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466 REVUE DES DEUX MONDES

L'alliance de deux génies, unissant leurs forces pour mieux travailler
L’alliance de deux génies, unissant leurs forces pour mieux travailler
à la réalisation d'un double « plan » : telle était la conception que se
à la réalisation d’un double « plan » : telle était la conception que se
faisait Nietzsche de ses relations avec Richard Wagner. Quoi d'étonnant,
faisait Nietzsche de ses relations avec Richard Wagner. Quoi d’étonnant,
après cela, que l'affectueuse indifférence de son « allié » pour son plan
après cela, que l’affectueuse indifférence de son « allié » pour son plan
à lui l'ait de plus en plus froissé et peiné? Il se résignait à mêler le
à lui l’ait de plus en plus froissé et peiné ? Il se résignait à mêler le
nom de Wagner au « grand problème grec » , et Wagner ne voyait dans
nom de Wagner au « grand problème grec » , et Wagner ne voyait dans
son livre qu'un plaidoyer wagnérien ! Il rêvait la fondation d'un « paga-
son livre qu’un plaidoyer wagnérien ! Il rêvait la fondation d’un « paganisme allemand », et Wagner l’entretenait du progrès des répétitions,
nisme allemand », et Wagner l'entretenait du progrès des répétitions,
à Bayreulh, ou bien le complimentait de sa « flamme » et de son
à Bayreulh, ou bien le complimentait de sa « flamme » et de son
« humour » 1 II décrivait, dans ses essais, l'image idéale qu'il se formait
« humour » ! Il décrivait, dans ses essais, l’image idéale qu’il se formait
de lui-même, et Wagner lui répondait affectueusement que la lecture
de lui-même, et Wagner lui répondait affectueusement que la lecture
de ces essais lui faisait perdre son temps, le retardait pour l'instrumen-
de ces essais lui faisait perdre son temps, le retardait pour l’instrumentation du <i>Crépuscule des dieux !</i> Le malentendu se prolongeait, s’accentuait entre eux.

tation du Crépuscule des dieux! Le malentendu se prolongeait, s'accen-
Il était arrivé à son comble en 1876, lorsque Nietzsche, après la publication de son essai : <i>Wagner à Bayreuth</i>, était venu aux répétitions de
tuait entre eux.
l’<i>Anneau des Nibelung</i>. Cet essai, dont Wagner s’était presque borné à
Il était arrivé à son comble en 1876, lorsque Nietzsche, après la publi-
lui accuser réception, c’était à son avis ime œuvre d’une portée énorme ;
cation de son essai : Wagner à Bayreuth, était venu aux répétitions <
elle valait davantage, à elle seule, pour la consécration de l’entreprise
V Anneau des Nibelung. Cet essai, dont Wagner s'était presque borné a
lui accuser réception, c'était à son avis ime œuvre d'une portée énorme ;
elle valait davantage, à elle seule, pour la consécration de l'entreprise
wagnérienne, que les applaudissemens de la foule et la faveur des
wagnérienne, que les applaudissemens de la foule et la faveur des
souverains. Nietzsche y avait, suivant son expression, « sonné la cloche »
souverains. Nietzsche y avait, suivant son expression, « sonné la cloche »
pour Richard Wagner. Et il était forcé de constater que Wagner lui-
pour Richard Wagner. Et il était forcé de constater que Wagner lui-même l’avait à peine entendu.

même l'avait à peine entendu.
Aussi n'imagine-t-on pas le supplice que furent pour lui ces répé-
Aussi n’imagine-t-on pas le supplice que furent pour lui ces répétitions de Bayreuth, dont Wagner avait espéré qu’elles lui seraient
titions de Bayreuth, dont Wagner avait espéré qu'elles lui seraient
une récompense. Il écrivait bien à sa sœur, le lendemain de son arrivée,
une récompense. Il écrivait bien à sa sœur, le lendemain de son arrivée,
que le roi de Bavière avait télégraphié pour témoigner du c ravisse-
que le roi de Bavière avait télégraphié pour témoigner du « ravissement » que lui avait causé la lecture de son livre. Mais, sauf Louis II,
qui lui-même sans doute ne s’en souciait guère, personne ne se souciait du livre, ni de l’auteur. Un seul homme, une seule œuvre absorbaient toutes les pensées.
ment » que lui avait causé la lecture de son livre. Mais, sauf Louis II,

qui lui-même sans doute ne s'en souciait guère, personne ne se sou-
Ou plutôt il ne faut pas croire que l’amère et profonde désillusion de
ciait du Uvre, ni de l'auteur. Un seul homme, une seule œuvre absor-
Nietzsche lui soit venue du peu d’attention qu’on accordait à son livre.
baient toutes les pensées.
Ou plutôt il ne faut pas croire que l'amère et profonde désillusion de
Nietzsche lui soit venue du peu d'attention qu'on accordait à son Uvre.
Son orgueU était plus haut, et plus légitime. Il aurait voulu que Wagner
Son orgueU était plus haut, et plus légitime. Il aurait voulu que Wagner
et le monde wagnérien reconnussent la part qu'il avait prise à cette
et le monde wagnérien reconnussent la part qu’il avait prise à cette
œuvre même, dont on acclamait la consécration. Il avait l'impression
œuvre même, dont on acclamait la consécration. Il avait l’impression
d'avoir collaboré avec Wagner, en élevant pour ainsi dire cette entre-
d’avoir collaboré avec Wagner, en élevant pour ainsi dire cette entreprise théâtrale jusqu’à la dignité d’une révolution esthétique et philosophique. Et l’<i>Anneau des Nibelung</i> n’était à ses yeux qu’un début,
prise théâtrale jusqu'à la dignité d'une révolution esthétique et philo-
sophique. Et V Anneau des Nibelung n'était à ses yeux qu'un début,
quelque chose comme ce « pont » par oii il avait rêvé de conduire
quelque chose comme ce « pont » par oii il avait rêvé de conduire