« Napoléon le Petit/4/III » : différence entre les versions

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{{c|Livre quatrième - Les Autres Crimes
 
 
Ce qu’eût été 1852}}
 
Mais sans cet abominable Deux-Décembre, « nécessaire » comme disent les complices et à leur suite les dupes, que se serait-il donc passé en France ? Mon Dieu ! ceci :
Remontons de quelques pas en arrière et rappelons sommairement la situation telle qu’elle était avant le coup d’État.
Le parti du passé, sous le nom de parti de l’ordre, résistait à la République, en d’autres termes résistait à l’avenir.
Qu’on s’y oppose ou non, qu’on y consente ou non, la République, toute illusion laissée de côté, est l’avenir, prochain ou lointain, mais inévitable, des nations.
Comment s’établira la République ? Elle peut s’établir de deux façons, par la lutte ou par le progrès. Les démocrates la veulent par le progrès ; leurs adversaires, les hommes du passé, semblent la vouloir par la lutte.
Comme nous venons de le rappeler, les hommes du passé résistent ; ils s’obstinent ; ils donnent des coups de hache dans l’arbre, se figurant qu’ils arrêteront la sève qui monte. Ils prodiguent la force, la puérilité et la colère.
Ne jetons aucune parole amère à nos anciens adversaires tombés avec nous, le même jour que nous, et plusieurs honorablement de leur côté ; bornons-nous à constater que c’est dans cette lutte que la majorité de l’Assemblée législative de France était entrée dès les premiers jours de son installation, dès le mois de mai 1849.
Cette politique de résistance est une politique funeste. Cette lutte de l’homme contre Dieu est nécessairement vaine ; mais, nulle comme résultat, elle est féconde en catastrophes. Ce qui doit être sera ; il faut que ce qui doit couler coule, que ce qui doit tomber tombe, que ce qui doit naître naisse, que ce qui doit croître croisse ; mais faites obstacle à ces lois naturelles, le trouble survient, le désordre commence. Chose triste, c’est ce désordre qu’on avait appelé l’ordre.
Liez une veine, vous avez la maladie ; entravez un fleuve, vous avez l’inondation ; barrez l’avenir, vous avez les révolutions.
Obstinez-vous à conserver au milieu de vous, comme s’il était vivant, le passé qui est mort, vous produisez je ne sais quel choléra moral ; la corruption se répand, elle est dans l’air, on la respire ; des classes entières de la société,
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les fonctionnaires, par exemple, tombent en pourriture. Gardez les cadavres dans vos maisons, la peste éclatera.
Fatalement, cette politique aveugle ceux qui la pratiquent. Ces hommes qui se qualifient hommes d’État en sont à ne pas comprendre qu’ils ont fait eux-mêmes, de leurs mains et à grand’peine et à la sueur de leur front, ces événements terribles dont ils se lamentent, et que ces catastrophes qui croulent sur eux ont été construites par eux. Que dirait-on d’un paysan qui ferait un barrage d’un bord à l’autre d’une rivière devant sa cabane, et qui, quand la rivière, devenue torrent, déborderait, quand elle renverserait son mur, quand elle emporterait son toit, s’écrierait : méchante rivière ! Les hommes d’État du passé, ces grands constructeurs de digues en travers des courants, passent leur temps à s’écrier : méchant peuple !
Otez Polignac et les ordonnances de juillet, c’est-à-dire le barrage, et Chartes X serait mort aux Tuileries. Réformez en 1847 la loi électorale, c’est-à-dire encore ôtez le barrage, Louis-Philippe serait mort sur le trône. Est-ce à dire que la République ne serait pas venue ? Cela, non. La République, répétons-le, c’est l’avenir ; elle serait venue, mais pas à pas, progrès à progrès, conquête à conquête, comme un fleuve qui coule et non comme un déluge qui envahit ; elle serait venue à son heure, quand tout aurait été prêt pour la recevoir ; elle serait venue, non pas certes plus viable, car dès à présent elle est indestructible, mais plus tranquille, sans réaction possible, sans princes la guettant, sans coup d’État derrière elle.
La politique de résistance au mouvement humain excelle, insistons sur ce point, à créer des cataclysmes artificiels. Ainsi elle avait réussi à faire de l’année 1852 une sorte d’éventualité redoutable, et cela toujours par le même procédé, au moyen d’un barrage. Voici un chemin de fer, le convoi va passer dans une heure ; jetez une poutre en travers des rails, quand le convoi arrivera il s’y écrasera, vous aurez Fampoux ; ôtez la poutre avant l’arrivée du train, le convoi passera sans même se douter qu’il y avait là une catastrophe. Cette poutre, c’est la loi du 31 mai.
Les chefs de la majorité de l’Assemblée législative l’avaient jetée en travers de 1852, et ils criaient : c’est là que la société se brisera ! La gauche leur disait : ôtez la poutre ! – Otez la poutre, laissez passer librement le suffrage universel. Ceci est toute l’histoire de la loi du 31 mai.
Ce sont là des choses qu’un enfant comprendrait et que les « hommes d’État » ne comprennent pas.
Maintenant répondons à la question que nous posions tout à l’heure : – Sans le 2 décembre, que se serait-il passé en 1852 ?
Supprimez la loi du 31 mai, ôtez au peuple son barrage, ôtez à Bonaparte son levier, son arme, son prétexte, laissez tranquille le suffrage universel,
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ôtez la poutre de dessus les rails, savez-vous ce que vous auriez eu en 1852 ?
Rien.
Des élections.
Des espèces de dimanches calmes où le peuple serait venu voter, hier travailleur, aujourd’hui électeur, demain travailleur, toujours souverain.
On reprend : Oui, des élections ! vous en parlez bien à votre aise. Mais la « chambre rouge » qui serait sortie de ces élections ?
N’avait-on pas annoncé que la Constituante de 1848 serait une « chambre rouge » ? Chambres rouges, spectres rouges, croquemitaines rouges, toutes ces prédictions se valent. Ceux qui promènent au bout d’un bâton ces fantasmagories devant les populations effarouchées savent ce qu’ils font et rient derrière la loque horrible qu’ils font flotter. Sous la longue robe écarlate du fantôme auquel on avait donné ce nom, 1852, on voit passer les bottes fortes du coup d’État.