« L’Étoile du sud/XIII » : différence entre les versions

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En arrivant à Potchefstrom, les quatre voyageurs apprirent qu’un jeune Cafre, – dont le signalement se rapportait à la personne de Matakit, – avait passé la veille par la ville. C’était une chance heureuse pour le succès de leur expédition. Mais, ce qui devait la rendre bien longue, sans doute, c’est que le fugitif s’était procuré là une légère carriole, attelée d’une autruche, et qu’il serait plus difficile de le rejoindre.
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En effet, il n’y a pas de meilleurs marcheurs que ces animaux, ni de plus endurants ni de plus rapides. Il faut ajouter que les autruches de trait sont très rares, même en Griqualand, car elles ne sont pas commodes à dresser. C’est pourquoi Cyprien, pas plus que ses compagnons, ne put s’en procurer à Potchefstrom.
 
Or, c’était dans ces conditions, – cela put être constaté, – que Matakit
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poursuivait sa route vers le nord, avec un équipage qui aurait mis sur les dents dix chevaux de relais.
 
Il ne restait donc qu’à se préparer à le suivre le plus rapidement possible. À la vérité, le fugitif avait, avec une forte avance, l’avantage d’une vitesse bien supérieure à celle du mode de locomotion que ses adversaires allaient adopter. Mais enfin les forces d’une autruche ont des limites. Matakit serait bien obligé de s’arrêter, et peut-être de perdre du temps. Au pis aller, on le rattraperait au terme de son voyage.
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– Que veux-tu dire ? reprit Cyprien. Est-ce que tu te mêles de jouer au devin avec moi ?
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– Non, petit père, mais Bardik connaît le désert et t’avertit que ce cheval n’est pas « salé ».
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Il n’y avait donc pas à s’inquiéter de les monter, ni l’un ni l’autre, ce que Cyprien n’aurait jamais pu faire, étant donné le prix qu’il fallut débourser pour l’acquisition de son propre cheval.
 
La question des armes n’était pas moins délicate. Cyprien avait bien choisi ses fusils, un excellent rifle du système Martini-Henry, et une carabine
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Remington, qui ne brillaient guère par l’élégance, mais qui portaient juste et se rechargeaient rapidement. Mais ce qu’il n’aurait jamais pensé à faire, si le Chinois ne lui en eût donné l’idée, c’était à s’approvisionner d’un certain nombre de cartouches à balle explosible. Il aurait cru aussi emporter des munitions bien suffisantes en prenant cinq ou six cents charges de poudre et de plomb, et fut très surpris d’apprendre que quatre mille coups par fusil étaient un minimum commandé par la prudence dans ce pays de fauves et d’indigènes non moins redoutables.
 
Cyprien dut aussi se munir de deux revolvers à balle explosible, et compléta son armement par l’achat d’un superbe couteau de chasse, qui figurait depuis cinq ans à la vitrine de l’armurier de Potchefstrom, sans que personne se fût avisé de le choisir.
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En douze heures, tous les achats étaient terminés. Des draps imperméables, des couvertures de laine, des ustensiles de ménage, d’abondantes provisions de bouche en boîtes soudées, des jougs, des chaînes, des courroies de rechange, constituaient à l’arrière du wagon le fonds du magasin général. L’avant, rempli de paille, devait servir de lit et d’abri pour Cyprien et ses compagnons de voyage.
 
James Hilton s’était fort bien acquitté de son mandat et semblait avoir très convenablement choisi tout ce qui pouvait être nécessaire à l’association. Il était assez vain de son expérience de colon. Aussi, pour faire montre de sa supériorité plutôt que par esprit de camaraderie, se serait-il volontiers laissé aller à renseigner ses compagnons sur les usages du Veld.
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Mais Annibal Pantalacci ne manquait guère alors d’intervenir et de lui couper la parole.
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Le wagon, traîné par douze bœufs roux et noirs, s’avançait, d’abord, sous la haute direction de Bardik, qui tantôt marchait auprès des robustes bêtes, son aiguillon en main, tantôt, pour se reposer, sautait sur l’avant du chariot. Là, trônant près du siège, il n’avait plus qu’à s’abandonner aux cahots des routes, sans s’inquiéter du reste, et paraissait enchanté de ce mode de locomotion. Les quatre cavaliers venaient de front à l’arrière-garde. Sauf les cas où ils jugeraient à propos de s’écarter pour tirer une perdrix ou faire une reconnaissance, tel devait être pour de longs jours l’ordre à peu près immuable de la petite caravane.
 
Après une délibération rapide, il fut convenu qu’on se dirigerait droit vers la source du Limpopo. Tous les renseignements tendaient à démontrer que Matakit devait suivre cette route. En effet, il n’en pouvait guère prendre d’autre, si son intention était de s’éloigner au plus tôt des possessions britanniques. L’avantage que le Cafre avait sur ceux qui le poursuivaient était à la fois dans sa parfaite connaissance du pays et dans la légèreté de son équipage. D’une part, il savait évidemment où il allait et prenait la voie la plus directe ; de l’autre, il était sûr, grâce à ses relations dans le nord, de
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trouver
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partout aide et protection, nourriture et abri, – même des auxiliaires, s’il le fallait. Et, pouvait-on assurer qu’il ne profiterait pas de son influence sur les naturels pour se retourner contre ceux qui le talonneraient et peut-être les faire attaquer à main armée ? Cyprien et ses compagnons comprenaient donc de plus en plus la nécessité de marcher en corps et de se soutenir mutuellement dans cette expédition, s’ils voulaient que l’un deux en recueillît le fruit.
 
Le Transvaal, qui allait être traversé du sud au nord, est cette vaste région de l’Afrique méridionale, – au moins trente milliers d’hectares, – dont la
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surface s’étend entre le Vaal et le Limpopo, à l’ouest des monts Drakenberg, de la colonie anglaise de Natal, du pays des Zoulous et des possessions portugaises.
 
Entièrement colonisé par les Boërs, anciens citoyens hollandais du Cap, qui y ont semé, en quinze ou vingt ans, une population agricole de plus cent mille blancs, le Transvaal a naturellement excité la convoitise de la Grande-Bretagne. Aussi l’a-t-elle annexé en 1877 à ses possessions du Cap. Mais les révoltes fréquentes des Boërs, qui s’obstinent à rester indépendants, rendent encore douteux le sort de cette belle contrée.
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Partis de Potchefstrom, qui est située dans le Banken-Veld, les voyageurs avaient d’abord à parcourir en diagonale la plus grande partie de cette région, avant d’avoir atteint le Bush-Veld, et de là, plus au nord, les rives du Limpopo.
 
Cette première partie du Transvaal fut naturellement la plus aisée à franchir. On était encore dans un pays à demi civilisé. Les plus gros accidents
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se réduisaient à une roue embourbée ou à un bœuf malade. Les canards sauvages, les perdrix, les chevreuils, abondaient sur la route et fournissaient tous les jours les éléments du déjeuner ou du dîner. La nuit se passait habituellement dans quelque ferme, dont les habitants, isolés du reste du monde pendant les trois quarts de l’année, accueillaient avec une joie sincère les hôtes qui leur arrivaient.
 
Partout les Boërs étaient les mêmes, hospitaliers, prévenants, désintéressés. L’étiquette du pays exige, il est vrai, qu’on leur offre une rémunération pour l’abri qu’ils donnent aux hommes et aux bêtes en voyage. Mais cette rémunération, ils la refusent presque toujours, et même ils insistent au départ pour qu’on accepte de la farine, des oranges, des pêches tapées. Si peu qu’on leur laisse en échange, un objet quelconque d’équipement ou de chasse, un fouet, une gourmette, une poire à poudre, les voilà ravis, quelque minime qu’en soit la valeur.
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Et pourtant, l’art a sa place dans ces existences primitives. Presque tous les Boërs sont musiciens, jouent du violon ou de la flûte. Ils raffolent de la danse, et ne connaissent ni les obstacles, ni les fatigues, lorsqu’il s’agit de se réunir, – parfois de vingt lieues à la ronde pour se livrer à leur passe-temps favori.
 
Leurs filles sont modestes et souvent fort belles dans leurs simples atours de paysannes hollandaises. Elles se marient jeunes, apportent uniquement en dot à leur fiancé une douzaine de bœufs ou de chèvres, un chariot ou
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quelque autre richesse de ce genre. Le mari, lui, se charge de bâtir la maison, de défricher plusieurs arpents de terre aux environs, et voilà le ménage fondé.
 
Les Boërs vivent très vieux, et, nulle part au monde, les centenaires ne se comptent en aussi grand nombre.
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À partir de ce point, il fallut camper tous les soirs, allumer de grands feux, autour desquels hommes et bêtes s’établissaient pour dormir, non sans qu’il fût fait bonne garde aux environs.
 
Le paysage avait pris un aspect de plus en plus sauvage. Des plaines de
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sable jaunâtre, des fourrés de buissons épineux, de loin en loin un ruisseau bordé de marécages, venaient de succéder aux vertes vallées du Banken-Veld. Parfois aussi, il fallait faire un détour pour éviter une véritable forêt de ''thorn'' ''trees'', ou arbres à épines. Ce sont des arbustes, hauts de trois à cinq mètres, portant un grand nombre de branches à peu près horizontales et toutes armées d’épines de deux à quatre pouces de longueur, dures et acérées comme des poignards.
 
Cette zone extérieure du Bush-Veld, qui prend plus généralement le nom de Lion-Veld, – ou Veld des lions, – ne semblait guère justifier cette appellation redoutable, car, après trois jours de voyage, on n’avait encore ni vu ni signalé aucun de ces fauves.
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James Hilton eut un rire silencieux.
 
« Monsieur Méré, reprit-il, si vous voulez prendre un temps de galop, de manière à vous approcher de ce nid de fourmis, – là, au bout de mon doigt, – je vous
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promets que vous verrez ce que vous souhaitez voir ! N’en approchez pas trop, cependant, ou vous pourriez vous en trouver assez mal ! »
 
Cyprien piqua des deux et se dirigea vers l’endroit que James Hilton avait appelé une fourmilière.
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Le soir même, on arriva pour faire halte sur la rive droite du Limpopo. Là Friedel s’obstina à vouloir pêcher une friture malgré les avis de James Hilton.
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« C’est très malsain, camarade ! lui disait celui-ci. Sachez que, dans le Bush-Veld, il ne faut ni rester, après le coucher du soleil, au bord des cours d’eau, ni…
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« Vous voyez comme j’avais raison de dire qu’il ne faut pas flâner au bord de l’eau à la nuit tombante ! » se contenta de répéter philosophiquement James Hilton.
 
On s’arrêta, pendant quelques instants, afin d’inhumer le cadavre qu’on ne pouvait laisser à la merci des fauves.
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C’était celui d’un rival, presque d’un ennemi, et pourtant Cyprien se sentit profondément ému en lui rendant les derniers devoirs. C’est que le spectacle de la mort, partout si auguste et si solennel, semble emprunter au désert une majesté nouvelle. En présence de la seule nature, l’homme comprend mieux que c’est là le terme inévitable. Loin de sa famille, loin de tous ceux qu’il aime, sa pensée s’envole avec mélancolie vers eux. Il se dit que, lui aussi, peut-être, il tombera demain sur l’immense plaine pour ne plus se relever, que, lui aussi, il sera alors enseveli sous un pied de sable, surmonté d’une pierre nue, et qu’il n’aura pour l’accompagner à sa dernière heure, ni les
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larmes d’une sœur ou d’une mère, ni les regrets d’un ami. Et, reportant sur sa propre situation une part de la pitié que lui inspire le sort de son camarade, il lui semble que c’est un peu de lui-même qu’il enferme dans cette tombe !
 
Le lendemain de cette lugubre cérémonie, le cheval de Friedel, qui suivait, attaché à l’arrière du wagon, fut pris de la maladie du Veld. Il fallut l’abandonner.