« De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie » : différence entre les versions

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Considère le troupeau qui pait auprès de toi: il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui, il bondit çà et là, il bâfre, se repose, rumine, refait des bonds et ce, du matin jusqu'au soir et jour après jour, attaché, serré par son plaisir et son déplaisir au pieu de l'instant, ce qui lui évite tristesse et lassitude. Cette vision est difficile à soutenir pour l'homme, car, s'il se targue de son humanité face à l'animal, il louche quand même avec envie sur son bonheur, car, ce qu'il veut à l'instar de cet animal - vire sans tristesse ni lasssitude -, lui seul le veut, et , s'il le veut, c'est en vain puisqu'il ne le veut pas au sens de l'animal. Voici qu'un beau jour l'homme lui demanda: pourquoi ne me parles-tu pas de ton bonheur, au lieu de rester à me regarder? L'animal aurait bien voulu répondre en disant: cela tient à ce que j'oublie toujours à l'instant même ce que je voulais dire - mais il oublia jusqu'à cette réponse et il se tut: si bien que l'homme commença à se poser des questions.
Mais il s’étonnas'en aussipose detout lui-même,autant parcesur qu’ilsa nepropre pouvaitincapacité pasà apprendre àl'oubli, oubliersur etsa qu’ilcontinuelle restaitdépendance sansenvers cessele accrochépasssé au: passé.il Quoia qu’il fasse, qu’il s’en aillebeau courir auplus loin, qu’ilplus hâte le pasvite, toujours la chaîne court avec lui. C’estC'est uneun merveillesortilège : le momentl'instant est làqui, en un clin d’œiléclair, enest un clinet d’œiln'y ilest disparaît.plus, Avantqui c’estest leun néant,rien aprèsjuste c’estavant leet néantjuste après, maisrevient lepourtant momentcomme revientun pourspectre troubleret ledérange reposla duquiétude momentde àl'instant venirsuivant. Sans cesse une page se détache duun feuillet au rôlerouleau du temps, elleil s’abat,tombe vaet flotters'envole, auet loin,lui pour revenir,retombe pousséebrusquement sur lesses genoux de l’hommed'homme. Alors l’hommeL'homme dit : «alors Je"je me souviens." »et Etenvie il imite l’animall'aniaml qui oublie aussitôtausssitôt et qui voit chaque momentinstant mourirvraiment véritablementmourir, retournersombrer àdans le brouillard et la nuit et s’éteindredisparaître à jamais. C’estDonc ainsi que l’animall'animal vit d’une façon ''nonde historiquemanière anhistorique'' : car il se réduitrésout dans le temps,présent semblable àcomme un nombre,chiffre qui se divise sans qu’illaisser de reste uneirrégulier, fraction bizarre. Ilil ne sait pas simuler, ilet ne cache rien et apparaîtapparait toujoursà pareilchaque àmoment lui-même,pour sace sincéritéqu'il est doncpurement involontaire.et L’hommesimplement, paret contre,ne s’arcpeut faire autrement qu'être lui-boutemême. Par contre, lel'homme s'adonne à la poidscharge toujours plus lourdgrande du passé. Ce: poidselle l’accablel'écrase ou l’inclinele surfait le côtéverser, ilelle alourdit sonsa pas,marche telcomme un balot invisible et obscursombre, fardeau.qu'il Ilne peut lefaire reniersemblant ende apparence,nier ceet qu’ilne aimenie àque fairetrop envolontiers présencedans le commerce de ses semblables, afin: pour d’éveillersusciter leur jalousieenvie. C’est pourquoiAussi il est émus'émeut, comme s’ils'il se souvenait dud'un paradis perdu, lorsqu’ilà voitvoir le troupeau auqui pâturage,pait ou aussibien, toutplus prèsproche deet lui, dans un commerceplus familier, l’enfantl'enfant, qui n’an'a pas encore rien à reniernier dule passé et, qui, joue entre les enclosbarrières d’hierdu passé et ceux de demain,l'avenir se livre à ses jeux dansavec un bienheureux aveuglement. EtPourtant pourtantil l’enfantfaudra nebien peutque toujoursson jouerjeu sansse êtretrouble, assailliet deil troubles.sera Troptrop tôt ontiré lede faitson sortir de l’oublioubli. AlorsIl ilapprendra apprendalors à comprendrecomprenre le mot « il "c'était »", ce motsésame dequi ralliementlivre avecl'homme lequelau la luttecombat, à la souffrancedouleur et leà dégoût s’approchent dela l’hommelassitude, pour lui faire souvenir derappeler ce quequ'est sonle existencefond estde auson fondexistance :- un imparfait àqui jamaisne imperfectibles'accomplira jamais. Quand enfinSi la mort apportefinit l’oublipar tantapporter désirél'oubli auquel il aspire, ellec'est dérobeen aussidétruisant à la fois le présent et lal'existance vie. Elle apposeet en mêmeposant tempsles son sceausceaux sur cettece convictionsavoir que: l’existencel'existance n’estcomme qu’unesimple successionavoir-été ininterrompue d’événements passésininterrompu, unecette chose qui vit de se nierdénier et de se détruire elle-mêmes'autodévorer, de se contredire sans cesseelle-même.
 
Si c’est un bonheur, un besoin avide de nouveau bonheur qui, dans un sens quelconque, attache le vivant à la vie et le pousse à continuer à vivre, aucun philosophe n’a peut-être raison autant que le cynique car le bonheur de la bête, qui est la forme la plus accomplie du cynisme, est la preuve vivante des droits du cynique. Le plus petit bonheur, pourvu qu’il reste ininterrompu et qu’il rende heureux, renferme, sans conteste, une dose supérieure de bonheur que le plus grand qui n’arrive que comme un épisode, en quelque sorte par fantaisie, telle une idée folle, au milieu des ennuis, des désirs et des privations. Mais le plus petit comme le plus grand bonheur sont toujours créés par une chose : le pouvoir d’oublier, ou, pour m’exprimer en savant, la faculté de sentir, abstraction faite de toute idée historique, pendant toute la durée du bonheur. Celui qui ne sait pas se reposer sur le seuil du moment, oubliant tout le passé, celui qui ne sait pas se dresser, comme le génie de la victoire, sans vertige et sans crainte, ne saura jamais ce que c’est que le bonheur, et, ce qui pis est, il ne fera jamais rien qui puisse rendre heureux les autres. Imaginez l’exemple le plus complet : un homme qui serait absolument dépourvu de la faculté d’oublier et qui serait condamné à voir, en toute chose, le devenir. Un tel homme ne croirait plus à son propre être, ne croirait plus en lui-même. Il verrait toutes choses se dérouler en une série de points mouvants, il se perdrait dans cette mer du devenir. En véritable élève d’Héraclite il finirait par ne plus oser lever un doigt. Toute action exige l’oubli, comme tout organisme a besoin, non seulement de lumière, mais encore d’obscurité. Un homme qui voudrait ne sentir que d’une façon purement historique ressemblerait à quelqu’un que l’on aurait forcé de se priver de sommeil, ou bien à un animal qui serait condamné à ruminer sans cesse les mêmes aliments. Il est donc possible de vivre sans presque se souvenir, de vivre même heureux, à l’exemple de l’animal, mais il est absolument impossible de vivre sans oublier. Si je devais m’exprimer, sur ce sujet, d’une façon plus simple encore, je dirais : ''il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit à l’être vivant et finit par l’anéantir, qu’il s’agisse d’un homme, d’un peuple ou d’une civilisation.''