les oreilles, suffit si elles me retiennent pour le conseil, suyvant le privilege de mon aage. Je leur conseille donc, comme à nous, l'abstinence, mais, si ce siècle en est trop ennemy, au-moins la discretion et la modestie. Car, comme dict le compte d'Aristippus parlant à des jeunes gens qui rougissoient de le veoir entrer chez une courtisane: Le vice est de n'en pas sortir, non pas d'y entrer. Qui ne veut exempter sa conscience, qu'elle exempte son nom: si le fons n'en vaut guiere, que l'apparence tienne bon. Je loue la gradation et la longueur en la dispensation de leurs faveurs. Platon montre qu'en toute espece d'amour la facilité et promptitude est interdicte aux tenants. C'est un traict de gourmandise, laquelle il faut qu'elles couvrent de toute leur art, de se rendre ainsi temerairement en gros et tumultuairement. Se conduisant, en leur dispensation, ordonéement et mesuréement, elles pipent bien mieux nostre desir et cachent le leur. Qu'elles fuyent tousjours devant nous, je dis celles mesmes qui ont à se
quelque liberté. Nous courons à peu pres mesme fortune. Ils sont trop extremes en contrainte, nous en licence. C’est un bel usage de nostre nation que, aux bonnes maisons, nos enfans soyent receuz pour y estre nourris et eslevez pages comme en une escole de noblesse. Et est discourtoisie, dict-on, et injure d’en refuser un gentil’homme. J’ay aperçeu (car autant de maisons, autant de divers stiles et formes) que les dames qui ont voulu donner aux filles de leur suite les reigles plus austeres, n’y ont pas eu meilleure advanture. Il y faut de la moderation ; il faut laisser bonne partye de leur conduite à leur propre discretion : car, ainsi comme ainsi, n’y a il discipline qui les sçeut brider de toutes parts. Mais il est bien vray que celle qui est eschappée, bagues sauves, d’un escolage libre, aporte bien plus de fiance de soy que celle qui sort saine d’une escole severe et prisonniere. Nos peres dressoyent la contenance de leurs filles à la honte et à la crainte (les courages et les desirs estoyent pareils) ; nous, à l’asseurance : nous n’y entendons rien. C’est aux Sauromates, qui n’ont loy de coucher avec homme, que, de leurs mains, elles n’en ayent tué un autre en guerre. A moy, qui n’y ay droit que par les oreilles, suffit si elles me retiennent pour le conseil, suyvant le privilege de mon aage. Je leur conseille donc, comme à nous, l’abstinence, mais, si ce siècle en est trop ennemy, au-moins la discretion et la modestie. Car, comme dict le compte d’Aristippus parlant à des jeunes gens qui rougissoient de le veoir entrer chez une courtisane : Le vice est de n’en pas sortir, non pas d’y entrer. Qui ne veut exempter sa conscience, qu’elle exempte son nom : si le fons n’en vaut guiere, que l’apparence tienne bon. Je loue la gradation et la longueur en la dispensation de leurs faveurs. Platon montre qu’en toute espece d’amour la facilité et promptitude est interdicte aux tenants. C’est un traict de gourmandise, laquelle il faut qu’elles couvrent de toute leur art, de se rendre ainsi temerairement en gros et tumultuairement. Se conduisant, en leur dispensation, ordonéement et mesuréement, elles pipent bien mieux nostre desir et cachent le leur. Qu’elles fuyent tousjours devant nous, je dis celles mesmes qui ont à se