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de ces coûteuses leçons, et les peuples comme les individus ne profitent guère que de leur propre expérience. Sous ce rapport comme sous tant d’autres, Pétersbourg et Moscou semblaient en être encore à la fin du XVIIIe siècle, à la veille de 1789.
de ces coûteuses leçons, et les peuples comme les individus ne profitent guère que de leur propre expérience. Sous ce rapport comme sous tant d’autres, Pétersbourg et Moscou semblaient en être encore à la fin du {{s|xviii}}, à la veille de 1789.


Pris en masse, le fond du peuple est encore aujourd’hui, dans les villes comme dans les campagnes, entièrement étranger aux idées révolutionnaires. Par ses habitudes comme par ses croyances, par son goût des traditions comme par sa vénération pour l’autorité, l’homme du peuple, le ''moujik'' surtout, répugne à ces théories subversives qui se présentent à lui sous forme de rupture avec tout le passé et toutes les traditions, sous forme de révolte contre toute autorité terrestre ou céleste. D’ordinaire encore illettré, le ''moujik'' n’est pas seulement étranger à de telles doctrines, il ne leur est pas seulement hostile, il leur est fermé, il est sourd à toute prédication de ce genre <ref> Voyez dans la ''Revue'' du 1er avril 1876 notre étude sur ''les Classes sociales en Russie''.</ref>. Le grand obstacle aux projets des révolutionnaires russes, ce n’est pas tant la force d’un système que tous les complots ne peuvent ébranler, c’est la défiance et la répulsion des masses populaires que tous leurs efforts ne peuvent entamer.
Pris en masse, le fond du peuple est encore aujourd’hui, dans les villes comme dans les campagnes, entièrement étranger aux idées révolutionnaires. Par ses habitudes comme par ses croyances, par son goût des traditions comme par sa vénération pour l’autorité, l’homme du peuple, le ''moujik'' surtout, répugne à ces théories subversives qui se présentent à lui sous forme de rupture avec tout le passé et toutes les traditions, sous forme de révolte contre toute autorité terrestre ou céleste. D’ordinaire encore illettré, le ''moujik'' n’est pas seulement étranger à de telles doctrines, il ne leur est pas seulement hostile, il leur est fermé, il est sourd à toute prédication de ce genre<ref>Voyez dans la ''Revue'' du 1{{er}} avril 1876 notre étude sur ''les Classes sociales en Russie''.</ref>. Le grand obstacle aux projets des révolutionnaires russes, ce n’est pas tant la force d’un système que tous les complots ne peuvent ébranler, c’est la défiance et la répulsion des masses populaires que tous leurs efforts ne peuvent entamer.


La propagande radicale venant d’en haut, de la jeunesse des écoles surtout, le grand problème pour les agitateurs est de la faire pénétrer dans les classes illettrées, méfiantes de la science incrédule, dans le peuple, qui, loin de s’ouvrir à la révolution, se refuse à en comprendre l’esprit et les avantages. C’est qu’en effet entre les épaisses couches populaires qui forment le fond de la nation et la mince écorce civilisée de la surface, il y a moralement un intervalle énorme ; on dirait que la dernière ne repose point sur les premières, ou mieux il n’y a entre elles qu’une simple superposition sans que le contact amène aucune adhérence, aucune pénétration des couches inférieures par celles d’au-dessus. Ici se montre toute l’importance du dualisme social qui depuis Pierre le Grand semble avoir coupé la Russie en deux. Il y a dans l’état deux nations presque aussi différentes que si l’une avait été conquise par l’autre, deux peuples presque aussi étrangers l’un à l’autre que s’ils étaient séparés par la race, la langue, la religion.
La propagande radicale venant d’en haut, de la jeunesse des écoles surtout, le grand problème pour les agitateurs est de la faire pénétrer dans les classes illettrées, méfiantes de la science incrédule, dans le peuple, qui, loin de s’ouvrir à la révolution, se refuse à en comprendre l’esprit et les avantages. C’est qu’en effet entre les épaisses couches populaires qui forment le fond de la nation et la mince écorce civilisée de la surface, il y a moralement un intervalle énorme ; on dirait que la dernière ne repose point sur les premières, ou mieux il n’y a entre elles qu’une simple superposition sans que le contact amène aucune adhérence, aucune pénétration des couches inférieures par celles d’au-dessus. Ici se montre toute l’importance du dualisme social qui depuis Pierre le Grand semble avoir coupé la Russie en deux. Il y a dans l’état deux nations presque aussi différentes que si l’une avait été conquise par l’autre, deux peuples presque aussi étrangers l’un à l’autre que s’ils étaient séparés par la race, la langue, la religion.


Au milieu des paysans ou des ouvriers qu’ils prétendent catéchiser, les prédicateurs de la révolution ressemblent fort à des missionnaires débarqués sur une plage lointaine et prêchant un culte inconnu à des hommes qui ne les entendent point. Aussi que de tristes mécomptes ! que de dures épreuves et d’amères déceptions pour les plus ardens apôtres de l’évangile socialiste ! Comment mettre
Au milieu des paysans ou des ouvriers qu’ils prétendent catéchiser, les prédicateurs de la révolution ressemblent fort à des missionnaires débarqués sur une plage lointaine et prêchant un culte inconnu à des hommes qui ne les entendent point. Aussi que de tristes mécomptes ! que de dures épreuves et d’amères déceptions pour les plus ardens apôtres de l’évangile socialiste ! Comment mettre