« Le Parnasse contemporain/1876/Chanson de janvier » : différence entre les versions

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Ô le clair matin, la belle gelée !
Elle allait me quitter ; c’était pour très-longtemps.
Un soleil d’argent sur la plaine blanche
Oh ! comme le cœur bat dans ces derniers instants.
Verse une clarté frileuse et voilée :
Les départs du matin font souffrir : on s’éveille
On sonne la messe à toute volée :
De la nuit plein le cœur, quand l’aurore est vermeille,
Ô la bonne bise, ô le beau dimanche !
Quand l’azur rajeuni devient rose et lilas ;
 
On a les yeux gonflés : on est pâle, on est las ;
Sur les arbres morts aux ramures nues
La maison prend un air de deuil ; toutes les choses
En fins diamants resplendit le givre.
Sont tristes, les volets fermés, les portes closes,
L’azur froid scintille à travers les nues,
Les fleurs qui vont sécher dans leurs vases, les clés
Voilà mes gaîtés soudain revenues
Que l’on groupe en trousseaux, les sacs qui sont bouclés ;
Mon sang se réveille et je me sens vivre.
Les fauteuils bien rangés, le piano solitaire,
 
Et le petit jardin désormais sans mystère.
Adieu les couchants tout rayés de pluie,
Je m’assis au salon, dans un coin : j’étais là
Et les pleurs brouillés des mornes aurores
Morne ; alors, elle vint, charmante, et me parla
Les grands horizons brillent, et j’oublie
De résignation, d’espoir et de courage.
Les soirs gris trempés de mélancolie,
Je sentais s’amasser mes pleurs comme un orage.
Sur le sol durci des routes sonores.
J’étouffais ; ses baisers même étaient superflus ;
 
Et craignant d’éclater je ne lui parlais plus.
Allons respirer l’air de la prairie.
Et je pensais : tout va se couvrir de poussière,
Sous les glaçons bleus chantent les fontaines ;
Tout est clos, plus de jour, le soir plus de lumière ;
C’est de purs cristaux que l’herbe est fleurie ;
On a roulé les peaux de tigre où si souvent
Mon cœur allégé vibre et se marie
Devant un beau feu gai je m’étendais rêvant ;
Aux frais carillons des cloches lointaines.
Sur son marbre glacé notre thé de vieux Sèvres
Oublié, dormira longtemps loin de mes lèvres ;
Et bientôt la pendule, au bruit sec et charmant,
Abandonnée aussi se taira brusquement.
J’attendais : le départ est moins dur que l’attente ;
Je souffrais sourdement. Mon âme haletante
Avait des soubresauts comme un oiseau blessé :
Je ne pouvais encor m’arracher au passé
Et mon amour, enfant gâté de l’habitude,
S’était mis à trembler devant la solitude.
Muet, le dos courbé, la tête dans ma main,
Je songeais au réveil amer du lendemain !
Oh ! combien de repas sans gaîté, de soirées
Sans musique ! Combien de nuits désespérées !
Et je la maudissais et j’étais irrité
De l’entendre marcher dans la chambre à côté !
Mais l’heure avait sonné : ce n’était point la peine
De troubler nos adieux par une ombre de haine.
Et lassé de souffrir, me levant brusquement,
Je courus l’embrasser avec emportement.
Ô les derniers regards ! ô les dernières fièvres !
Les pleurs chauds et salés se mêlant sur les lèvres,
Le cœur qui vous fait mal, les sanglots contenus
Et les baisers poignants jusqu’alors inconnus !
Je ne sais plus combien dura cette torture,
Mais quand je me trouvai tout seul, quand la voiture
Disparut tout à coup au coin du boulevard,
Je suivis le trottoir, distrait et l’œil hagard.
Les toits fumaient : Paris commençait sa journée
Par une éblouissante et fraîche matinée.
Mais j’étais étonné qu’on fût laborieux,
Et, tout froissé de voir les passants si joyeux,
Je désirais la nuit profonde, la nuit noire.
Tout se transfigurait au fond de ma mémoire,
Et les clairs souvenirs des beaux jours envolés,
Qui me semblaient n’avoir jamais été troublés,
Apparaissaient sans tache à mon âme meurtrie
Ainsi qu’aux exilés celui de la patrie.
 
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