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l’on infligeait aux chefs des communautés, la surveillance à laquelle étaient soumis tous les vieux croyans, les incessantes tracasseries des employés et des membres du clergé chargés de les ramener à l’orthodoxie, n’ont servi qu’à les rendre plus prudens. Depuis qu’on leur a défendu d’avoir des chapelles, ils se réunissent chez l’un d’entre eux à tour de rôle, apportant les objets nécessaires au culte. Des sentinelles armées de gourdins veillent aux portes, et à leurs avertissemens tout disparaît. On trouve aussi dans leurs demeures des escaliers dérobés qui leur permettent d’échapper aux perquisitions, des armoires secrètes où ils serrent leurs livres, et des sous-sols disposés pour cacher ceux que la police recherche. Quoique celle-ci soit intéressée à les prendre en flagrant délit, il est rare qu’elle y réussisse ; ils ont une contre-police qui les tient au courant des moindres démarches des autorités. Ce genre de vie mystérieux contribue singulièrement à entretenir parmi les vieux croyans une sourde fermentation. Les membres d’une commission qui fut chargée d’une nouvelle enquête sur les sectaires en 1852 par ordre de M. Bibikof, alors ministre de l’intérieur, citent plusieurs faits qui témoignent de cette exaltation croissante. L’un d’entre eux rapporte qu’à l’entrée d’un village du gouvernement de Tver, il fut accosté par un groupe de paysans qui, en lui adressant la parole, se servirent du terme de ''frère''. Un soldat de police leur ayant demandé comment ils osaient parler ainsi à des envoyés du gouvernement, ils lui répondirent : — Vous appelez l’un tsar, l’autre général, un troisième excellence ; nous autres, nous ne connaissons que des frères. — Les femmes surtout affichent leur croyance avec beaucoup de hardiesse. L’une d’elles s’approcha d’un autre inspecteur et lui demanda : — Quand va-t-on venir nous tourmenter ? Nous sommes prêtes ! — Plus loin, la déposition d’un prêtre du gouvernement d’Yaroslaf nous révèle un fait qui n’est pas moins caractéristique, car il prouve à quel point, dans l’intérieur de l’empire, la police a subi l’influence de la secte. Ayant appris que des vieux croyans se disposaient à enterrer pendant la nuit un des leurs, qui était mort sans avoir reçu les sacremens, le prêtre se dirige vers le cimetière accompagné du ''sotski'' <ref> Employé subalterne de la police rurale.</ref>. Le cortège funèbre paraît bientôt ; le ''sotslti'' saisit par la bride le cheval de la charrette qui porte le cercueil et veut l’arrêter. — Comment oses-tu nous arrêter ? lui crie hardiment le chef de la bande. Je porterai plainte contre toi au ''stane'' <ref>Bureau de la police rurale.</ref>. — Le pauvre ''sotski'' se retira en toute hâte, et la procession continua son chemin, non sans accabler d’épithètes insultantes
l’on infligeait aux chefs des communautés, la surveillance à laquelle étaient soumis tous les vieux croyans, les incessantes tracasseries des employés et des membres du clergé chargés de les ramener à l’orthodoxie, n’ont servi qu’à les rendre plus prudens. Depuis qu’on leur a défendu d’avoir des chapelles, ils se réunissent chez l’un d’entre eux à tour de rôle, apportant les objets nécessaires au culte. Des sentinelles armées de gourdins veillent aux portes, et à leurs avertissemens tout disparaît. On trouve aussi dans leurs demeures des escaliers dérobés qui leur permettent d’échapper aux perquisitions, des armoires secrètes où ils serrent leurs livres, et des sous-sols disposés pour cacher ceux que la police recherche. Quoique celle-ci soit intéressée à les prendre en flagrant délit, il est rare qu’elle y réussisse ; ils ont une contre-police qui les tient au courant des moindres démarches des autorités. Ce genre de vie mystérieux contribue singulièrement à entretenir parmi les vieux croyans une sourde fermentation. Les membres d’une commission qui fut chargée d’une nouvelle enquête sur les sectaires en 1852 par ordre de M. Bibikof, alors ministre de l’intérieur, citent plusieurs faits qui témoignent de cette exaltation croissante. L’un d’entre eux rapporte qu’à l’entrée d’un village du gouvernement de Tver, il fut accosté par un groupe de paysans qui, en lui adressant la parole, se servirent du terme de ''frère''. Un soldat de police leur ayant demandé comment ils osaient parler ainsi à des envoyés du gouvernement, ils lui répondirent : — Vous appelez l’un tsar, l’autre général, un troisième excellence ; nous autres, nous ne connaissons que des frères. — Les femmes surtout affichent leur croyance avec beaucoup de hardiesse. L’une d’elles s’approcha d’un autre inspecteur et lui demanda : — Quand va-t-on venir nous tourmenter ? Nous sommes prêtes ! — Plus loin, la déposition d’un prêtre du gouvernement d’Yaroslaf nous révèle un fait qui n’est pas moins caractéristique, car il prouve à quel point, dans l’intérieur de l’empire, la police a subi l’influence de la secte. Ayant appris que des vieux croyans se disposaient à enterrer pendant la nuit un des leurs, qui était mort sans avoir reçu les sacremens, le prêtre se dirige vers le cimetière accompagné du ''sotski''{{lié}}<ref>Employé subalterne de la police rurale.</ref>. Le cortége funèbre paraît bientôt ; le ''sotski'' saisit par la bride le cheval de la charrette qui porte le cercueil et veut l’arrêter. — Comment oses-tu nous arrêter ? lui crie hardiment le chef de la bande. Je porterai plainte contre toi au ''stane''{{lié}}<ref>Bureau de la police rurale.</ref>. — Le pauvre ''sotski'' se retira en toute hâte, et la procession continua son chemin, non sans accabler d’épithètes {{tiret|insul|tantes}}