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Chapitre LVII
Un grand obstacle
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L’Inca, ce bon navire dont j’habitais la cale, était construit comme la plupart des bâtiments de son époque. Afin d’éluder une partie de la taxe, il avait la poitrine d’un pigeon, d’énormes flancs qui dépassaient de beaucoup les baux, et qui, vus d’en bas, se refermaient au-dessus de vous comme une toiture. C’était d’ailleurs la forme de tous les navires marchands qui fréquentaient nos parages.

Vous vous rappelez qu’au-dessus de la caisse où j’étais parvenu, il se trouvait un ballot que je supposais rempli de toile; en explorant avec soin toutes les fentes de ma boîte, je découvris que ce ballot, que j’avais cru plus considérable, n’occupait pas tout le dessus du couvercle; il s’en fallait à peu près de trente centimètres, et à l’endroit où il cessait, je ne rencontrais plus rien; c’était le côté de la caisse qui touchait à la membrure du navire, et j’en conclus que cet espace était vide.

La chose est facile à comprendre: le ballot se trouvait à l’endroit où les côtes du bâtiment commençaient à se courber, il les touchait par son extrémité supérieure, et laissait nécessairement un vide de forme triangulaire entre le couvercle qui lui servait de base et le point où il rencontrait la charpente.

Ce fut pour moi un trait de lumière; il est certain que si j’avais continué mon ascension en ligne directe, je serais arrivé, comme le sommet du ballot, à me trouver en contact avec les flancs du navire, dont la courbe se prononçait de plus en plus à mesure qu’ils approchaient du pont. Avant de les rencontrer, j’aurais eu affaire à tous les petits objets qu’on avait dû placer dans les angles formés par la carcasse du navire, et qui m’auraient donné bien plus de peine que les grandes caisses de sapin, ou les ballots plus importants. Cette raison, jointe à celles dont j’ai déjà parlé, me déterminait à quitter la ligne droite pour suivre la diagonale.

Vous êtes peut-être surpris de me voir employer un temps précieux à faire tous ces calculs; mais si vous réfléchissez au travail que j’allais entreprendre, à la difficulté de me frayer un passage à travers les parois de la caisse, de m’ouvrir la voisine, et tous les colis suivants, quand vous songerez qu’il me fallait tout un jour pour avancer d’un échelon, vous comprendrez qu’il était indispensable de ne pas agir à la légère, et de s’orienter avec soin pour ne pas faire fausse route.

Ensuite je fus bien moins long à choisir la direction que je voulais prendre, qu’à vous expliquer les motifs qui m’y déterminèrent; cela ne demanda pas plus de quelques minutes; et si je restai une demi-heure sans travailler, c’est que j’avais besoin de repos, et que je jouissais avec délices de me sentir sur mes jambes et de redresser la tête.

Quand je fus suffisamment reposé, je me hissai dans la caisse supérieure, et me disposai à reprendre ma besogne.

Je tressaillis de joie en me trouvant dans cette caisse; j’avais gagné le second étage de la cargaison, j’étais à plus de deux mètres du fond de la cale, et à un mètre plus haut que je n’avais encore atteint, c’est-à-dire plus près des hommes, du jour et de la liberté.

Comme je l’ai déjà dit, les planches que j’avais en face de moi étaient presque détachées, par suite des efforts que j’avais faits pour ôter les pièces d’étoffe; je sentais en outre que l’objet qui était de l’autre côté de la caisse en était éloigné de sept ou huit centimètres, car c’est tout au plus si je parvenais à le toucher avec la pointe de mon couteau. L’avantage était évident, cela me donnait plus de jeu, partant plus de force, pour démolir la paroi que j’avais à renverser.

Effectivement, botté à cette intention, je me couchai sur le dos et donnai du pied contre la planche.

Des craquements successifs m’annoncèrent que les clous avaient cédé; je continuai mes efforts, la planche se détacha tout à fait et glissa entre les deux caisses.

Aussitôt je passai la main par la brèche qui s’ensuivit, afin de reconnaître ce qui venait ensuite; je ne sentis que le bois rugueux d’une autre caisse d’emballage, et ne pus deviner ce que renfermait ce nouveau colis.

Le reste des planches, qui complétaient la paroi que j’étais en train d’abattre, suivit la précédente; et je pus continuer mon examen: la surface dont j’avais exploré une partie, s’étendait, à ma grande surprise, beaucoup plus loin que mes bras ne pouvaient atteindre, et cela dans tous les sens; elle se dressait comme un mur, bien au delà des limites de la boîte où je me trouvais alors, et il m’était impossible de deviner où elle s’arrêtait.

Que ce fût un colis d’une dimension démesurée, j’en avais la certitude; mais que pouvait-il contenir? Je ne m’en doutais même pas. Était-ce du drap? la caisse aurait été pareille aux autres: néanmoins ce n’était pas de la toile, et j’en étais bien aise.

J’introduisis mon couteau dans les fentes du sapin, et je sentis quelque chose qui ressemblait à du papier; mais ce n’était qu’une enveloppe, car après avoir traversé l’emballage, la pointe de mon couteau s’arrêta sur un objet aussi poli que du marbre. J’appuyai avec force, et je compris que ce n’était pas de la pierre, mais un bois dur et très-lisse. Je donnai un coup violent pour y enfoncer ma lame: un bruit singulier me répondit, un son prolongé qui, cependant, ne m’apprenait pas quel objet cela pouvait être.

La seule chose à faire pour le savoir était d’ouvrir la caisse et d’en examiner le contenu.

Je suivis le procédé qui m’avait déjà servi, et coupai en travers l’une des planches dont cette énorme caisse était faite. J’eus infiniment de peine et fus au moins quatre ou cinq heures à pratiquer cette ouverture; mon couteau ne coupait plus et ma tâche en devenait plus difficile.

Je finis pourtant par compléter la section, et par détacher la partie inférieure de la planche que je fis tomber entre les deux caisses; la seconde moitié suivit la première, et j’eus une ouverture assez grande pour fouiller dans l’intérieur de cette boîte gigantesque.

De monstrueuses feuilles de papier recouvraient la surface d’un corps volumineux et résistant; j’arrachai cette enveloppe, et mes doigts glissèrent le long d’un objet poli comme un miroir; mais ce n’était pas une glace, car ayant frappé cet objet d’un revers de main, il résonna comme il avait fait une première fois; je donnai un coup plus fort et j’entendis une vibration harmonieuse, qui me fit penser à une harpe éolienne.

C’était un piano qui se trouvait dans la grande caisse, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Il y en avait un dans notre petit parloir; ma mère en tirait des sons mélodieux; c’est encore aujourd’hui l’un de mes plus doux souvenirs, et je reconnaissais les vibrations qui m’avaient ému jadis. Cette grande table unie, où coulaient mes doigts comme sur du verre, n’était ni plus ni moins que la caisse de l’instrument.


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