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autour de soi. La solitude est enveloppée de sept voiles, rien

' ECCE HOMO63autour de soi. La solitude est enveloppée de sept voiles, rien
ne les traverse plus. On vient parmi les hommes, on salue des
amis : ce n’est qu’un nouveau désert, car aucun regard ne vous
fait signe. Au meilleur cas, on rencontre une sorte de révolte.
J’ai constaté une pareille révolte, en une mesure très varia¬
ble, mais presque de la part de chacun de ceux qui mê tou¬
chaient de près. Il semble que rien n’offense plus que de
faire observer brusquement qu’il y a une distance. Les natu¬
res nobles qui ne savent pas vivre sans aussi vénérer sont
rares.II y a une troisième chose encore, c’est cette absurde irri-
’ tabilité de la peau à l’égard des petites piqûres. On éprouve
une sorte de détresse devant toutes les petites choses. Gela
semble tenir à cet énorme gaspillagede toutes les forces défen¬
sives qui est une des condilionsde toute action créatrice, toute
action qui tire son origine de ce qu’il y a de plus particu¬
lier, de plus intime, de plus profond. Les petites capacités
défensives sont ainsi abolies en quelque sorte; elles ne sont
plus alimentées.J’ose encore indiquer que l’on digère plus mal, que l’on
n’aime pas à se mouvoir, que l’on est exposé aux sensations
de froid et aux sentiments de méfiance, — car la méfiance n’est
dans beaucoup de cas qu’une erreur étiologique. Me trouvant
un jour dans un état semblable, l’approche d’un troupeau de
vaches provoqua chez moi le retour de sentiments plus doux
et plus humains, avant même qu’il ne fût possible dè l’aperce¬
voir. Cela communique de la chaleur...6.Cette œuvre est absolument à part. Ne parlons pas ici des
poètes. Il se peut que jamais rien n’ait été créé avec ùne
pareille abondance de force. Ma conception du « dionysien »
devint ici un acte d’éclat. Evalué à sa mesure tout le reste«des actions humaines apparaît comme pauvre et sans liberté.
Qu’un Gœthe, un Shakespeare ne sauraient respirer seule¬
ment un instant dans cette atmosphère de passion formidable
et d’altitude vertigineuse ; que Dante, si on le compare à Zara¬
thoustra, n’est qu’un croyant, et non point quelqu’un qui crée
d’abord la vérité, un esprit qui domine le monde, une fatalité—t; que les poètes des Veda sont des prêtres,indignes mêmede
ne les traverse plus. On vient parmi les hommes, on salue des

amis : ce n’est qu’un nouveau désert, car aucun regard ne vous

fait signe. Au meilleur cas, on rencontre une sorte de révolte.

J’ai constaté une pareille révolte, en une mesure très
variable, mais presque de la part de chacun de ceux qui me
touchaient de près. Il semble que rien n’offense plus que de

faire observer brusquement qu’il y a une distance. Les
natures nobles qui ne savent pas vivre sans aussi vénérer sont
rares.

II y a une troisième chose encore, c’est cette absurde
irritabilité de la peau à l’égard des petites piqûres. On éprouve

une sorte de détresse devant toutes les petites choses. Cela

semble tenir à cet énorme gaspillagede toutes les forces
défen
sives qui est une des condilions de toute action ''créatrice'', toute

action qui tire son origine de ce qu’il y a de plus
particulier, de plus intime, de plus profond. Les petites capacités

défensives sont ainsi abolies en quelque sorte ; elles ne sont

plus alimentées.

J’ose encore indiquer que l’on digère plus mal, que l’on

n’aime pas à se mouvoir, que l’on est exposé aux sensations

de froid et aux sentiments de méfiance, — car la méfiance n’est

dans beaucoup de cas qu’une erreur étiologique. Me trouvant

un jour dans un état semblable, l’approche d’un troupeau de

vaches provoqua chez moi le retour de sentiments plus doux

et plus humains, avant même qu’il ne fût possible de
l’apercevoir. Cela communique de la chaleur...

{{Centré|6.}}

Cette œuvre est absolument à part. Ne parlons pas ici des

poètes. Il se peut que jamais rien n’ait été créé avec une

pareille abondance de force. Ma conception du « dionysien »

devint ici un <i>acte d’éclat</i>. Évalué à sa mesure tout le reste
des actions humaines apparaît comme pauvre et sans liberté.

Qu’un Gœthe, un Shakespeare ne sauraient respirer
seulement un instant dans cette atmosphère de passion formidable

et d’altitude vertigineuse ; que Dante, si on le compare à
Zarathoustra, n’est qu’un croyant, et non point quelqu’un qui crée

d’abord la vérité, un esprit qui domine le monde, une fatalité
— ; que les poètes des Veda sont des prêtres, indignes même de