« Curiosités esthétiques/Salon de 1845 » : différence entre les versions

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Enfin, disons-le, car personne ne le dit, ce tableau est parfaitement bien dessiné, parfaitement bien modelé. - Le public se fait-il bien une idée de la difficulté qu'il y a à modeler avec de la couleur? La difficulté est double, - modeler avec un seul ton, c'est modeler avec une estompe, la difficulté est simple; - modeler avec de la couleur, c'est dans un travail subit, spontané, compliqué, trouver d'abord la logique des ombres et de la lumière, ensuite la justesse et l'harmonie du ton; autrement dit, c'est, si l'ombre est verte et une lumière rouge, trouver du premier coup une harmonie de vert et de rouge, l'un obscur, l'autre lumineux, qui rendent l'effet d'un objet monochrome et tournant.
 
Ce tableau est parfaitement bien dessiné. Faut-il, à propos de cet énorme paradoxe, de ce blasphème impudent, répéter, réexpliquer ce que M. Gautier s'est donné la peine d'expliquer dans un de ses feuilletons de l'année dernière, à propos de M. Couture - car M. Th. Gautier, quand les oeuvresœuvres vont bien à son tempérament et à son éducation littéraires, commente bien ce qu'il sent juste - à savoir qu'il y a deux genres de dessins, le dessin des coloristes et le dessin des dessinateurs? Les procédés sont inverses; mais on peut bien dessiner avec une couleur effrénée, comme on peut trouver des masses de couleur harmonieuses, tout en restant dessinateur exclusif.
 
Donc, quand nous disons que ce tableau est bien dessiné, nous ne voulons pas faire entendre qu'il est dessiné comme un Raphaël; nous voulons dire qu'il est dessiné d'une manière impromptue et spirituelle; que ce genre de dessin, qui a quelque analogie avec celui de tous les grands coloristes, de Rubens par exemple, rend bien, rend parfaitement le mouvement, la physionomie, le caractère insaisissable et tremblant de la nature, que le dessin de Raphaël ne rend jamais. - Nous ne connaissons, à Paris, que deux hommes qui dessinent aussi bien que M. Delacroix, l'un d'une manière analogue, l'autre dans une méthode contraire. - L'un est M. Daumier, le caricaturiste; l'autre, M. Ingres, le grand peintre, l'adorateur rusé de Raphaël. - Voilà certes qui doit stupéfier les amis et les ennemis, les séides et les antagonistes; mais avec une attention lente et studieuse, chacun verra que ces trois dessins différents ont ceci de commun, qu'ils rendent parfaitement et complètement le côté de la nature qu'ils veulent rendre, et qu'ils disent juste ce qu'ils veulent dire. - Daumier dessine peut-être mieux que Delacroix, si l'on veut préférer les qualités saines, bien portantes, aux facultés étranges et étonnantes d'un grand génie malade de génie; M. Ingres, si amoureux du détail, dessine peut-être mieux que tous les deux, si l'on préfère les finesses laborieuses à l'harmonie de l'ensemble, et le caractère du morceau au caractère de la composition, mais ..........................................
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Que M. William Haussoullier ne soit point surpris, d'abord, de l'éloge violent que nous allons faire de son tableau, car ce n'est qu'après l'avoir consciencieusement et minutieusement analysé que nous en avons pris la résolution; en second lieu, de l'accueil brutal et malhonnête que lui fait un public français, et des éclats de rire qui passent devant lui. Nous avons vu plus d'un critique, important dans la presse, lui jeter en passant son petit mot pour rire - que l'auteur n'y prenne pas garde. - Il est beau d'avoir un succès à la Saint-Symphorien.
 
Il y a deux manières de devenir célèbre: par agrégation de succès annuels, et par coup de tonnerre. Certes le dernier moyen est le plus original. Que l'auteur songe aux clameurs qui accueillirent le Dante et Virgile, et qu'il persévère dans sa propre voie; bien des railleries malheureuses tomberont encore sur cette oeuvreœuvre, mais elle restera dans la mémoire de quiconque a de l'oeil et du sentiment; puisse son succès aller toujours croissant, car il doit y avoir succès.
 
Après les tableaux merveilleux de M. Delacroix, celui-ci est véritablement le morceau capital de l'Exposition; disons mieux, il est, dans un certain sens toutefois, le tableau unique du Salon de 1845; car M. Delacroix est depuis longtemps un génie illustre, une gloire acceptée et accordée; il a donné cette année quatre tableaux; M. William Haussoullier hier était inconnu, et il n'en a envoyé qu'un.
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Le dessin, on le devine, est aussi d'une grande volonté et d'une grande finesse; les têtes ont un joli caractère. - Les attitudes sont toutes bien trouvées. - L'élégance et la distinction sont partout le signe particulier de ce tableau.
 
Cette oeuvreœuvre aura-t-elle un succès prompt? Nous l'ignorons. - Un public a toujours, il est vrai, une conscience et une bonne volonté qui le précipitent vers le vrai; mais il faut le mettre sur une pente et lui imprimer l'élan, et notre plume est encore plus ignorée que le talent de M. Haussoullier.
 
Si l'on pouvait, à différentes époques et à diverses reprises, faire une exhibition de la même oeuvreœuvre, nous pourrions garantir la justice du public envers cet artiste.
 
Du reste, sa peinture est assez osée pour bien porter les affronts, et elle promet un homme qui sait assumer la responsabilité de ses oeuvresœuvres; il n'a donc qu'à faire un nouveau tableau.
 
Oserons-nous, après avoir si franchement déployé nos sympathies (mais notre vilain devoir nous oblige à penser à tout), oserons-nous dire que le nom de Jean Bellin et de quelques Vénitiens des premiers temps nous a traversé la mémoire, après notre douce contemplation? M. Haussoullier serait-il de ces hommes qui en savent trop long sur leur art? C'est là un fléau bien dangereux, et qui comprime dans leur naïveté bien d'excellents mouvements. Qu'il se défie de son érudition, qu'il se défie même de son goût - mais c'est là un illustre défaut, - et ce tableau contient assez d'originalité pour promettre un heureux avenir.
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Hâtons-nous de dire, pour corriger ce que cette phrase a d'exagéré, que jamais imitation ne fut mieux dissimulée ni plus savante - il est bien permis, il est louable d'imiter ainsi.
 
Franchement - malgré tout le plaisir qu'on a à lire dans les oeuvresœuvres d'un artiste les diverses transformations de son art et les préoccupations successives de son esprit, nous regrettons un peu l'ancien Decamps.
 
Il a, avec un esprit de choix qui lui est particulier, entre tous les sujets bibliques, mis la main sur celui qui allait le mieux à la nature de son talent; c'est l'histoire étrange, baroque, épique, fantastique, mythologique de Samson, l'homme aux travaux impossibles, qui dérangeait les maisons d'un coup d'épaule - de cet antique cousin d'Hercule et du baron de Munchhausen. - Le premier de ces dessins - l'apparition de l'ange dans un grand paysage - a le tort de rappeler des choses que l'on connaît trop - ce ciel cru, ces quartiers de roches, ces horizons graniteux sont sus dès longtemps par toute la jeune école - et quoiqu'il soit vrai de dire que c'est M. Decamps qui les lui a enseignés, nous souffrons devant un Decamps de penser à M. Guignet.
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Robert Fleury
 
M. Robert Fleury reste toujours semblable et égal à lui-même, c'est-à-dire un très bon et très curieux peintre. - Sans avoir précisément un mérite éclatant, et, pour ainsi dire, un genre de génie involontaire comme les premiers maîtres, il possède tout ce que donnent la volonté et le bon goût. La volonté fait une grande partie de sa réputation comme de celle de M. Delaroche. - Il faut que la volonté soit une faculté bien belle et toujours bien fructueuse, pour qu'elle suffise à donner un cachet, un style quelquefois violent à des oeuvresœuvres méritoires, mais d'un ordre secondaire, comme celles de M. Robert Fleury. - C'est à cette volonté tenace, infatigable et toujours en haleine, que les tableaux de cet artiste doivent leur charme presque sanguinaire. - Le spectateur jouit de l'effort et l'oeil boit la sueur. - C'est là surtout, répétons-le, le caractère principal et glorieux de cette peinture, qui, en somme, n'est ni du dessin, quoique M. Robert Fleury dessine très spirituellement, ni de la couleur, quoiqu'il colore vigoureusement; cela n'est ni l'un ni l'autre, parce que cela n'est pas exclusif. - La couleur est chaude, mais la manière est pénible; le dessin habile, mais non pas original.
 
Son Marino Faliero rappelle imprudemment un magnifique tableau qui fait partie de nos plus chers souvenirs. - Nous voulons parler du Marino Faliero de M. Delacroix. - La composition était analogue; mais combien plus de liberté, de franchise et d'abondance!...
 
Dans l'Auto-da-fé, nous avons remarqué avec plaisir quelques souvenirs de Rubens, habilement transformés. - Les deux condamnés qui brûlent, et le vieillard qui s'avance les mains jointes. - C'est encore là, cette année, le tableau le plus original de M. Robert Fleury. - La composition en est excellente, toutes les intentions louables, presque tous les morceaux sont bien réussis. - Et c'est là surtout que brille cette faculté de volonté cruelle et patiente, dont nous parlions tout à l'heure. - Une seule chose est choquante, c'est la femme demi-nue, vue de face au premier plan; elle est froide à force d'efforts dramatiques. - De ce tableau, nous ne saurions trop louer l'exécution de certains morceaux. - Ainsi certaines parties nues des hommes qui se contorsionnent dans les flammes sont de petits chefs-d'oeuvreœuvre. - Mais nous ferons remarquer que ce n'est que par l'emploi successif et patient de plusieurs moyens secondaires que l'artiste s'efforce d'obtenir l'effet grand et large du tableau d'histoire.
 
Son étude de Femme nue est une chose commune et qui a trompé son talent.
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Voilà un beau nom, voilà un noble et vrai artiste à notre sens.
 
Les critiques et les journalistes se sont donné le mot pour entonner un charitable De profundis sur le défunt talent de M. Eugène Devéria, et chaque fois qu'il prend à cette vieille gloire romantique la fantaisie de se montrer au jour, ils l'ensevelissent dévotement dans la Naissance de Henri IV, et brûlent quelques cierges en l'honneur de cette ruine. C'est bien, cela prouve que ces messieurs aiment le beau consciencieusement; cela fait honneur à leur coeurcœur. Mais d'où vient que nul ne songe à jeter quelques fleurs sincères et à tresser quelques loyaux articles en faveur de M. Achille Devéria? Quelle ingratitude!
 
Pendant de longues années, M. Achille Devéria a puisé, pour notre plaisir, dans son inépuisable fécondité, de ravissantes vignettes, de charmants petits tableaux d'intérieur, de gracieuses scènes de la vie élégante, comme nul keepsake, malgré les prétentions des réputations nouvelles, n'en a depuis édité. Il savait colorer la pierre lithographique; tous ses dessins étaient pleins de charmes, distingués, et respiraient je ne sais quelle rêverie amène. Toutes ses femmes coquettes et doucement sensuelles étaient les idéalisations de celles que l'on avait vues et désirées le soir dans les concerts, aux Bouffes, à l'Opéra ou dans les grands salons. Ces lithographies, que les marchands achètent trois sols et qu'ils vendent un franc, sont les représentants fidèles de cette vie élégante et parfumée de la Restauration, sur laquelle plane comme un ange protecteur le romantique et blond fantôme de la duchesse de Berry.
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Quelle ingratitude! Aujourd'hui l'on n'en parle plus, et tous nos ânes routiniers et antipoétiques se sont amoureusement tournés vers les âneries et les niaiseries vertueuses de M. Jules David, vers les paradoxes pédants de M. Vidal.
 
Nous ne dirons pas que M. Achille Devéria a fait un excellent tableau - mais il a fait un tableau - Sainte Anne instruisant la Vierge, - qui vaut surtout par des qualités d'élégance et de composition habile, - c'est plutôt, il est vrai, un coloriage qu'une peinture, et par ces temps de critique picturale, d'art catholique et de crâne facture, une pareille oeuvreœuvre doit nécessairement avoir l'air naïf et dépaysé. - Si les ouvrages d'un homme célèbre, qui a fait votre joie, vous paraissent aujourd'hui naïfs et dépaysés, enterrez-le donc au moins avec un certain bruit d'orchestre, égoïstes populaces!
 
Boulanger
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Bataille d'Hastings
 
Encore un pseudo-Delacroix; - mais que de talent! quelle énergie! C'est une vraie bataille. - Nous voyons dans cette oeuvreœuvre toutes sortes d'excellentes choses; - une belle couleur, la recherche sincère de la vérité, et la facilité hardie de composition qui fait les peintres d'histoire.
 
Victor Robert
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Gleyre
 
Il avait volé le coeurcœur du public sentimental avec le tableau du Soir. - Tant qu'il ne s'agissait que de peindre des femmes solfiant de la musique romantique dans un bateau, ça allait; - de même qu'un pauvre opéra triomphe de sa musique à l'aide des objets décolletés ou plutôt déculottés et agréables à voir; - mais cette année, M. Gleyre, voulant peindre des apôtres, - des apôtres, M. Gleyre! - n'a pas pu triompher de sa propre peinture.
 
Pilliard
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M. Joseph Fay a envoyé six dessins représentant la vie des anciens Germains; - ce sont les cartons d'une frise exécutée à fresque à la grande salle des réunions du conseil municipal de l'hôtel de ville d'Ebersfeld, en Prusse.
 
Et, en effet, cela nous paraissait bien un peu allemand, et, les regardant curieusement, et avec le plaisir qu'on a à voir toute oeuvreœuvre de bonne foi, nous songions à toutes ces célébrités modernes d'outre-Rhin qu'éditent les marchands du boulevard des Italiens.
 
Ces dessins, dont les uns représentent la grande lutte entre Arminius et l'invasion romaine, d'autres, les jeux sérieux et toujours militaires de la Paix, ont un noble air de famille avec les bonnes compostions de Pierre de Cornélius. - Le dessin est curieux, savant, et visant un peu au néo-Michel-Angelisme. - Tous les mouvements sont heureusement trouvés - et accusent un esprit sincèrement amateur de la forme, si ce n'est amoureux. - Ces dessins nous ont attiré parce qu'ils sont beaux, nous plaisent parce qu'ils sont beaux; - mais au total, devant un si beau déploiement des forces de l'esprit, nous regrettons toujours, et nous réclamons à grands cris l'originalité. Nous voudrions voir déployer ce même talent au profit d'idées plus modernes, - disons mieux, au profit d'une nouvelle manière de voir et d'entendre les arts - nous ne voulons pas parler ici du choix des sujets; en ceci les artistes ne sont pas toujours libres,- mais de la manière de les comprendre et de les dessiner.
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Bref, il nous semble que M. Matout connaît trop bien son affaire, et qu'il a trop ça dans la main - Inde une impression moins forte.
 
D'une oeuvreœuvre laborieusement faite il reste toujours quelque chose.
 
Janmot
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Henri Scheffer
 
Nous n'osons pas supposer, pour l'honneur de M. Henri Scheffer, que le portrait de Sa Majesté ait été fait d'après nature. - Il y a dans l'histoire contemporaine peu de têtes aussi accentuées que celle de Louis-Philippe. - La fatigue et le travail y ont imprimé de belles rides, que l'artiste ne connaît pas. - Nous regrettons qu'il n'y ait pas en France un seul portrait du Roi. - Un seul homme est digne de cette oeuvreœuvre: c'est M. Ingres.
 
Tous les portraits de Henri Scheffer sont faits avec la même probité, minutieuse et aveugle; la même conscience, patiente et monotone.
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Trois tableaux: Soldats jouant aux dés - Jeune homme feuilletant un carton - Deux buveurs jouant aux cartes.
 
Autres temps, autres moeursmœurs; autres modes, autres écoles. M. Meissonier nous fait songer malgré nous à M. Martin Drolling. Il y a dans toutes les réputations, même les plus méritées, une foule de petits secrets. - Quand on demandait au célèbre M. X*** ce qu'il avait vu au Salon, il disait n'avoir vu qu'un Meissonier, pour éviter de parler du célèbre M. Y***, qui en disait autant de son côté. Il est donc bon de servir de massue à des rivaux.
 
En somme, M. Meissonier exécute admirablement ses petites figures. C'est un Flamand moins la fantaisie, le charme, la couleur et la naïveté - et la pipe!
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Henri Scheffer
 
Auprès de Madame Roland allant au supplice, la Charlotte Corday est une oeuvreœuvre pleine de témérité. (Voir aux portraits).
 
Hornung
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Corot
 
A la tête de l'école moderne du paysage, se place M. Corot. - Si M. Théodore Rousseau voulait exposer, la suprématie serait douteuse, M. Théodore Rousseau unissant à une naïveté, à une originalité au moins égales, un plus grand charme et une plus grande sûreté d'exécution. - En effet, ce sont la naïveté et l'originalité qui constituent le mérite de M. Corot. - Evidemment cet artiste aime sincèrement la nature, et sait la regarder avec autant d'intelligence que d'amour. - Les qualités par lesquelles il brille sont tellement fortes, - parce qu'elles sont des qualités d'âme et de fond - que l'influence de M. Corot est actuellement visible dans presque toutes les oeuvresœuvres des jeunes paysagistes - surtout de quelques-uns qui avaient déjà le bon esprit de l'imiter et de tirer parti de sa manière avant qu'il fût célèbre et sa réputation ne dépassant pas encore le monde des artistes. M. Corot, du fond de sa modestie, a agi sur une foule d'esprits. - Les uns se sont appliqués à choisir dans la nature les motifs, les sites, les couleurs qu'il affectionne, à choyer les mêmes sujets; d'autres ont essayé même de pasticher sa gaucherie. - Or, à propos de cette prétendue gaucherie de M. Corot, il nous semble qu'il y a ici un petit préjugé à relever. - Tous les demi-savants, après avoir consciencieusement admiré un tableau de Corot, et lui avoir loyalement payé leur tribut d'éloges, trouvent que cela pèche par l'exécution, et s'accordent en ceci, que définitivement M. Corot ne sait pas peindre. - Braves gens! qui ignorent d'abord qu'une oeuvreœuvre de génie - ou si l'on veut - une oeuvreœuvre d'âme - où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé - est toujours très bien exécutée, quand elle l'est suffisamment - Ensuite - qu'il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini - qu'en général ce qui est fait n'est pas fini, et qu'une chose très finie peut n'être pas faite du tout - que la valeur d'une touche spirituelle, importante et bien placée est énorme..., etc..., d'où il suit que M. Corot peint comme les grands maîtres. - Nous n'en voulons d'autre exemple que son tableau de l'année dernière - dont l'impression était encore plus tendre et mélancolique que d'habitude. - Cette verte campagne où était assise une femme jouant du violon - cette nappe de soleil au second plan, éclairant le gazon et le colorant d'une manière différente que le premier, était certainement une audace et une audace très réussie. - M. Corot est tout aussi fort cette année que les précédentes; - mais l'oeil du public a été tellement accoutumé aux morceaux luisants, propres et industrieusement astiqués, qu'on lui fait toujours le même reproche.
 
Ce qui prouve encore la puissance de M. Corot, ne fût-ce que dans le métier, c'est qu'il sait être coloriste avec une gamme de tons peu variée - et qu'il est toujours harmoniste même avec des tons assez crus et assez vifs. - Il compose toujours parfaitement bien. - Ainsi dans Homère et les Bergers, rien n'est inutile, rien n'est à retrancher; pas même les deux petites figures qui s'en vont causant dans le sentier. - Les trois petits bergers avec leur chien sont ravissants, comme ces bouts d'excellents bas-reliefs qu'on retrouve dans certains piédestaux des statues antiques. - Homère ressemble peut-être trop à Bélisaire. - Un autre tableau plein de charme est Daphnis et Chloé - et dont la composition a comme toutes les bonnes compositions - c'est une remarque que nous avons souvent faite - le mérite de l'inattendu.
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Joyant
 
Un palais des papes d'Avignon, et encore une Vue de Venise. - Rien n'est embarrassant comme de rendre compte d'oeuvresœuvres que chaque année ramène avec leurs mêmes désespérantes perfections.
 
Borget
 
Toujours des vues indiennes ou chinoises. - Sans doute c'est très bien fait; mais ce sont trop des articles de voyages ou de moeursmœurs; - il y a des gens qui regrettent ce qu'ils n'ont jamais vu, le boulevard du Temple ou les galeries de Bois! - Les tableaux de M. Borget nous font regretter cette Chine où le vent lui-même, dit H. Heine, prend un son comique en passant par les clochettes, - et où la nature et l'homme ne peuvent pas se regarder sans rire.
 
Paul Flandrin
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Bartolini
 
Nous avons le droit de nous défier à Paris des réputations étrangères. - Nos voisins nous ont si souvent pipé notre estime crédule avec des chefs-d'oeuvreœuvre qu'ils ne montraient jamais, ou qui, s'ils consentaient enfin à les faire voir, étaient un objet de confusion pour eux et pour nous, que nous nous tenons toujours en garde contre de nouveaux pièges. Ce n'est donc qu'avec une excessive défiance que nous nous sommes approchés de la Nymphe au Scorpion. - Mais cette fois il nous a été réellement impossible de refuser notre admiration à l'artiste étranger. - Certes nos sculpteurs sont plus adroits, et cette préoccupation excessive du métier absorbe aujourd'hui nos sculpteurs comme nos peintres; - or c'est justement à cause des qualités un peu mises en oubli chez les nôtres, à savoir: le goût, la noblesse, la grâce - que nous regardons l'oeuvreœuvre de M. Bartolini comme le morceau capital du salon de sculpture. - Nous savons que quelques-uns des sculptiers dont nous allons parler sont très aptes à relever les quelques défauts d'exécution de ce marbre, un peu trop de mollesse, une absence de fermeté; bref, certaines parties veules et des bras un peu grêles; - mais aucun d'eux n'a su trouver un aussi joli motif; aucun d'eux n'a ce grand goût et cette pureté d'intentions, cette chasteté de lignes qui n'exclut pas du tout l'originalité. - Les jambes sont charmantes; la tête est d'un caractère mutin et gracieux; il est probable que c'est tout simplement un modèle bien choisi. - Moins l'ouvrier se laisse voir dans une oeuvreœuvre et plus l'intention en est pure et claire, plus nous sommes charmés.
 
David
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Etex
 
M. Etex n'a jamais rien pu faire de complet. Sa conception est souvent heureuse - il y a chez lui une certaine fécondité de pensée qui se fait jour assez vite et qui nous plaît; mais des morceaux assez considérables déparent toujours son oeuvreœuvre. Ainsi, vu par derrière, son groupe d'Héro et Léandre a l'air lourd et les lignes ne se détachent pas harmonieusement. Les épaules et le dos de la femme ne sont pas dignes de ses hanches et de ses jambes.
 
Garraud