« Le Livre de la jungle (trad. Fabulet et Humières, ill. Becque)/Service de la Reine » : différence entre les versions

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— Oh ! pardon, dit le Mulet. Il fait si noir qu’on n’y voit guère. Ces chameaux sont-ils assez dégoûtants ? J’ai quitté mes lignes pour chercher un peu de calme et de repos par ici.
 
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— Messeigneurs, dit le Chameau avec humilité, nous avons fait de mauvais rêves dans la nuit et nous avons eu très peur ! Je ne suis qu’un des chameaux de convoi du 39e d’Infanterie Indigène, et je ne suis pas aussi brave que vous, Messeigneurs.
 
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Les bœufs de batterie se couchèrent en même temps et se mirent à ruminer, mais le Jeune Mulet se blottit contre Billy.
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— Des choses ! fit-il. D’affreuses et horribles choses, Billy ! C’est entré dans nos lignes tandis que nous dormions. Pensez-vous que ça va nous tuer ?
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— Mais ce n’était ni harnais ni rien qui tintât, dit le Jeune Mulet. Vous savez, Billy, que maintenant cela ne me fait rien. C’étaient des choses grandes comme des arbres, et elles tombaient du haut en bas des lignes et gargouillaient ; ma bride s’est cassée et je ne pouvais pas trouver mon conducteur. Je ne pouvais même pas vous trouver, Billy ; alors je me suis sauvé avec… avec ces gentlemen.
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— Hum ! fit Billy. À l’annonce de la débandade des chameaux, j’ai filé pour mon propre compte. Lorsqu’un mulet de batterie… de batterie de canon à vis… traite de gentlemen des bœufs de batterie, il faut qu’il se sente bien ému. Qui êtes-vous, vous autres, là, par terre ?
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Les dents du Jeune Mulet sonnèrent, et j’entendis qu’il parlait de ne pas avoir peur d’aucun vieux bifteck du monde ; mais les bœufs se contentèrent de faire cliqueter leurs cornes l’une contre l’autre, et continuèrent de ruminer.
 
— Ne te fâche pas, maintenant, après avoir eu peur. C’est la pire espèce de couardise, dit le Cheval de Troupe. Je trouve très pardonnable d’avoir peur la nuit, lorsqu’on voit des choses qu’on ne comprend pas. On s’est échappé de nos piquets des douzaines de fois, par bandes de quatre cent cinquante ensemble, et cela parce qu’une nouvelle recrue
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s’était mise à nous conter des histoires de serpents-fouets qu’on trouve chez nous, en Australie, au point que nous mourions de peur à la seule vue des cordes pendantes de nos licous.
 
— Tout cela est bel et bon dans le camp, observa Billy ; je ne laisse pas de m’emballer moi-même, pour la farce, quand je reste à l’écurie un jour ou deux ; mais que faites-vous en campagne ?
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— Par les gommiers bleus d’Australie, renâcla le Cheval de Troupe, voulez-vous me faire croire qu’on ne vous a pas appris dans votre métier ce que c’est que d’obéir aux rênes ? À quoi êtes-vous bons si vous ne pouvez pas tourner tout de suite lorsque la rêne vous presse l’encolure ? C’est une question de vie ou de mort pour votre homme et, bien entendu, de vie ou de mort pour vous. On commence à appuyer, l’arrière-main rassemblée, au moment où on sent la pression de la rêne sur l’encolure. Si on n’a pas la place de tourner, on pointe un peu et on se reçoit sur ses jambes de derrière. Voilà ce que c’est que d’obéir aux rênes.
 
— On ne nous apprend pas les choses de cette façon, dit Billy, le Mulet, froidement. On nous enseigne à obéir à
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l’homme qui nous tient la figure : à avancer lorsqu’il le dit, et à reculer lorsqu’il le dit également. Je suppose que cela revient au même. Maintenant, tout ce beau métier de fantasia et de panache, qui doit être bien mauvais pour vos jarrets, à quoi vous mène-t-il ?
 
— Cela dépend, répondit le Cheval. Généralement, il me faut entrer au milieu d’un tas d’homme hurlants et chevelus
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armés de couteaux… de longs couteaux brillants, pires que les couteaux du vétérinaire… et il me faut faire attention à ce que la botte de Dick touche juste, sans appuyer, la botte de son voisin. Je vois la lance de Dick à ma droite de mon œil droit, et je sais qu’il n’y a pas de danger. Je n’envie pas la place de l’homme ou du cheval qui se trouveraient dans notre chemin, à Dick et à moi, lorsque nous sommes pressés.
 
— Est-ce que les couteaux font mal ? demanda le Jeune Mulet.
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— Il faut s’en occuper, repartit le Cheval de Troupe. Si vous n’avez pas confiance dans votre homme, aussi bien décamper tout de suite. Quelques-uns de nos chevaux s’y entendent, et je ne les blâme pas. Comme je le disais, ce n’était pas la faute de Dick. L’homme était couché sur le sol, et je m’allongeais pour ne pas l’écraser, mais il me lança une estocade de bas en haut. La prochaine fois que je franchis un homme couché par terre, je pose le pied dessus… et ferme.
 
— Hem ! dit Billy ; tout cela paraît bien absurde. Les couteaux me font l’effet de sales outils en toutes circonstances. Mieux vaut escalader une montagne, une selle bien équilibrée sur le dos, se cramponner des quatre pieds et des oreilles, grimper, ramper et se faufiler, jusqu’à ce qu’on débouche à ces centaines de pieds au-dessus de tout le
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monde, sur une saillie — juste la place de ses sabots. Alors, on s’arrête et on ne bouge plus… ne demande jamais à un homme de te tenir la tête, jeunesse… on ne bouge pas pendant qu’on visse les canons, et puis on regarde tomber parmi les hautes branches des arbres, très loin au-dessous, les petits obus pareils à des coquelicots.
 
— Vous ne butez donc jamais ? demanda le Cheval de Troupe.
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— Oh ! non, vous ne voudriez pas ; vous savez qu’aussitôt en position, ce sont les canons qui font toute la charge. Voilà qui est scientifique et net : mais les couteaux… pouah !
 
Il y avait quelque temps que le chameau de convoi balançait
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sa tête de-ci et de-là, cherchant à glisser un mot dans la conversation. Et je l’entendis qui disait timidement, en toussant pour s’éclaircir la gorge :
 
— J’ai… j’ai… j’ai fait un peu la guerre, mais ce n’était pas en grimpant, ni en courant comme cela.
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— Que vous importe qui tire par-dessus vous ? répondit le Chameau. Il y a beaucoup d’homme et beaucoup de chameaux tout près, et des masses de fumée. Je n’ai pas peur, alors. Je reste tranquille, et j’attends.
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— Et cependant, dit Billy, vous faites de mauvais rêves, et vous bouleversez le camp la nuit. Eh bien ! Avant que je m’étende — je ne parle pas de me coucher — et que je laisse un homme tirer par-dessus mon corps, mes talons et sa tête auraient quelque chose à se dire. A-t-on jamais entendu parier de choses pareilles !
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— Pourquoi Double-Queue trompette-t-il ? demanda le Jeune Mulet.
 
— Pour déclarer qu’il n’ira pas plus près de la fumée en face… Double-Queue est un grand poltron… Alors, nous tirons tous ensemble le gros canon… Heya-Hullah ! Heeyah ! Hullah ! Nous ne grimpons pas, nous autres, comme des chats, ni ne courons comme des veaux. Nous cheminons par la plaine unie, nos vingt jougs à la fois, jusqu’à ce qu’on nous dételle : puis, nous paissons tandis que les gros canons causent à travers la plaine avec quelque ville derrière des murs de terre. Et des pans de mur
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croulent, et la poussière s’élève comme si là-bas de grands troupeaux rentraient à l’étable.
 
— Oh ! Et vous choisissez ce moment-là pour paître ? dit le Jeune Mulet.
 
— Ce moment ou un autre. Manger est toujours bon. Nous mangeons jusqu’à ce qu’on nous remette le joug, et tirons de nouveau le canon pour revenir où Double-Queue l’attend. Parfois, il y a dans la ville de gros canons qui répondent,
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et quelques-uns d’entre nous sont tués, mais alors, il y a plus à paître pour ceux qui restent. C’est le Destin… voilà tout… N’importe, Double-Queue est un grand poltron. Voilà la vraie manière de combattre… Nous sommes deux frères, nous venons de Hapour. Notre père était taureau sacré de Shiva. Nous avons dit.
 
— Eh bien ! j’ai certainement appris quelque chose ce soir, dit le Cheval de Troupe. Et vous, Messieurs de la Batteries des Canons à Vis, vous sentez-vous enclins à manger quand on vous tire dessus avec de gros canons, et que Double-Queue suit par-derrière ?
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— La famille de mon père ne vous regarde pas, s’écria Billy avec colère ; car tous les mulets détestent s’entendre rappeler que leur père est un âne. Mon père était un gentleman du Sud, qui n’aurait pas été gêné de mettre en charpie n’importe quel cheval. Mets-toi ça dans la tête, gros Brumby !
 
Brumby veut dire rossard sans origine. Imaginez les sentiments
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d’Ormonde si un cheval d’omnibus le traitait de carcan et vous pouvez vous figurer ce que ressentit le cheval australien. Je vis le blanc de ses yeux étinceler dans l’obscurité.
 
— Dites donc, fils de baudet d’importation malagais, fit-il en serrant les dents, je vous apprendrai que je suis apparenté, du côté de ma mère, à Carbine, le vainqueur de la Coupe de Melbourne, et nous ne sommes pas habitués, dans mon pays, à nous laisser passer sur le ventre par un mulet à langue de perroquet et à tête de cochon dans une batterie de pétardières et de chassepots. Êtes-vous prêt ?
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— Oui, répondit Double-Queue, dont le rire roula tout le long de sa trompe. Je suis au piquet pour la nuit. J’ai entendu ce que vous disiez, vous autres. Mais n’ayez pas peur, je reste où je suis.
 
Les Bœufs et le Chameau dirent à mi-voix :
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dirent à mi-voix :
 
— Peur de Double-Queue, quelle absurdité !
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— Moi, je peux, dit le Cheval de Troupe… à peu près du moins. J’essaie de n’y pas penser.
 
— Je vois mieux que vous, et j’y pense, moi. J’ai plus de surface qu’un autre à préserver et je sais qu’une fois malade, personne ne connaît la manière de me soigner. Tout ce qu’ils peuvent faire est de suspendre la solde de mon cornac
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jusqu’à ce que je me remette, et je ne peux pas me fier à mon cornac.
 
— Ah ! dit le cheval de Troupe. Cela explique tout. Je peux me fier à Dick.
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— Si je n’étais capable que de cela et de rien autre, vous n’auriez pas besoin de tirer les gros canons. Si je ressemblais à mon capitaine — il peut voir, lui, les choses à l’intérieur de sa tête avant que le feu commence, et il tremble du haut en bas, mais il en sait trop pour fuir — si je lui ressemblais, je pourrais tirer les canons à votre place. Mais si j’étais aussi malin que tout cela, je ne serais jamais venu ici. Je serais roi dans la forêt, comme j’avais coutume, dormant la moitié du jour et me baignant à mon gré. Je n’ai pas pris mon bain depuis un mois.
 
— Tout cela sonne très bien, dit Billy, mais il ne suffit pas de donner à une chose un nom qui n’en finit pas pour
=== no match ===
y changer quoi que ce soit.
 
— Chut ! fit le Cheval de Troupe. Je crois que je comprends ce que Double-Queue veut dire.