« Napoléon le Petit/4/I » : différence entre les versions

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{{chapitre|[[Napoléon le Petit]]|[[Auteur:Victor Hugo|Victor Hugo]]|Livre quatrième - Les Autres Crimes|Questions sinistres}}
==__MATCH__:[[Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/103]]==
 
{{c|Livre quatrième - Les Autres Crimes
 
 
Questions sinistres}}
 
Quel est le total des morts ?
 
Louis Bonaparte, sentant venir l’histoire et s’imaginant que les Charles IX peuvent atténuer les Saint-Barthélemy, a publié, comme pièce justificative, un état dit « officiel » des « personnes décédées ». On remarque dans cette liste alphabétique<ref>L’employé qui a dressé celle liste est, nous le savons, un statisticien savant et exact, il a dressé cet état de bonne foi, nous n’en doutons pas. Il a constaté ce qu’on lui a montré et ce qu’on lui a laissé voir, mais il n’a rien pu sur ce qu’on lui a caché. Le champ reste aux conjectures.</ref>, des mentions comme celles-ci : – Adde, libraire, boulevard Poissonnière, 17, tué chez lui. – Boursier, enfant de sept ans et demi, tué rue Tiquetonne. – Belval, ébéniste, rue de la Lune, 10, tué chez lui. – Coquard, propriétaire à Vire (Calvados), tué boulevard Montmartre. – Debaecque, négociant, rue du Sentier, 45, tué chez lui. – De Couvercelle, fleuriste, rue Saint-Denis, 257, tué chez lui. – Labilte, bijoutier, boulevard Saint-Martin, 63, tué chez lui. – Monpelas, parfumeur, rue Saint-Martin, 181, tué chez lui. – Demoiselle Gressier, femme de ménage, faubourg Saint-Martin, 209, tuée boulevard Montmartre. – Femme Guilard, dame de comptoir, faubourg Saint-Denis, 77, tuée boulevard Saint-Denis. – Femme Garnier, dame de confiance, boulevard Bonne-Nouvelle, 6, tuée boulevard Saint-Denis. – Femme Ledaust, femme de ménage, passage du Caire, à la Morgue. – Françoise Noël, giletière, rue des Fossés-Montmartre, 20, morte à la Charité. – Le comte Poninski, rentier, rue de la Paix, 32, tué boulevard Montmartre. – Femme Raboisson couturière, morte à la maison nationale de santé. – Femme Vidal, rue du Temple, 97, morte à l’Hôtel-Dieu. – Femme Seguin, brodeuse, rue Saint-Martin, 240 morte à l’hospice Beaujon. – Demoiselle Simas, demoiselle de boutique, rue du Temple, 196, morte à l’hospice Beaujon. – Thirion de Montauban, propriétaire, rue de Lancry, 10, tué sur sa porte, etc., etc.
 
Abrégeons. Louis Bonaparte dans ce document avoue cent quatre-vingt onze assassinats.
 
Cette pièce enregistrée pour ce qu’elle vaut, quel est le vrai total ? Quel est le chiffre réel des victimes ? De combien de cadavres le coup d’État de décembre est-il jonché ? Qui peut le dire ? Qui le sait ? Qui le saura jamais ? Comme on l’a vu plus haut, un témoin dépose : « Je comptai là trente-trois cadavres » ; un autre sur un autre point du boulevard, dit : « Nous comptâmes dix-huit cadavres dans une longueur de vingt ou vingt cinq pas » ; un autre, placé ailleurs, dit : « Il y avait là, dans soixante pas, plus de soixante cadavres ». L’écrivain si longtemps menacé de mort nous a dit à nous-même : « J’ai vu de mes yeux plus de huit cents morts dans toute la longueur du boulevard ». Maintenant cherchez, calculez ce qu’il faut de crânes brisés et de poitrines défoncées par la mitraille pour couvrir de sang « à la lettre » un demi-quart de lieue de boulevards. Faites comme les femmes, comme les sœurs, comme les filles, comme les mères désespérées, prenez un flambeau, allez-vous-en dans cette nuit, tâtez à terre, tâtez le pavé, tâtez le mur, ramassez les cadavres, questionnez les spectres, et comptez, si vous pouvez.
Le nombre des victimes ! On en est réduit aux conjectures. C’est là une question que l’histoire réserve. Cette question, nous prenons, quant à nous, l’engagement de l’examiner et de l’approfondir plus tard.
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Le 4 décembre, Louis Bonaparte eût été arraché le soir même de l’Elysée, et la loi triomphait, s’il eût été un de ces hommes qui hésitent devant un massacre. Par bonheur pour lui, il n’avait pas de ces délicatesses. Quelques cadavres de plus ou de moins, qu’est-ce que cela fait ? Allons, tuez ! tuez au hasard ! sabrez, fusillez, canonnez, écrasez, broyez ! terrifiez-moi cette odieuse ville de Paris ! Le coup d’État penchait, ce grand meurtre le releva. Louis Bonaparte avait failli se perdre par sa félonie, il se sauva par sa férocité. S’il n’avait été que Faliero, c’était fait de lui ; heureusement il était César Borgia. Il se jeta à la nage avec son crime dans un fleuve de sang ; un moins coupable s’y fût noyé, il le traversa. C’est là ce qu’on appelle son succès. Aujourd’hui il est sur l’autre rive, essayant de se sécher et de s’essuyer, tout ruisselant de ce sang qu’il prend pour de la pourpre et demandant l’empire.
 
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L’employé qui a dressé celle liste est, nous le savons, un statisticien savant et exact, il a dressé cet état de bonne foi, nous n’en doutons pas. Il a constaté ce qu’on lui a montré et ce qu’on lui a laissé voir, mais il n’a rien pu sur ce qu’on lui a caché. Le champ reste aux conjectures.
[Thierry]